Le combat de Quoï-Dang
D’après « Les hauts faits de l’armée coloniale » – F. Bertout de Solières – 1912
A la suite de renseignements donnés par le père Girod, sur la présence d’un fort parti de pirates dans les environs, le commandant Bergougnioux résolut d’envoyer une reconnaissance sur la route de Hong-Hoa à Dong-Van.
Cette reconnaissance partit le 16 juillet 1890 du poste de Hong-Hoa ; elle était composée de 20 légionnaires et de 40 tirailleurs tonkinois, sous les ordres du sous-lieutenant Margaine. Le capitaine Ferrandini avait le commandement général.
Après quatre heures de marche pénible, la colonne arrivait près de l’arroyo de Quoï-Dang, mais il fut décidé que la halte ne se ferait qu’au sortir de la vallée qui, en cet endroit, se trouvait très resserrée et dominée de tous côtés par d’énormes rochers.
A peine les hommes avaient-ils marché encore quelques minutes qu’un feu violent partait de trois cases sur pilotis qu’on apercevait sur un mamelon dénudé au centre d’une cuvette formée par l’élargissement du couloir rocheux.
Le sous-lieutenant Margaine est blessé à la cheville et deux tirailleurs sont également atteints par cette première décharge.
L’avant-garde se jette aussitôt dans un bois voisin pour se mettre à l’abri et envoie un sous-officier chercher du renfort. Le sergent Prokos, de la légion, qui commandait le convoi, laisse celui-ci à la garde d’un caporal et s’élance en avant, se dirigeant vers une palissade munie d’une porte qui reliait deux des cases occupées par les pirates.
Ses hommes s’étant arrêtés pour ouvrir le feu, sur un com- mandement fait on ne sait par qui, Prokos arrive seul devant la palissade et s’aperçoit alors qu’il n’est pas suivi. Il a immédiatement l’épaule fracassée d’une balle tirée à bout portant.
Dans le bois, le lieutenant Margaine dirige sa troupe pour tourner l’ennemi. Bien que blessé il s’avance vers la lisière et avec sa lorgnette cherche à se rendre compte de la situation. Il est tué aussitôt par une balle qui le frappe à l’aine.
Les tirailleurs tonkinois effrayés se jettent en arrière et, malgré les rassemblements sonnés sur l’ordre du capitaine, on ne les revoit plus avant la fin du combat.
Pendant ce temps, les légionnaires se portaient au secours de Prokos ; le sergent Roti était blessé à son tour (il mourut quelques jours après à l’hôpital) ; le soldat Ortolani était tué devant la palissade, un autre soldat avait la jambe cassée, un autre, Schadé (plus tard admis aux Invalides), une balle dans les reins et le bras cassé.
Le capitaine Ferrandini, se voyant abandonné des Tonkinois, donna l’ordre aux légionnaires de se retirer sur une position moins dangereuse. Le sergent Prokos emmena alors les blessés dans la vallée, près de l’arroyo, pendant que le caporal Veltin et quelques hommes cherchaient à voir ce que les pirates devenaient.
Le petit groupe parvenait à peine au sommet du mamelon qu’une décharge mettait cinq hommes hors de combat ; tous ces blessés rejoignirent péniblement le sergent Prokos.
Il était 9 heures du matin, le combat avait à peine duré deux heures. Jusqu’à midi, les hommes restèrent dans la même position tiraillant à l’aveuglette, en attendant toujours le retour des tirailleurs tonkinois.
Réduit à l’impuissance, le capitaine donne enfin l’ordre de se retirer à un kilomètre en arrière et envoie un messager prévenir le poste de Hang-Hoa de la situation.
Les blessés sont emmenés comme on peut, la petite colonne toujours harcelée par les pirates ; 9 hommes seulement sont valides, ils ripostent à qui mieux mieux, un d’eux est tué. Tout à coup, on s’aperçoit que 4 hommes blessés et 1 caporal sont restés en arrière. Le capitaine hésite, mais la poursuite est trop vive et l’on ne peut voler à leur secours ; lui-même est exténué, il tombe inanimé dans l’arroyo et ne doit son salut qu’au dévouement de son ordonnance. A ce moment, les tirailleurs rejoignent prétextant s’être égarés dans les bois.
Le commandant Bergougnioux fait une marche forcée pour venir les délivrer. A 5 heures du soir, il pouvait enfin les rejoindre et le campement s’installait sous bonne garde pour la nuit.
Le lendemain, on retrouva le lieutenant Margaine décapité, ainsi que deux légionnaires. Les Tonkinois tués avaient été respectés.
Le sergent Prokos, grièvement atteint, n’avait pu être pansé que le soir, mais, pendant toute la journée, il avait donné l’exemple du courage et de l’abnégation. Il reçut la Légion d’honneur pour ce bel exploit ; il entra l’année suivante à Saint-Maixent et fut nommé sous-lieutenant dans l’infanterie coloniale.