La bataille de Custoza
D’après « Guerres et révolutions d’Italie en 1848 et 1849 » – Edward Pomian Lubienski – 1852
Le feld-maréchal était sur le point de traverser le Mincio pour aller chercher le roi sur la rive droite et tourner les Piémontais après avoir enfoncé leur ligne, lorsque la nouvelle du combat de Staffalo, arrivée fort tard, le soir du 24 juillet, au quartier général, vint changer ses résolutions.
Ce combat, qui n’aurait pas été perdu si Radetzki avait marché directement sur Valeggio et Villafranca, fait observer justement Willisen, lui donna la conviction que le gros des troupes piémontaises se trouvait sur la rive gauche, et comme dans l’incertitude, on doit croire que l’ennemi emploie toutes les forces dont il peut disposer, Radetzki supposait que le roi devait avoir quarante mille hommes autour de lui.
Dès ce moment, le vieux maréchal prit ses dispositions en conséquence pour changer de front avec une rapidité et une précision propres aux grands capitaines ; il fut exactement obéi.
Le premier corps forma la droite de l’armée : les brigades Strassaldo et Walgemuth à Valeggio, Clam sur le monte Mamoar, Supplicatz sur le monte Vento. Le second corps fut amené à Somma-Campagna de Castelnuovo, en y laissant une brigade pour attendre le troisième corps. La réserve se tint entre Salionze et Oliosi.
Le second corps conçut de l’inquiétude quand il vit, en marchant, des troupes venant du côté de Vérone. On les prit pour une colonne italienne, mais l’erreur fut bientôt dissipée : c’était la brigade Perin, que le général Haynau, commandant à Vérone, envoyait pour remplacer la brigade Simbschen. Haynau avait eu l’ordre de la diriger vers Castelnuovo ; mais d’après les nouvelles reçues depuis, il prit sur lui de la faire marcher sur Somma-Campagna, où elle contribua au succès de la journée.
Les quatre brigades, en s’approchant de Somma-Campagna par Berettara et du monte Gadio, y rencontrèrent les ducs de Gênes et de Savoie et furent arrêtées par une résistance qui dura depuis midi jusqu’à six heures du soir. C’était l’aile droite des Piémontais qui combattait avec un courage digne d’un meilleur sort.
La bataille avait commencé à l’aile gauche des Italiens. Le roi et Bava, avec la brigade d’Aoste, voulaient enlever Valeggio pendant que le duc de Savoie devait marcher au centre par Oliosi et Salionze, et le duc de Gênes s’avancer en ligne de Somma-Campagna par Berettara. Le général Sonnaz avait l’ordre de déboucher par Borghetto. Le dix-septième régiment d’Acqui resta à Roverbella pour observer la garnison de Mantoue ; deux mille hommes défendaient Villafranca.
L’aile gauche des Italiens était séparée de Valeggio par le ruisseau de Thione, qui passe dans un ravin et arrose de belles prairies vers Gherla. Les pentes du ravin et les collines sont couvertes par des forêts ; le reste du pays se compose de champs cultives ou plantés de mûriers à dix mètres de distance les uns des autres et reliés par des guirlandes et des berceaux de vigne. Ce terrain couvert étant peu favorable aux manœuvres, ou ne pouvait livrer que des combats partiels de tirailleurs.
Du côté des bois et dans un champ de maïs devant Valeggio, on voyait une autre forêt de fusils autrichiens. Une attaque tentée de bonne heure sur cette ville par le roi fut facilement repoussée, saluée par les canons de Clam, et donna prise à une charge de cavalerie autrichienne. Alors le roi voulut attendre le mouvement de son aile droite, qui fut retardée par le manque de vivres.
Ce n’est qu’après la distribution, vers onze heures, que les troupes du duc de Gênes purent se mettre en marche ; le centre, qui attendait leur mouvement, s’ébranla en même temps.
Les rapports italiens déplorent ce retard et le regardent presque comme la cause de la perte de la bataille. C’est une idée complétement fausse : avec une grande inégalité de forces, la victoire était, humainement parlant, impossible.
Il serait plus juste de dire que ce retard fut favorable aux Piémontais. Si la bataille avait commencé plus tôt, Radetzki aurait eu plus de temps pour tirer parti de sa victoire. Le général prussien Willisen, qui décrit la fin de cette campagne avec une précision remarquable et une grande élévation de vues, se trompe cependant, entraîné par l’amour-propre national, en disant que les forces pendant le combat étaient presque égales.
Les Italiens n’avaient que quatre brigades à opposer aux huit brigades autrichiennes, sans compter la neuvième brigade Schwartzenberg, qui ne donna que le soir, et le corps de réserve qui ne donna point.
Le duc de Gênes était privé de deux bataillons qui, s’étant trompés de route, revinrent à Villafranca. Le duc de Savoie se maintenait à Custoza avec une brigade et demie, ayant envoyé le brave régiment des gardes au secours du roi. Ce régiment, réuni à une partie de la brigade d’Aoste, se jeta sur la brigade Clam, emporta monte Mamoar, Feniletto et Ripa. Alors la brigade Supplicatz fut envoyée au secours de Clam. Le dixième bataillon de chasseurs descendit du monte Vento, une batterie de réserve de Santa-Pieta arrêta les Italiens par son feu ; Clam revint à la charge et repoussa les Italiens.
C’est alors que les princes, qui avaient combattu pendant six heures contre des forces doubles et qui les avaient repoussées plusieurs fois à la baïonnette, voyant l’arrivée de nouveaux renforts à l’ennemi, commencèrent la retraite. C’était la brigade Schwartzenberg avec deux bataillons de réserve et un bataillon de la brigade Simbschen qui arrivaient au secours du corps d’Aspre.
Si les princes avaient eu le secours de la réserve qu’ils avaient demandé à plusieurs reprises, il auraient pu tenir jusqu’au soir. Le roi, perdant l’espoir de voir arriver Sonnaz, se replia également sur Villafranca.
La retraite commença à six heures et se fit avec beaucoup d’ordre, quoiqu’elle eût été un moment troublée par six escadrons et deux canons venant de Gherla pour tirer sur les Italiens. Radetzki ne profita pas des dernières heures du jour pour se jeter sur Villafranca. Il croyait que les Italiens avaient une forte réserve et attendit qu’il la vit paraître.
La grande fatigue des troupes, après une journée très chaude, fut sans doute aussi une des causes de ce retard. Ce fut pendant la nuit seulement que quatre escadrons de uhlans tombèrent sur les troupes du duc de Gênes, du côté de Quaderni et de Seivie
Cette faible attaque n’eut pas de résultat important. Le major Szeczeni y périt pour s’être jeté avec quatre uhlans au milieu des ennemis, eu leur criant de se rendre. A huit heures du soir, l’armée campait tranquillement autour de Villafranca.
La bataille de Custoza fut perdue non seulement à cause des mauvaises dispositions du roi et du conseil de guerre, mais encore par la faute du général Sonnaz, qui, entendant gronder le canon, aurait dû venir en toute hâte au secours du roi, quand même il n’en aurait pas reçu l’ordre.
La fatigue de ses soldats ne suffit pas pour le disculper. Il se mit en marche pour Borghetto trop tard et reçut un contre-ordre. On avait eu tort de faire venir Sonnaz par Borghetto, puisque Valeggio était occupé sur la rive opposée par le corps de Wratislaw. Le pont aurait été défendu ou détruit. Sonnaz aurait dû passer le Mincio sur des pontons, à la hauteur de Volta. S’il l’avait fait, il aurait peut-être sauvé l’armée piémontaise.
Les Italiens n’eurent que quinze cents hommes tués ou blessés à la bataille de Custoza, les Autrichiens en perdirent deux mille ; ce chiffre est bien faible, si on le compare aux guerres de l’empire.
On se demande comment il tomba si peu de monde après plusieurs charges à la baïonnette ; la réponse est facile. Ceux qui ont l’expérience de la guerre savent bien que les bataillons qui attaquent avec cette arme formidable se heurtent rarement en réalité. Car si les baïonnettes se touchaient, des régiments entiers pourraient disparaître rapidement. Habituellement la partie qui se sent la plus faible bat en retraite avant d’en venir aux mains. Voilà pourquoi l’attaque à la baïonnette est très avantageuse pour l’armée qui a le plus de courage le jour du combat.
Ce n’est pas le résultat matériel de la bataille de Custoza qui décida de sa perte, ce fut son effet moral sur l’esprit des soldats piémontais. Ils avaient fait des prodiges de valeur, à l’exemple du roi, qui s’exposa constamment à la grêle des balles. Ils voyaient leur sang inutilement répandu.
La fatigue des chaleurs caniculaires, le manque de provisions, joints au dépit d’une défaite, développèrent promptement les défauts d’organisation de l’armée et les germes de décomposition semés par la démocratie de Milan. Les Piémontais perdirent la conscience de leur force.
Le feld-maréchal Radetzki était victorieux. Il avait montré les qualités d’un grand capitaine, par la manière dont il avait rassemblé des forces supérieures sur le champ de bataille. Il avait été excellent stratégicien, mais il avait moins excellé dans la tactique. Il ne s’était pas aperçu de sa grande supériorité de forces pendant toute la journée de la bataille.
Il avait constamment attaqué les Italiens de front, au lieu de les tourner, ce qui aurait rendu la victoire plus rapide et plus complète ; il n’avait pas poursuivi l’ennemi avec vigueur. Il était vainqueur surtout par le découragement des Italiens.