Le passage du Tagliamento ou la bataille de Valvasone
D’après « France militaire » – Abel Hugo – 1838
La division Guyeux, venant de Pordenone, celle de Bernadotte de Sacile, et celle de Serrurier de Paziano, se dirigèrent toutes trois le 16 sur Valvasone. Guyeux, dépassant cette dernière place, arriva à onze heures sur les bords du Tagliamento, dont l’ennemi sembla vouloir disputer le passage.
Bonaparte ordonna alors à l’un de ses aides de camp, le chef de bataillon Croisier, d’aller reconnaître la rivière jusqu’aux retranchements, ce que celui-ci fit avec 25 hommes qui furent accueillis par la mitraille.
La division Bernadotte arriva à midi de Valvasone, et Bonaparte se disposa à forcer le passage du Tagliamento, dont les eaux se trouvaient tellement diminuées par de longues gelées, que cette rivière était a peu près partout guéable.
L’arrière-garde autrichienne était retranchée dans des villages de la rive opposée, tels que Torrida, Rivis, Gradisca, Pozzo, Gorice et Codroïpo. L’espace entre ce dernier village et Camino est une plaine où la cavalerie s’étendait sur deux lignes.
Bonaparte, aussitôt après l’arrivée de Bernadotte, ordonna à Guyeux de se porter sur la gauche pour passer la rivière à la droite des retranchements ennemis, entre Torrida et Rivis ; Bernadotte dut passer sur la droite en face de Godron. Une batterie de douze pièces de canon fut établie sur, chacun de ces points pour protéger les mouvements de ces généraux.
Les divisions Guyeux et Bernadotte, arrivées au point de passage, formèrent leurs bataillons de grenadiers et se rangèrent en bataille ayant chacune une demi-brigade d’infanterie légère en avant, soutenue par deux bataillons de grenadiers et flanquée par la cavalerie. L’infanterie légère se dispersa en tirailleurs. Le général Dommartin, à la gauche, et Lespinasse, à la droite, firent avancer les deux batteries dont le feu ne tarda pas à s’engager avec la plus grande vivacité.
L’ordre fut alors donné dans chaque demi-brigade de faire ployer en colonne serrée les premier et troisième bataillons sur les ailes du deuxième, et le général Duphot entra dans la rivière à la tête de la 27e d’infanterie légère. Il l’eut bientôt traversée, soutenu par le général Ban, que suivaient les grenadiers de la division Guyeux. Murat exécuta le même mouvement sur la droite, soutenu aussi par les grenadiers de la division Bernadotte.
Toute l’armée était en mouvement, et le lit du fleuve se trouvait couvert de soldats, chaque demi-brigade par échelons et des escadrons de cavalerie en arrière des intervalles. Ces masses se flanquaient ainsi entre elles.
La cavalerie ennemie tenta inutilement plusieurs charges sur notre infanterie au moment où elle sortait de l’eau. La rivière fut passée, et l’Archiduc s’efforça alors de déborder notre droite avec sa cavalerie, et notre gauche avec son infanterie. Bonaparte envoya au secours de Bernadotte le général Dugua et l’adjudant général Kellermann, avec la cavalerie de réserve.
Ce renfort, soutenu par l’infanterie que commandait l’adjudant général Mireur, culbuta les escadrons ennemis et fit prisonnier le général autrichien Schulz qui les commandait. Cet incident accéléra la retraite de l’Archiduc, déjà commencée. Quelques bataillons chargés de la couvrir tenaient néanmoins encore avec opiniâtreté dans Gradisca.
Guyeux attaqua ce village malgré l’obscurité de la nuit, et parvint à s’en emparer. Le prince Charles fut même sur le point d’y être fait prisonnier. La déroute devint dès lors complète. Les Autrichiens furent poursuivis pendant trois ou quatre milles sur la route de Palmanova.
A mesure que la division Serrurier arrivait de Valvasone, elle passait la rivière et se mettait en bataille pour servir de réserve. Les trois divisions bivouaquèrent sur le champ de bataille. Cette opération offrit dans l’ensemble de tous ses mouvements une régularité et une précision qui la faisait ressemblera une manœuvre de parade.
La journée valut aux Français six pièces de canon enlevées à l’ennemi, et environ 500 prisonniers. La fuite des Autrichiens, qui semblaient totalement démoralisés, dura toute la nuit ; ils redoutaient de se trouver le lendemain en présence de l’armée française, et d’être contraints à engager une nouvelle affaire.