Le combat de Chebreiss
D’après « Éphémérides militaires depuis 1792 jusqu’en 1815 » – Louis-Eugène d’Albenas – 1818
Le combat de Rahmanieh n’était que le prélude d’une affaire plus sérieuse entre l’armée française et celle des Mamloucks, dont le corps battu le 10 juillet n’était que l’avant-garde.
Pendant que l’armée allait à travers le désert d’Alexandrie au Caire, une flottille commandée par le chef de division Pérée remontait le Nil et devait se tenir toujours à portée de l’armée de terre. Mais la flottille, peu maîtresse de ses mouvements dans un fleuve dont la navigation était inconnue, dépassa la gauche de l’armée d’une lieue et se trouva le 13 juillet en présence de la flottille que les Mamloucks avaient aussi sur le Nil.
Attaquée en même temps par les troupes qui montaient cette flottille et par les troupes qui étaient sur la rive du fleuve, la nôtre eut beaucoup à souffrir. Déjà l’ennemi s’était emparé de trois de nos chaloupes canonnières et d’une demi-galère, lorsque le chef de division Pérée, quoique blessé sérieusement au bras, parvint par son intrépidité à reprendre les bâtiments que nous avions perdus et à mettre le feu à l’amiral ennemi. Le général Andréossi commandait l’artillerie de la flottille. Les savants Monge et Bertholet, qui s’y trouvaient, montrèrent pendant toute la durée de l’action un sang-froid et un courage à toute épreuve.
Cependant les Mamloucks, instruits de l’approche de l’armée de terre, cessent le combat sur le Nil et se placent rapidement en bataille, au nombre de deux mille, au village de Chebreiss, leur droite appuyée au Nil et soutenue par huit ou dix grosses chaloupes canonnières et plusieurs batteries élevées sur le rivage. Cette courageuse milice, montée sur les meilleurs chevaux du monde, armée de sabres dont aucune arme européenne n’égale la bonté, couverte d’or et d’argent, attendait impatiemment le combat, espérant vaincre facilement ces soldats français qui ne leur paraissaient mériter que du mépris.
Le général Bonaparte, qui n’avait avec lui que deux cents chevaux, faibles et harassés des fatigues de la mer et des marches dans le désert, sentit qu’il ne pouvait les opposer à la cavalerie africaine, et devinant aussitôt la manière de vaincre les Mamloucks, il ne compta que sur son infanterie.
En conséquence, il disposa ses cinq divisions chacune formant un carré en échelons, se flanquant entre elles ayant leurs bagages au centre, l’artillerie placée aux angles et dans les intervalles des carrés. La ligne de bataille, ainsi placée, s’appuyait par ses deux ailes à deux villages dans lesquels on jeta un grand nombre de tirailleurs, et par des feux croisés opposait un invincible obstacle aux charges impétueuses, mais désunies, des Mamloucks.
Cette impatiente cavalerie inonda bientôt toute la plaine, et Mourad-Bey, débordant nos ailes, chercha de tous côtés sur nos flancs et nos derrières le point faible pour pénétrer dans les carrés et renverser ces murs de fer et de feu.
On les laisse approcher jusqu’à la portée de la mitraille, et l’artillerie se démasquant alors, les disperse et couvre la terre de cadavres d’hommes et de chevaux. Ces hommes remplis de courage, mais ignorants des plus simples manœuvres, ne forment plus une masse ; les uns continuent leur charge dans la même direction et sont tués à bout portant par la mousqueterie ; d’autres, parvenant isolément à tourner les façades des carrés, viennent se ruer sur nos baïonnettes et sont tous massacrés.
Enfin Mourad- Bey, après avoir vu moissonner ses plus braves Mamloucks, abandonne le champ de bataille, couvert de plus de trois cents des siens, et se retire vers le Caire.
Le succès de la bataille ou plutôt du combat de Chebreiss eut une grande influence sur les habitants de l’Egypte, qui, d’après l’opinion des Mamloucks, croyaient les Français incapables de résister à cette milice. Dès ce moment ils furent moins disposés à la résistance, et portèrent vers l’armée française la confiance que jusque là ils avaient eu dans la puissance des Mamloucks. Ceux-ci même commencèrent à sentir quelque terreur des Français, et le général
Bonaparte, en donnant à son armée, par une heureuse innovation, la force et la masse impénétrable de la phalange macédonienne, lui inspira une telle assurance qu’on put dès-lors regarder comme assurée la conquête de l’Egypte.