Lignards et marsouins à Toulon en avril 1909
D’après « Le Petit Parisien – Supplément littéraire illustré » – 4 avril 1909
On se souvient encore des graves incidents qui, à Toulon, avaient marqué l’inimité déclarée entre le 4e colonial et le 111e d’infanterie.
La réconciliation vient de s’opérer entre les deux régiments dans une circonstance émouvante qu’il est bon de rappeler.
Il y a quelques jours, le 4e colonial et le 111e d’infanterie, regagnant leurs casernes respectives, s’arrêtèrent boulevard de Strasbourg.
Le général de brigade Pereaux fit placer les drapeaux des deux régiments côte à côte, l’état-major à sa gauche, la musique du 4e colonial à sa droite, et le 4e colonial tout entier, baïonnette au canon, défila devant le 111e, saluant les deux drapeaux en manière de réconciliation.
Le colonel Spitzer, du 4e colonial, leva toutes les punitions, même celles de prison, pour remercier les coloniaux de leur bonne tenue.
Voici ce qui s’était passé à Toulon :
D’après le journal « La Lanterne » – 13 mars 1909
Grave incident militaire à Toulon
Les 4e et 8e régiments d’infanterie coloniale, casernés à Toulon, avaient procédé, mercredi dernier (10 mars), à des manœuvres combinées avec le 111e d’infanterie, autour de Sixfours et de Reynier. Après la manœuvre, les coloniaux rencontrant un détachement du 111e se mirent à les plaisanter et crièrent aux fantassins : « Ohé les biffins ! Au feu ! Au feu ! ».
L’incident n’aurait pas eu une bien grande portée, si le capitaine d’une compagnie du 111e, M. Wroigner, n’avait été, comme il le dit dans un rapport, sifflé par les marsouins.
Une rapide enquête fut faite par un chef de bataillon de l’infanterie coloniale, mais sans résultat, et le commandant, après avoir présenté ses excuses au capitaine, infligea pour l’exemple une punition au caporal et à deux soldats de l’escouade d’où étaient partis les sifflets.
Le colonel Quinquandon, qui commande le 111e, mis au courant de l’incident, demanda un rapport, qui fut transmis au commandant de la 2e division d’infanterie coloniale. Dans son rapport, il était dit que les hommes du 111e sont l’objet des quolibets et des injures des soldats coloniaux, et que le colonel Quinquandon lui-même aurait été accueilli, pendant les manœuvres, par le cri « Tiens, un biffin » de la part des soldats coloniaux.
Le général de Ferron, commandant la 2e division coloniale, saisi de ce rapport, convoqua les officiers des trois régiments coloniaux en garnison à Toulon, et les réunit à la caserne du boulevard de Bazeilles. Le général de Ferron, en présence des deux généraux de brigade Perreaux et Dain, aurait fait de violents reproches aux officiers à propos de la conduite des soldats sous leurs ordres, et se serait écrié : « Je vous avais dit, il y a quatre mois, que j’étais heureux et fier d’être placé à la tête de la 2e division coloniale. Je vous dis, aujourd’hui, que non seulement je n’en suis plus fier, mais que je suis honteux de la commander. J’en rougis, car vos hommes sont des canailles, dont vous êtes les protecteurs et les soutiens ».
Faisant allusion aux incidents avec le 111e, il aurait dit que si les hommes des régiments coloniaux ne restent pas en arrière aux colonies, c’est qu’ils ont peur de la faim ou des ennemis, mais que pour la guerre en Europe, il faut avoir du cœur au ventre, et que sur cinquante coloniaux, il en resterait vingt-cinq en arrière.
Et comme le général de Ferron ajoutait que l’indiscipline était une mentalité voulue dans l’armée coloniale, le colonel Spitzer lui répondit : « Je proteste de toutes mes forces ».
Le général Perreaux, ayant voulu protester également, se vit, comme le colonel Spitzer du 4e colonial, d’ailleurs, puni de huit jours d’arrêt.
Aussitôt qu’il a eu connaissance des propos attribués au général de Ferron, le général Picquart, ministre de la guerre, a prescrit une enquête. Les résultats n’en sont pas encore parvenus. Ajoutons qu’au ministère de la guerre, on met en doute l’authenticité des paroles attribuées au général Ferron.
Nouveaux incidents
Toulon, 11 mars. A la suite des incidents qui se produisirent au 4e colonial, le général de Ferron a infligé des arrêts à plusieurs officiers et a consigné en grande partie les 4e et 8e régiments coloniaux.
Ce soir, le général est retourné à la caserne pour connaître les auteurs des indiscrétions commises et comme le corps de garde ne lui rendit pas les honneurs au passage, il infligea de nouvelles punitions.