La bataille de Laon
D’après « France militaire: histoire des armées françaises de terre et de mer de 1792 à 1837 – Abel Hugo – 1838
Après la bataille de Craonne, l’armée française se mit en mouvement sur Laon. Le maréchal Marmont, avec le 6e corps d’infanterie, la division du duc de Padoue nouvellement organisée, et le premier corps de cavalerie, suivit par Bery-au-Bac la route de Reims ; le reste de l’armée, sous les ordres de l’Empereur, marcha par celle de Soissons. Les deux colonnes formaient un total de 30 000 hommes.
Napoléon, supposant parce qu’il n’avait eu à combattre à Craonne qu’une portion de l’armée de Blücher, que la majeure partie de cette armée était engagée dans un mouvement décousu, espérait ne pas lui donner le temps de s’établir à Laon, ou tout au moins, lui enlever cette position par une attaque brusque.
De son côté, l’armée de Silésie ayant échoué dans son projet de tourner la droite de l’armée française, pendant la dernière action, se hâtait de réunir ses divers corps épars, afin de les concentrer sous Laon pour y recevoir une seconde bataille.
Le 8 mars, le corps du maréchal Ney, faisant l’avant-garde des troupes qui suivaient la route de Soissons, poussa à coups de canon l’arrière-garde ennemie jusqu’au défilé d’Estouvelle, formé par des marais impraticables, qui de chaque côté resserrent la chaussée. L’ennemi défendit vigoureusement cette position ; l’avant garde française bivouaqua à la nuit auprès du village d’Orcel ; Napoléon et la vieille garde s’établirent en arrière à Chavignon.
Dans la soirée, des paysans ayant fait connaître à l’Empereur la possibilité de tourner le défilé d’Estouvelle, il voulut tenter, pendant la nuit, un coup de main sur Laon, espérant que l’armée ennemie n’y serait point encore réunie. En conséquence, il chargea le chef d’escadron Gourgaud de tourner le poste d’Estouvelle avec deux bataillons de chasseurs à pied et deux escadrons de chasseurs à cheval de la vieille garde, tandis que le maréchal Ney forcerait de front de la chaussée avec son infanterie, et ouvrirait à l’aide major général Belliard un débouché pour se précipiter dans la ville de Laon, à la tête de la cavalerie pêle-mêle avec les fuyards.
A onze heures du soir, Gourgaud se mit en mouvement par le moulin de Clery, Chavelloy et Chivy. La difficulté des chemins, l’obscurité de la nuit, retardèrent sa marche, qui n’eut point l’effet qu’on en attendait. Mais l’attaque du prince de la Moskowa, fut tellement impétueuse, que le défilé fut forcé d’emblée.
Les Russes endormis s’éveillèrent dans Estouvelle sous les baïonnettes françaises ; ils n’eurent pas le temps de courir aux armes, et dans le tumulte, perdirent un grand nombre d’hommes tués ou prisonniers, avant d’être en état de défense.
Parvenu à Chivy, le prince de la Moskowa ne tarda pas à y être joint par la colonne du chef d’escadron Gourgaud. Une demi-heure avant le jour, le général Belliard déboucha de ce village, et donna la chasse aux fuyards ; mais arrivé au pied de la montagne sur laquelle Laon est situé, sa cavalerie fut si rudement accueillie par un feu de mitraille, qu’elle fut contrainte de s’arrêter, et de prendre position, hors de portée, pour attendre le jour.
Au jour, on aperçut l’armée ennemie tout entière en ordre de bataille. Sa droite s’appuyait aux collines entre Thierret et la Neuville ; son centre était établi sur la croupe et au pied de la montagne de Laon ; sa gauche appuyée aux hauteurs d’Athies. Tout le front était couvert par une artillerie nombreuse avantageusement placée. Le développement de cette formidable ligne ne présentait pas moins de 90 000 hommes.
Aussitôt que le jour permit d’agir, notre avant-garde occupa successivement, sans beaucoup de résistance, Clacy, Leully, Semilly, Ardon, et l’armée se déploya à cheval sur la route, la droite à Leully, la gauche au tertre de Clacy. Dans le même temps, le duc de Raguse se dirigeait, par la route de Reims, vers l’extrême gauche ennemie, dans la direction d’Athies.
Vers onze heures, le général Blücher, ayant reconnu la faiblesse numérique de l’armée française, abandonna ses dispositions de défense, et résolut de prendre l’offensive. Une double attaque fit perdre d’abord aux Français Semilly et Arson : leur infanterie, vivement poussée, se retirait même en désordre, lorsque le général Belliard, par plusieurs charges, arrêta l’ennemi dans sa poursuite, et favorisa la reprise des deux villages. Jusqu’à quatre heures du soir, les deux partis, tour à tour attaqués et attaquant, se maintinrent dans leur position respective.
Napoléon commençait à voir que la position de Laon était inexpugnable par une simple attaque de front : il avait compté que le duc de Raguse, arrivant à sa hauteur en même temps que lui, favoriserait, par une diversion sur l’extrême gauche ennemie, ses opérations sur le centre et la droite. Il avait envoyé à ce maréchal plusieurs officiers d’état-major pour l’engager à hâter sa marche ; mais les officiers s’engagèrent, ou furent pris par les Cosaques qui rôdaient derrière l’armée.
Impatienté de n’avoir aucune nouvelle du 6e corps, Napoléon, vers cinq heures, tenta une nouvelle attaque générale. Les divisions Charpentier et Boyer de Rebeval, arrivant dans ce moment, et s’étant jointes aux divisions Friant et Curial, emportèrent le village de Clacy, que l’ennemi occupait en force, et où la brigade Montmaric fit 250 prisonniers.
Mais dans le temps que la gauche française obtenait ce léger succès, le général prussien Bulow s’emparait, à droite et de nouveau, du village d’Arson, où s’était jusque-là maintenue la division Poret de Morvan.
Le jour commençait à baisser ; l’Empereur fit cesser le feu. Pensant avoir dans la nuit des nouvelles du duc de Raguse, il remit au lendemain la suite du combat, fit bivouaquer les troupes sur le terrain où elles avaient combattu, et retourna, avec la vieille garde, coucher au village de Chavignon.
Pendant que la colonne de gauche opérait sur Laon par la route de Soissons, le duc de Raguse, suivant celle de Reims, délogea, vers une heure, du défilé de Fécieux l’avant-garde ennemie, commandée par le colonel Blücher (fils du général ), et arriva devant Athies, qu’occupait le corps prussien d’Yorck. L’action fut chaude ; mais enfin l’ennemi fut chassé du village, et la division Lucotte, du corps du duc de Padoue, y prit poste un peu avant la chute du jour.
Le duc de Raguse, n’ayant reçu aucune nouvelle de l’Empereur, suspendit son offensive, établit ses bivouacs, et envoya le colonel Fabvier, avec 400 chevaux et deux pièces de canon, pour tâcher d’avoir des renseignements sur la colonne de gauche.
Le général Blücher, qui ne pouvait se persuader, vu la difficulté de l’entreprise, que Napoléon, avec des forces si disproportionnées, voulût forcer de front la position de Laon, ayant été instruit de l’attaque du duc de Raguse, pensa que les efforts de l’armée française allaient se porter, par la route de Reims, sur sa gauche, et que le mouvement sur celle de Soissons n’était qu’une fausse attaque masquant la véritable.
Pour déjouer ce projet supposé, il porta vers Athies les corps russes de Langeron et de Sacken, destinés à soutenir le corps prussien d’Yorck, auquel il ordonna de prendre l’offensive, aussitôt que les deux corps russes seraient à portée de le soutenir.
La nuit était close ; les troupes du duc de Raguse commençaient à allumer leurs feux, lorsque tout à coup, elles furent abordées de front par les Prussiens, qui, à la faveur de l’obscurité, s’étaient approchés inaperçus. Athies fut emporté ; l’ennemi, ne trouvant pas de résistance, perça jusqu’à la colline où campait le gros du 6e corps. A peine les batteries françaises avaient-elles eu le temps de faire une décharge, que les canonniers les entraînèrent à la prolonge vers la Chaussée. Là, tout le monde chercha à se rallier, et déjà l’ordre se rétablissait, lorsque le corps de Kleist, qui, dans l’obscurité, s’était glissé par les bois, fit entendre son feu sur les derrières.
Dès lors, une sorte de terreur panique s’empara des troupes du 6e corps : infanterie, cavalerie, artillerie, tout s’enfuit à la débandade jusqu’à Fécieux, où les plus fatigués reprirent haleine. La déroute ne se serait point arrêtée là, si le colonel Fabvier, entendant le bruit du combat, ne fut revenu en toute hâte. Formant aussitôt l’arrière-garde, il imposa tellement par sa bonne contenance à l’ennemi, que celui-ci, trompé sur la force de sa troupe, n’osa point continuer la poursuite. Les fuyards se rallièrent alors sous la protection de cette arrière-garde, et le duc de Raguse s’établit derrière la Vesles, aux environs de Fismes.
Les pertes, dans cette malheureuse affaire, furent peu considérables en morts et blessés ; mais 2 500 prisonniers, quarante bouches à feu et cent trente-un caissons tombèrent au pouvoir de l’ennemi.
Le général Blücher, ne doutant pas qu’après cet échec, l’armée française ne se retirât au plus vite de devant Laon, ordonna aux corps de Langeron, Yorck, Kleist et Sacken (présentant une force d’environ 50 000 hommes), de pousser par la chaussée de Béry-au-Bac, afin de couper la retraite sur Reims. Avec 40 000 hommes, il conserva sa position de Laon, se préparant à prendre l’offensive sur ce point dès que le jour paraîtrait.
Vers trois heures du matin, Napoléon eut connaissance du revers essuyé par le duc de Raguse. Calculant alors que Blücher, pour accabler ainsi ce maréchal , avait dû nécessairement dégarnir sa droite et son centre, il résolut de se maintenir devant Laon, tant à dessein d’arrêter, par une attitude menaçante, les corps détachés à la poursuite du 6e corps, que dans l’espoir d’un succès que la supériorité numérique de l’ennemi ne lui avait pas permis d’obtenir la veille. Ainsi, 17 à 18 000 hommes allaient encore se heurter contre 40 000, avantageusement postés sur une montagne inexpugnable.
Le 10 mars, au jour, la division Charpentier, appuyée par la division Boyer de Rebeval, fut attaquée dans le village de Clacy par trois divisions russes du corps de Woronzof. Cinq attaques successives, toujours renouvelées par des troupes fraîches, échouèrent complètement : le général Charpentier, se maintint dans son poste jusqu’à deux heures.
Alors Napoléon prit l’offensive ; il dirigea les divisions Meunier et Curial sur la montagne de Laon, en avant du village de Semilly. Mais ces divisions furent si maltraitées par des batteries placées à mi-côte, et qui jusque-là avaient été masquées, qu’elles furent contraintes de rentrer en ligne.
Convaincu enfin de l’impossibilité d’enlever Laon de vive force, l’Empereur voulut encore faire une dernière tentative pour tourner la position par la route de la Fère.
Le général Drouot, envoyé en reconnaissance vers ce point, vint bientôt, et avec sa franchise accoutumée, il déclara qu’un tel projet était inexécutable. Peu satisfait de cette réponse, Napoléon ordonna au général Belliard de pousser un parti de cavalerie dans cette direction. Ce général ayant trouvé de fortes masses d’infanterie embusquées derrière des taillis, appuyées par plusieurs batteries, confirma le rapport de Drouot. Enfin, vers quatre heures, l’Empereur se décida à la retraite. Toutefois on continua de canonner jusqu’à la nuit; l’armée commença alors à repasser le défilé d’Estouvelle. La vieille garde et Napoléon couchèrent à Chavignon.
Le 11 mars au jour, l’armée française, marchant la gauche en tête, commença son mouvement rétrograde sur Soissons, où elle prit position à quatre heures après midi, sans avoir été autrement inquiétée que par deux houras de cavalerie, l’un sur l’amère-garde à Estouvelle, et l’autre sur la division Porel de Moivan, postée sur les hauteurs de Crécy.
La perte totale des alliés, dans ces trois journées appelées la bataille de Laon, s’éleva à 5 000 hommes, tués, blessés ou prisonniers.