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  • 9 février 2014 - Par Au fil des mots et de l'histoire

     

     La défense de Rorke's Drift

     

    Les batailles d’Isandhlwana et de Rorke’s Drift

    D’après « Quatre ans au pays des Boërs » – Ernest Weber – 1882

     

    Quand Cettiwayo, prince aussi énergique que capable, eut, conformément à son rêve le plus cher, muni le plus gros de son armée permanente de fusils de modèle européen, il se sentit pris d’un ardent besoin d’élargir le plus possible le cercle de sa domination, et de faire cueillir de nouveaux lauriers à son peuple de tout temps héroïque et guerrier.

    Pour se trouver des adversaires, il n’était pas embarrassé. Il avait d’un côté une vieille haine à assouvir contre les Boers : ceux-ci, en effet, s’étaient mis en possession du fertile district frontière compris entre les rivières Pungolo et des Buffles dont Cettiwayo personnellement n’avait jamais sanctionné l’abandon ; d’autre part, ce prince brûlait de s’emparer de l’hégémonie sur toute la population noire. Mais il sentait que pour arriver à ce but, il lui fallait d’abord briser la puissance anglaise dans le sud de l’Afrique.

    L’annexion de la République du Transvaal par la Grande-Bretagne, en avril 1877, vint confondre en un seul courant et sa haine contre les Boers et son désir jaloux d’agression contre les Anglais. Dès lors, il consacra tout son temps et toutes ses forces à préparer sa belliqueuse nation à quelque grand effort.

    Ses régiments anciens et nouveaux une fois réarmés comme je l’ai dit, de manière à lui promettre des chances de succès, il ne fut pas longtemps à trouver des casus belli contre les Anglais. Il commença par réclamer d’eux la rétrocession immédiate du territoire-frontière précité. Le gouverneur général, sir Bartle Frere, était un gentleman plein de conscience, qui s’attachait à ne jamais faire de tort à personne. Pour ôter au prince zoulou, son voisin, toute apparence de légitime prétexte de guerre, il institua une commission chargée d’examiner au point de vue juridique la revendication de Cettiwayo, et, le 11 décembre 1878, cette commission termina ses travaux en reconnaissant effectivement le droit des Zoulous à posséder le district en litige. Cette décision faisait, à coup sûr, grand honneur aux juristes anglais qui venaient de la prendre à l’égard « d’un chef de barbares tout sauvage ».

    En conséquence de l’arrêt rendu, quatre-vingt familles de fermiers hollandais établies déjà de vieille date sur le territoire contesté, furent invitées par le gouvernement britannique à reconnaître comme le maître du pays le roi Cettiwayo et à lui payer désormais leurs impôts. Beaucoup de Boers, plutôt que d’accepter cette nouvelle souveraineté qui leur souriait peu, préférèrent émigrer au Transvaal avec leurs femmes, leurs enfants et leurs troupeaux.

    En même temps, des bandes de Zoulous envahissaient la contrée, tuant, sans distinction d’âge ni de sexe, un grand nombre des noirs qui s’y trouvaient installés, et faisant main basse sur le bétail.

    A la nouvelle de ces actes de cruauté, M. Shlepstone, le roi blanc des Zoulous, comme on l’appelait, se transporta immédiatement sur la frontière pour interposer sa médiation ; il se vit récuser d’une façon injurieuse. D’autres provocations suivirent bientôt ; à plusieurs reprises, les Zoulous franchirent la rivière Tugela et massacrèrent des noirs, sujets des Anglais. A la fin de juillet, deux femmes zoulous qui, pour se dérober aux mauvais traitements de leurs époux, s’étaient réfugiées sur le territoire anglais, y furent poursuivies par un lieutenant de Cettiwayo (Sivayo), ramenées de force au delà de la frontière et mises aussitôt à mort. De plus, des fugitifs zoulous informèrent plusieurs fois les autorités de Natal que le roi nègre, loin de se conformer aux conditions que le gouvernement anglais lui avait imposées lors de son couronnement, en revenait aux principes de conduite de ses devanciers, inondant le pays de sang innocent, dans l’unique vue de maintenir chez son peuple la pensée qu’il avait un droit absolu de vie et de mort sur tous ses sujets.

     

    A la fin, le gouvernement britannique, reconnaissant qu’en dépit de tous les efforts de conciliation, Cettiwayo cherchait à tout prix une querelle, se résolut à lui envoyer un ultimatum conçu en ces termes :
    - 1° – Le roi des Zoulous cessera les tueries arbitraires exercées par lui sur les siens ;
    - 2° – Il accordera une satisfaction pour les déprédations et les meurtres commis contre des sujets de la Grande-Bretagne ;
    - 3° – Il livrera le voleur et meurtrier Umbellini ;
    - 4° – Il réformera le système militaire, organisera une justice régulière, avec interrogatoire des accusés et déposition de témoins ;
    - 5° Un résident anglais sera installé à Ulundi, chef- lieu du pays.

    Un délai de trente jours était accordé au prince pour répondre à cette sommation ; toutefois, comme le gouverneur général n’avait que peu de confiance dans la soumission éventuelle de Cettiwayo à ces conditions, il eut soin en même temps de tout préparer en vue d’une action militaire possible.

     

    Les Anglais avaient alors à Natal 6 000 soldats d’infanterie, 1 200 cavaliers, 20 canons et 9 000 indigènes ; mais un sixième de ces forces environ était nécessaire pour les garnisons et pour la défense des lignes de communication. Parmi les 9 000 indigènes, se trouvaient des Basoutos montés, qui rendirent plus tard d’excellents services ; les 7 800 hommes de reste se composaient de Zoulous de la colonie qui, au cours des hostilités, se montrèrent des auxiliaires aussi nuls que peu sûrs.

    Le plan du commandant en chef, lord Chelmsford, était de faire avancer trois colonnes dans le Zoulouland, par le sud-ouest, le sud-est et le nord-ouest.

    Selon la tactique prussienne, ces colonnes devaient marcher séparément, mais se réunir pour combattre ; leur point de ralliement final était près de la résidence royale d’Ulundi. C’était là que le coup décisif serait porté à la puissance de Cettiwayo.

    Les chefs de chaque corps franchirent donc la frontière comme il suit : le général de brigade Pearson passa la Tugela au-dessus de Lower ; le colonel Glyn, le Buffalo près de Rorke ; le général Wood, le Blut River (Rivière de sang) à l’est d’Utrecht, avec la mission de couvrir en même temps le sud-est du Transvaal contre toute agression de l’ennemi. Une quatrième colonne, aux ordres du lieutenant Russel, était chargée de relier entre elles les trois précédentes.

     

    On attendait impatiemment dans tout Natal la réponse du roi Cettiwayo à l’ultimatum du gouvernement anglais. Depuis des années déjà, la population, inquiète et mal à l’aise, se sentait vivre sur un volcan qui, à chaque instant, pouvait faire éruption. Elle se demandait ce qui arriverait, si tout à coup les hordes féroces du prince voisin envahissaient les paisibles districts de la colonie, appelant à la révolte les 350 000 Zoulous du pays, enrégimentant tous ceux d’entre eux qui étaient capables de porter les armes, en vue d’une guerre d’extermination contre les odieux Umlungu (blancs).

    Les trente jours de répit s’écoulèrent toutefois sans que ce prince eût fait connaître sa décision. Le 10 janvier expira le délai. L’ultimatum était donc par le fait repoussé ; il ne restait plus qu’à recourir aux armes et à envahir le pays ennemi avant que l’adversaire eût eu le temps de franchir la Tugela et de prendre lui-même l’offensive.

    Dès le commencement de mai, époque où s’ouvre la saison froide et sèche, il devient possible de brûler les hautes herbes qui couvrent les districts nus du Zoulouland. Par ce vaste embrasement des pâtis régionaux, l’ennemi pouvait rendre absolument impraticable le transport des munitions et des vivres, opération en tout temps difficile dans une contrée où il n’y a point de routes.

    De là, pour les Anglais, la nécessité de marcher vite de l’avant, d’autant plus que, quelques jours plus tard, les bœufs, qui sont les bêtes de trait presque exclusivement en usage dans le pays, n’auraient plus trouvé de fourrage à manger.

    Personne alors, dans le camp britannique, ne songeait à user de porteurs, procédé dont Sir Garnet Wolseley fut le premier à prendre plus tard l’initiative ; et cependant, dans toutes leurs guerres antérieures, les Zoulous avaient donné le plus heureusement du monde, l’exemple de ce mode de transport, infiniment plus commode en soi, quelle que soit la nature du terrain, que le service par les bêtes de somme.

    Pour ces raisons, on désirait fort, dans le quartier général anglais, être en possession, avant la fin de mai, de la ville d’Ulundi ; mais, pour cela, il n’y avait pas un instant à perdre.

     

    Le 11 janvier donc s’entama la campagne. La première colonne, général Pearson, comprenait 1 500 hommes de pied, une compagnie du génie, deux canons de sept, 200 marins avec 3 pièces Gattling, 400 cavaliers et 2 000 indigènes. La seconde, lieutenant Russel, comptait 3 000 indigènes, 200 officiers européens, deux batteries à la congrève et 250 cavaliers indigènes. Dans la troisième colonne entraient sept compagnies du 1er bataillon du 24e régiment d’infanterie, 8 compagnies du 2e bataillon du même régiment, 6 canons de sept, un escadron d’infanterie monté, 150 gendarmes à cheval de Natal, trois détachements de volontaires coloniaux également à cheval, et 4 000 indigènes. Cette troisième colonne était accompagnée du commandant en chef, lord Chelmsford, et avait en outre à convoyer cent chariots à bœufs. La quatrième enfin, général Wood, destinée à couvrir la frontière du Transvaal, et à s’appuyer sur Utrecht et sur la ligne du Blut-River, était forte de 2 régiments d’infanterie (13e et 19e), de 6 canons, d’une troupe de cavalerie légère, ensemble 2 000 blancs bien acclimatés et solides, auxquels était adjoint un détachement d’indigènes.

     

    Suivons d’abord la marche du deuxième corps, commandé par le colonel Glyn. Franchissant le Buffalo le 11 janvier, il attaqua dès le lendemain le kraal du chef Sivayo, sis sur une montagne, et, après une demi-heure de combat, s’en empara et y mit le feu. Un fils de Sivayo périt dans l’action, qui valut aux Anglais la capture de 500 bœufs. On vit bientôt, en poussant plus outre, que les difficultés de transport pour les munitions et les vivres étaient encore pires qu’on ne l’avait pensé.

     

    La contrée était coupée de ravins que hérissaient d’inextricables fourrés d’euphorbes, de cactus et de mimosas, et semée d’énormes blocs de rocher dont il fallait souvent déblayer le chemin pour ouvrir un passage à la longue et lourde file des wagons. Parfois aussi, c’étaient des marécages où les gros véhicules enfonçaient jusqu’au-dessus des essieux. Pour se faire une idée de cette marche laborieuse, qu’on songe que l’armée était obligée d’emporter avec soi tout ce dont elle avait besoin pour se nourrir, s’habiller, s’équiper (farine, pièces d’étoffes, munitions, tentes, etc.), le pays par lui-même n’offrant comme ressources que quelques têtes de bétail épars qu’il fallait enlever de haute lutte aux pâtres zoulous chargés de les garder.

    Si l’on ajoute que chaque wagon du Cap ne peut porter que 6 000 livres de biscuit, soit la ration de 1 000 hommes pour six jours, et que, par un chemin à peu près praticable, son trajet quotidien est de quinze milles anglais, on voit quelle énorme quantité de chariots de ce genre était contrainte de traîner à sa suite une grande armée, pour une campagne de six mois environ et durant une marche de 150 milles au cœur d’un pays qui ne fournissait rien.

    La troisième colonne, de son côté, s’occupa, du 12 au 19 janvier, à tracer une route tant bien que mal carrossable jusqu’au pied du mont Insandlwana, où, le 20 fut établi un camp, qu’on eût dû essayer de mettre à l’abri d’une surprise en le munissant à la hâte de fossés et d’épaulements. Par malheur, on négligea cette précaution, et il s’ensuivit le plus lamentable désastre qu’ait jamais essuyé, au delà des mers, un corps de troupes britanniques.

     

    Cettiwayo, qui, grâce à ses nombreux espions, était toujours infiniment mieux renseigné sur les mouvements des Anglais que ceux-ci ne l’étaient sur les siens, opposait à leurs colonnes trois corps d’armée (Impis) : le plus petit se portait au nord-ouest à la rencontre du général Wood, tandis que le plus gros, fort de 20 000 hommes, marchait contre le colonel Glyn, et que le troisième (6 000 hommes) devait barrer le chemin à Pearson. De plus, le roi conservait auprès de lui à Ulundi une puissante réserve, destinée à faire face, le cas échéant, à une autre attaque dirigée contre lui par le nord, c’est-à-dire de la baie Delagoa.

    Le corps zoulou chargé de combattre les colonels Glyn et Durnford était commandé par Umnyamana et comprenait l’élite de l’armée, savoir :
    1° les Undi ou division de la garde (10 000 hommes) ;
    2° le régiment royal de Fulwana ;
    3° les Nkobamakosi (ces deux derniers régiments étaient connus pour être les béliers de l’armée, et il existait entre eux une telle jalousie qu’ils saisissaient toutes les occasions d’en venir aux mains) ;
    4° les Nokenké ou partageurs ;
    5° les Umhlemgas (assaillants), deux régiments nouvellement formés.

    A ce noyau s’ajoutait le corps Umcilyu, fort de 10 000 hommes et composé des Uvé, des Umbonambi (les mauvais regards) et des Nodwengu.

    On sait qu’en dehors de leur discipline admirable et de leur mépris de la mort, les troupes zoulous se distinguent par la célérité de leur marche et l’excellence de leurs manœuvres. Un Impi peut aisément fournir par jour un trajet de 40 ou 50 milles anglais, tandis qu’un corps anglais, entravé par ses convois d’approvisionnements, ne peut guère dépasser 15 milles. Chez les Zoulous, ce sont les femmes qui portent les vivres et les nattes de campement. Aussi, sur un sol rocheux et constellé de blocs, leur infanterie s’avance-t-elle plus vite que la cavalerie européenne. Un cours d’eau se rencontre-t-il, les guerriers poussent leur cri forcené, et se précipitent dans les flots ; les moins forts périssent au passage, mais le gros des miliciens atteint la rive opposée.

    Non moins remarquable est leur ordre de combat. Ils se forment en un long parallélogramme, sur les côtés minces duquel se déploient à droite et à gauche de longues escouades qui excellent à se masser prestement en demi-cercle, et s’efforcent d’envelopper l’ennemi, de manière à le prendre finalement aux deux flancs, tandis que le centre, couvert par une forte réserve placée en arrière, dirige une attaque de front contre le gros de la ligne adverse. Ces deux détachements de voltigeurs latéraux ressemblent à deux longues cornes de bœufs arquées, dont les pointes vont toujours s’allongeant, et finissent par enserrer l’ennemi pris entre elles. Les Zoulous eux-mêmes, en parlant des diverses parties de leur ordre de bataille, disent : la corne droite, la corne gauche, la poitrine (le centre) et les reins (la réserve). C’est à cette tactique du reste, introduite par le roi Chaka, qu’ils ont dû leurs succès militaires.

     

    Dans la nuit du 21 au 22 janvier, les 7 000 Umnyamanas campaient sans bruit et sans feux de bivouacs au pied des monts Nguto. Observant d’un coup d’œil perspicace les mouvements des Anglais, ils s’étaient aperçus que, le 21 au matin, une partie de leurs troupes, composée surtout d’indigènes, aux ordres du major Dartnell et du commandant Lonsdale, avaient quitté leur camp, non fortifié, on l’a vu, pour pousser une reconnaissance, à dix milles des monts Isandlwana, vers le kraal retranché du chef Matyana, en vue de choisir l’emplacement de leur prochain camp.

    Il ne leur échappa point non plus que, le soir du même jour, ce corps, au lieu de regagner ses positions, était resté à bivouaquer près du susdit kraal. Il en résulta que bientôt ce détachement avancé se vit brusquement investi par l’ennemi. Immédiatement, une estafette fut envoyée au camp afin de demander du renfort. Elle y arriva à deux heures trente minutes, et, à quatre heures et demie, une colonne de secours, composée de cavalerie et d’infanterie, avec quatre canons, se mettait en marche pour soutenir l’avant-garde menacée. Lord Chelmsford l’accompagnait en personne.

    Le crépuscule commençait à paraître lorsqu’elle se trouva à l’endroit indiqué, et là, quel fut le spectacle qui s’offrit à ses yeux ?

    Du détachement tout entier, il ne restait plus âme vivante. La place était jonchée de milliers de cadavres d’hommes, de chevaux et de bœufs. On voyait encore debout une partie des tentes anglaises ; mais, des cent chariots lourdement chargés, les uns étaient en pièces ou pillés, les autres avaient disparu. Des sacs de grains éventrés, des caisses de munitions vides, et des débris de toute sorte ajoutaient leur effroyable pêle-mêle à cette vaste hécatombe d’hommes et d’animaux. Tous les approvisionnements et tout le parc d’équipages de la colonne n° 3 étaient devenus la proie des Zoulous.

    Le reste du corps d’armée, dès lors privé de munitions et de vivres, n’eut plus qu’à se replier au plus vite, dans la nuit même, vers son point de départ du début, c’est-à-dire vers Rorke’s Drift.

     

    Voici ce qui s’était passé.

    Quand le commandant en chef des Zoulous eut la certitude que deux forts détachements de troupes anglaises avaient quitté leur camp, sans même avoir pris soin de le munir d’une levée de terre improvisée, il résolut de mettre à profit cette étrange incurie, et, le 22 janvier au matin, sans plus de retard, il attaqua le camp en question.

    Il s’y trouvait encore, à cette heure, 5 compagnies du 1er bataillon du 24e régiment (550 hommes et 16 officiers), 1 compagnie du 2e bataillon du même régiment (5 officiers et 80 hommes), 1 officier et 65 hommes d’artillerie avec 2 canons, 26 gendarmes à cheval, 4 officiers et 32 hommes des volontaires de Natal, appartenant aux meilleures familles de la colonie, 250 Basoutos montés, sous les ordres du colonel Durnford, 70 officiers et sous-officiers du contingent indigène de Natal, et 350 indigènes, sans compter une centaine de non-combattants demeurés à la suite de l’armée.

    Vers neuf heures et demie du matin, le colonel Durnford, informé par ses avant-postes que des masses de Zoulous s’approchaient du camp, entreprit avec ses cavaliers basoutos et la batterie à la congrève une reconnaissance du côté de l’est, tout en envoyant un petit détachement explorer les hauteurs sur son flanc gauche. Les troupes ennemies, on le reconnut, s’avançaient justement de l’est, par les hautes croupes des monts Insandlwana.

    A cinq milles du camp, le colonel se vit contraint de se replier : d’une distance de 800 yards, les Zoulous venaient d’ouvrir sur lui un feu nourri, et chassaient impétueusement devant eux la cavalerie basouto en retraite. La batterie à la congrève se trouva séparée des autres pièces, et les hommes qui la servaient mordirent la poussière.

    Il devint alors évident que les essaims d’indigènes qui débouchaient des montagnes à la gauche du camp représentaient la « corne droite » de l’armée ennemie ; celle-ci ne cessait de s’allonger à vue d’œil, tandis que, contre le front de la position anglaise, le centre et la « corne gauche » des Zoulous s’avançaient en masses noires et compactes.

    La marche en avant de l’ennemi s’était dessinée à dix heures du matin ; c’était comme une trombe roulante qui dévalait de l’est et du nord sur le camp britannique. Une demi-heure plus tard, les cavaliers basoutos étaient ramenés de vive force, et un terrible assaut commençait contre le front et le flanc gauche des Anglais.

    Si, au dernier moment, on eût formé un retranchement des chariots, comme l’ont fait avec succès les Boers dans leurs combats avec les Zoulous, on eût pu continuer à défendre le camp à l’aide de cette fortification improvisée. Malheureusement on ne songea pas même à cet expédient ; l’accès de la position demeura ouvert, et 2 000 noirs s’y précipitèrent au pas de course dans un mouvement furieux d’abordage.

    Il était midi et demi quand le combat s’engagea. Les Anglais reçurent les nuées d’assaillants par un feu continu ; mais les Zoulous, sans souci de ceux qui tombaient, poussaient de plus en plus devant eux. A chaque décharge, leurs rangs se jetaient à terre pour se relever ensuite, en criant : Amoya ! (ce n’est que du vent), et s’avancer de plus belle.

    Bientôt les munitions des Anglais se trouvèrent épuisées, et il fallut aller, en toute hâte, quérir de nouvelles cartouches aux chariots ; à ce moment, une troupe de guerriers se montra tout à coup sur leurs derrières. C’était le régiment de Nodivengu, fort de 4 000 hommes et faisant la « corne droite » de l’armée, qui venait de tourner les hauteurs à pic du mont Insandlwana, à l’abri duquel était le camp, et prenait à revers le corps britannique, en poussant d’épouvantables clameurs.

    Cette manœuvre décida de l’action. Une mêlée terrible commença, accompagnée d’un massacre sans nom. Pas un blanc ne réchappa pour pouvoir narrer de visu cette boucherie sinistre ; autant de combattants du côté des Anglais, autant de morts. Seuls, les quelques soldats qui étaient parvenus à quitter le camp avant ce dernier épisode de la lutte, et aussi des guerriers zoulous, dont plus tard on recueillit le témoignage, nous ont permis de reconstituer le drame. Les Anglais se défendirent en héros, et vendirent chèrement leur vie. Quand les munitions vinrent à leur manquer, ils eurent recours à la baïonnette.

    Une compagnie essaya de se frayer un passage jusqu’à la route de Rorke’s Drift. Vaine tentative ! Un monceau de cadavres marquait la place qu’elle avait occupée. Une autre gagna en combattant une crête de montagne ; tous ses hommes périrent un à un. A la fin, n’ayant plus de cartouches, et tous les chariots étant au pouvoir de l’ennemi, ce qui restait de blancs tomba sous une pluie de zagaies. Quant au contingent indigène, à la première attaque des Zoulous, il s’était dispersé comme un tas de fétus, s’enfuyant dans la direction de Rorke’s Drift ; les cavaliers basoutos, eux aussi, avaient réussi à battre en retraite du même côté. Néanmoins beaucoup des fuyards se noyèrent au passage du Buffalo ou furent tués dans la rivière même par les Zoulous qui les poursuivaient. Quarante blancs seulement, des non-combattants pour la plupart, parvinrent à gagner la rive opposée du fleuve.

    La liste nécrologique publiée plus tard dans les journaux anglais contient les noms de 27 officiers et de 775 soldats blancs. Avec les indigènes de Natal tués dans la même journée, le nombre total des victimes est de 1 000 environ, sans préjudice de 2 canons, de milliers de fusils, de 1 600 bœufs et de 100 chariots tout chargés, qui restèrent aux mains des Zoulous.

    Ceux-ci n’avaient pas été non plus sans essuyer des pertes sensibles ; les régiments Nkobamokosi et Umbonambi avaient chacun 600 hommes de moins, le corps Umcitvu était diminué de 800 soldats ; en tout, l’armée de Celtiwayo avait bien perdu de 2 600 à 3 000 guerriers. Quant au nombre des blessés survivants, toujours si considérable dans nos guerres d’Europe, il était ici absolument nul, attendu que les Zoulous ont coutume de les achever sur la place, les leurs aussi bien que ceux de l’ennemi.

    A deux heures et demie, le carnage était terminé, et les vainqueurs se mirent à piller tumultuairement les fourgons anglais. Comme entre autre butin, ils y trouvèrent des quantités de spiritueux, au lieu de mettre tout de suite à profit leur succès pour faire irruption dans la colonie de Natal, laquelle s’offrait à eux sans défense, ils se livrèrent à une vaste orgie, et les régiments qui avaient été les héros de la journée, rebelles aux ordres de leurs chefs, et satisfaits des lauriers conquis, se débandèrent immédiatement pour regagner par petits détachements leurs kraals respectifs.

    Ce fut ce qui sauva la population blanche de Natal, qui, autrement, je l’ai dit plus haut, eût pu s’attendre à une extermination radicale ; comme l’armée d’Annibal à Capoue, les Zoulous, après leur victoire d’Insandlwana, s’oublièrent dans les délices du repos.

    Un seul corps, celui des Undi ou garde royale, qui, tenu en arrière comme réserve, n’avait pas participé à l’action, se fit un devoir de pousser en avant jusqu’à Rorke’s Drift, pour refouler vers Natal les Anglais qui y étaient postés. La garnison de cette place avait appris, à trois heures, de la bouche de noirs fugitifs, le terrible désastre de la journée. En tout, elle ne se montait pas à plus de cent quatre hommes, sous les ordres du lieutenant du génie Chard : c’était la compagnie B du 2e bataillon du 24e régiment, plus quelques malades logés dans un petit hôpital.

    A la nouvelle de l’événement, cette poignée de soldats se barricadèrent au moyen de chariots et de sacs, et, plus avisés que le corps anglais qui venait de subir un sort si néfaste, ils prirent soin de creuser un fossé.

    Une heure après, les Undi paraissaient, et l’attaque commençait.

    Ce combat de Rorke’s Drift représente un des épisodes militaires les plus glorieux de l’histoire britannique ; on pourrait l’assimiler à la défense des Thermopyles.

    Cent quatre Anglais y soutinrent le choc furieux de quatre mille Zoulous, qui, se ruant par masses et avec d’effroyables clameurs contre les gabionnades de l’ennemi, s’y brisaient comme contre un mur de rocher. Des piles de cadavres s’amoncelaient devant la levée de terre. Douze heures durant, c’est-à-dire toute la nuit jusqu’à quatre heures du matin, cette lutte épique se poursuivit sans discontinuer.

    A six heures du soir, les Anglais, trouvant leur première ligne de défense trop étendue, se retirèrent dans un nouveau retranchement plus étroit, improvisé à l’aide de caisses. Les Zoulous ayant mis le feu au petit bâtiment d’ambulance, il fallut, à grand’peine, en retirer les malades ; quatre soldats, la baïonnette au poing, en fermèrent l’accès jusqu’à ce que le dernier invalide l’eût évacué.

    Quelques Zoulous osèrent saisir avec leurs mains les canons des fusils, pour tâcher de les arracher à ceux qui les tenaient ; ils tombèrent tous transpercés. Après minuit seulement, le combat corps à corps cessa : trois cent cinquante cadavres de Zoulous étaient empilés devant la barricade.

    Jusqu’à quatre heures, la lutte se continua à coups de fusil, et enfin, à la pointe du jour, les assaillants disparurent derrière les montagnes.

    A sept heures, un nouveau groupe d’ennemis s’avança, mais sans tenter derechef une attaque : lord Chelmsford arrivait alors débloquer la place avec les deux fractions de la troisième colonne qui avaient quitté, le 21 et le 22 janvier, le camp d’Insandlwana et étaient en train de regagner Natal.

    Au cours de sa lutte héroïque de douze heures, la petite garnison de Rorke’s Drift n’avait eu que dix-sept morts et dix blessés ; les Zoulous avaient perdu plus de cinq cents hommes.

    De nouveau, par cet acte de bravoure, la colonie se trouvait sauvée. Au lieu de songer à passer la frontière, les Undi se replièrent du côté d’Ulundi. Quand le régiment Fulwana parut dans le kraal royal, Cettiwayo remarqua aussitôt les vides qui s’étaient faits dans ses rangs : « Où sont donc les autres ? » demanda-t-il avec impatience. Les autres gisaient dans les hautes herbes, devant la petite barricade de Rorke’s Drift.

    Plusieurs jours après, on trouvait encore, aux alentours de la place, des corps de Zoulous ; c’étaient sans doute des blessés qui s’étaient traînés jusque-là au travers du gazon, et que leurs camarades ou des indigènes de Natal avaient pris soin d’achever. Longtemps, dans les alentours, il régna une acre odeur de carnage, et, quand le vent soufflait de cette direction, c’était à peine si l’on pouvait respirer.

    Peu à peu aussi – spectacle poignant – apparurent quelques survivants de la catastrophe d’Insandlwana ; c’étaient, non pas des hommes, mais des chiens. Les pauvres bêtes arrivaient toutes efflanquées, et la faim aux dents, le corps criblé de coups de zagaies. Leur flair merveilleux les avait guidés vers le poste anglais le plus proche, et il fallait les voir sautiller d’allégresse, en reconnaissant les « habits rouges ».

    C’est ainsi que, le 5 février, c’est-à-dire quinze jours après le massacre, on vit, à l’heure matinale où s’ouvraient les portes de la place, arriver en bondissant un superbe chien de chasse, aux côtes saillantes : c’était celui du colonel Degacher, que celui-ci, lors de sa marche contre Matyana, avait laissé au camp d’lsandlwana. Le fidèle animal avait, dans la nuit, franchi à la nage la rivière des Buffles et était venu se coucher devant le fort, demandant qu’on lui permît d’y entrer. Son corps, à lui aussi, n’était qu’une plaie, grâce aux coups d’épieu.

     

    Le désastre d’Insandlwana convainquit le général Chelmsford que le gouvernement britannique avait jusqu’alors trop dédaigné la puissance militaire des Zoulous ; il reconnut que les 7 200 blancs et les 9 000 indigènes dont se composait le corps expéditionnaire envoyé contre Cettiwayo était une force insuffisante pour avoir raison d’une armée aussi brave et aussi bien exercée  que l’était celle de ce prince, et d’autant plus, qu’à partie contingent basouto, il était impossible de faire fonds sur l’appoint des indigènes auxiliaires.

    Il réclama donc avant tout de la métropole, à titre de renforts, 3 régiments d’infanterie, 2 de cavalerie, une compagnie du génie, 100 hommes d’artillerie, et prit ses mesures pour que, dans l’intervalle, les troupes envoyées dans le Zoulouland demeurassent sur la défensive, s’occupant de se fortifier soigneusement, et pour que, sur le territoire de Natal, tous les camps établis dans les petites villes et villages ou aux alentours fussent également mis en état de défendre la population contre une attaque éventuelle de l’ennemi.

    L’effet de ces précautions fut de réagir contre la panique qui s’était emparée des habitants, à la nouvelle de la catastrophe d’Isandlwana, et avait poussé tous les blancs du pays à chercher un refuge dans les villes. Heureusement aussi que les pluies d’été, qui étaient quelque peu en retard, se mirent à tomber et grossirent tellement les rivières Tugela et des Buffles que, jusqu’à nouvel ordre, les Zoulous se trouvèrent dans l’impossibilité de les franchir.

    Dans la colonie de Natal, les villes de Newcastle, de Stanger, de Pietermaritzburg et de Durban furent fortifiées, et les citoyens s’y exercèrent avec zèle au service militaire. Au Cap, 2 000 volontaires, dont 1 700 à cheval, se réunirent aussitôt pour tenir garnison dans les localités frontières et rendre ainsi les troupes régulières disponibles pour le Zoulouland.

     

     

     

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