La prise des tranchées de Touvent (7-10 juin 1915)
D’après « La grande guerre du XXe siècle » – Juin 1916
Récit officiel.
Une double ligne de tranchées sur un front de 1 800 mètres, dont le contour atteint un développement de 2 500 mètres, telles sont les positions allemandes qui, devant la ferme Touvent, entre Serre et Hébuterne, ont été conquises par nos troupes du 7 au 10 juin. Le gain en profondeur varie de 200 mètres à un kilomètre.
La position.
La partie du plateau d’Artois où s’est déroulée cette action présente un paysage monotone de champs de blé et de betteraves, coupé çà et là de haies vives que jalonnent de grands arbres. Les villages et les fermes sont entièrement cachés dans la verdure. De larges ondulations de hauteur inégale restreignent l’horizon.
Nous occupons Hébuterne. Les Allemands sont à Serre. Les deux villages se font face à 3 kilomètres l’un de l’autre, chacun au sommet d’une légère hauteur. Les tranchées allemandes se trouvaient à mi-distance en avant de la ferme Touvent dont les champs s’encadrent d’une rangée de grands arbres.
Le système défensif allemand était très perfectionné ; des postes d’écoute formaient des avancées ; les boyaux de communication étaient sinueux et nombreux. En avant, était installé un réseau de fils de fer dense et large. Certaines parties des tranchées avaient été préalablement minées.
De cette organisation si complète, travail de huit mois, nos soldats n’ont plus trouvé que les débris.
Le mérite de cette destruction revient à la perfection de la préparation d’artillerie. Le réglage précis des tirs, l’emploi d’une artillerie lourde puissante, la consommation très large des munitions ont permis ce résultat : les fils de fer étaient arrachés, les tranchées et les boyaux plus ou moins comblés, l’entrée des abris souterrains bouchée.
Les pertes ennemies.
La garnison de ces ouvrages était assurée par an régiment badois, le 170e. Cinq compagnies, d’un effectif moyen de 200 hommes, qui occupaient l’ouvrage, ont été entièrement mises hors de combat. Tué ou prisonnier, aucun homme n’a échappé. Deux compagnies, qui se trouvaient en réserve de secteur, ont été, elles aussi presque entièrement détruites au cours des premières contre-attaques.
Il est difficile d’évaluer les pertes des autres régiments qui ont participé aux contre-attaques suivantes. Deux bataillons du 99e régiment, ramenés précipitamment de la région d’Arras et lancés dans le combat sans sacs et sans vivres, paraissent avoir beaucoup souffert.
Le nombre des prisonniers faits jusqu’au 11 juin atteint 580, dont 10 officiers.
Les combats.
Les combats ont suivi les phases suivantes : le 7 juin, assaut sur un front de 1 200 mètres ; le 8, élargissement du gain vers le Nord et progression en profondeur ; le 9, extension des gains par un combat dans les boyaux ; le 10, prise, de vive force, d’une nouvelle ligne d’un développement de 500 mètres au sud des positions déjà conquises.
Les troupes qui ont mené ces diverses actions sont composées de Bretons et de Vendéens ; elles ont été appuyées par des unités appartenant au recrutement des Alpes. Elles ont toutes fait preuve d’un élan et d’une résistance dignes des meilleures traditions de l’infanterie française.
L’assaut.
L’heure de l’assaut avait été fixée à 5 heures. Dès 3 heures du matin, l’ennemi, alarmé par la préparation d’artillerie, et craignant d’être attaqué, avait ouvert sur nos tranchées un feu très violent. Nos batteries achevaient en même temps leur tir de préparation. Des nuages de fumée couvraient toutes les positions.
Au milieu du vacarme des éclatements, sous cette pluie de fer, les troupes d’assaut demeuraient impassibles, dans les parallèles de départ, les commandants de compagnie, l’œil fixé sur leur montre. A 5 heures exactement, d’un même mouvement, sans une hésitation, toute la première ligne sortit et s’élança dans la fournaise.
En dix minutes, elle avait dépassé les deux tranchées allemandes et parvenait au point fixé par le commandement où les officiers donnèrent aussitôt l’ordre de se retrancher. Les hommes étaient joyeux ; ils criaient « Vive la France ! », s’embrassaient ; quelques-uns ne voulaient plus s’arrêter et leurs chefs curent quelque peine à leur faire prendre la pelle.
Dans les tranchées allemandes.
La deuxième vague avait pénétré dans les tranchées ou plus exactement dans ce qu’il en restait.
Depuis la veille, les communications de ces tranchées avec l’arrière avaient été coupées par notre artillerie ; les hommes n’avaient plus pu recevoir ni vivres ni munitions. Ils étaient blottis par petits groupes ; quelques-uns tirèrent on ou deux coups de fusil.
Les autres levèrent les mains en criant et se précipitèrent à toutes jambes vers nos lignes où les troupes de soutien eurent la surprise de voir arriver à grande allure cette troupe confuse ; les mains en l’air, ils couraient en criant à tue-tête « Kamerad ! Kamerad ! ».
Ceux qui avaient essayé d’opposer quelque résistance furent rapidement mis hors de combat ; chacun de nos hommes s’attachant à « son Boche ».
Un troupier qui, depuis longtemps avait pu, à certains indices, repérer dans la tranchée allemande, en face de la sienne, l’abri d’un officier, avait dit à ses camarades : « Pour le jour de l’attaque, celui-là, je m’en charge ».Et, en effet, au jour dit, on Le vit foncer à toute vitesse vers l’« offizier unterstand » et en ramener le propriétaire.
Dans les tranchées, on prit ou l’on déterra six mitrailleuses plus ou moins détériorées par notre bombardement, et un matériel nombreux.
L’occupation de la position.
La position une fois conquise, il fallut la mettre en état ; rouvrir les boyaux comblés et aménager les abris. Tout ce travail de terrassement se fit avec une remarquable célérité. Les hommes se mirent à l’ouvrage sous le feu.
L’ennemi, en effet, avait entrepris, comme il en a coutume, un bombardement systématique des tranchées perdues. Il y employa une artillerie de gros calibre (210 et 105).
Sous les obus, nos soldats ne bronchèrent point, et cette impassibilité sous le feu n’est pas moins digne d’admiration que l’audace dans l’assaut.
Un officier, retraçant avec émotion l’attitude de ses hommes, racontait : « Les marmites tombaient et ils plaisantaient ».
Grâce à ce courage, fait de bonne humeur et de fidélité absolue au devoir, nous avons non seulement maintenu tous nos gains en repoussant des contre-attaques, mais nous les avons, par d’incessants combats, élargis en donnant à nos adversaires l’impression de la supériorité incontestable de notre infanterie.
[Publié le 13 juin 1915]