La bataille de Dijon
D’après « La guerre à Dijon, 1870-1871 » – Lieutenant-colonel Raymond de Coynart – 1873
Le colonel Fauconnet arriva le 28 au matin à Auxonne ; il avait l’ordre de réoccuper Pontailler ou de couvrir Dijon en s’établissant à Arc-sur-Tille, point de réunion des routes venant de Pontailler ainsi que de Mirebeau. La seconde ligne d’obstacles préparés d’avance, passait près de ce bourg ; il s’y fit seulement une tentative de concentration.
Telle fut l’expédition en deux parties, entreprise pour la défense du département. Tel fut le résultat de l’exécution des prescriptions ineptes formulées dans le décret du 14 octobre 1870 sur l’état de guerre : un combat mal engagé dans une position défectueuse, une surprise par suite d’une absence totale d’intelligence du terrain, et une débandade équivalant à une déroute. Si la direction de cette expédition inévitablement désastreuse soulève justement une critique sévère, il y a eu des traits nombreux d’admirable courage ; si les chefs et ceux qui les ont mis en mouvement étaient étrangers aux premières notions de la guerre, les soldats ont, pour la plupart, compris leur situation et supporté les plus pénibles épreuves sans faillir à leur devoir.
Le nouveau commandant en chef, colonel Fauconnet, avait prescrit dès son arrivée, le 27, de préparer la défense de Dijon. Mais après, avoir reconnu les abords de la ville, son opinion se modifia, il lui parut que la défense contre de l’artillerie était impraticable. Il partit le soir même pour Auxonne, d’où il se rendit à Arc-sur-Tille ; bientôt il jugea que la résistance serait inutile avec les ressources dont il pouvait disposer, et il revint le soir à Dijon accompagné du commandant en chef qu’il remplaçait.
Toutes les troupes étaient en marche sur Auxonne et Beaune. Le corps allemand se dirigeant vers Dijon était évalué à vingt-cinq ou vingt-huit mille hommes avec les chevaux et le matériel d’artillerie proportionnés, soit cinq à six mille chevaux et quatre-vingts bouches à feu.
Il y avait dans la ville des mobilisés de l’arrondissement de Semur, des mobiles de divers pays avec une partie des troupes qui avaient combattu à Talmay et près de Saint-Seine. Dans la soirée, il était arrivé un bataillon du 90e régiment d’infanterie, ainsi que des gardes mobiles de l’Yonne ; il serait difficile de préciser le chiffre de ces troupes, le désordre était partout.
Le colonel Fauconnet déclara vers huit heures du soir que la question de la résistance en avant de Dijon, ou dans la ville même, n’était pas du ressort du comité militaire ; que la solution de cette question appartenait au conseil de guerre convoqué pour neuf heures, et qu’il allait se retirer à l’effet de présider ce conseil composé de tous les chefs de corps présents à Dijon.
C’était juste, mais c’était contraire à l’esprit comme à la lettre des prescriptions du ministre de l’intérieur et de la guerre qui, singeant les actes des premières campagnes de la révolution, avait introduit une foule de personnages civils plus ou moins militarisés, brodés et galonnés, dans l’organisation des forces nouvelles, pensant que leurs opinions républicaines en feraient des héros. Le préfet ou administrateur provisoire sollicita son admission au conseil ainsi que celle du maire, de deux membres civils du comité militaire et de l’ancien commandant en chef.
Le colonel Fauconnet consentit à les recevoir avec voix consultative seulement. Mais après une courte discussion, les cinq personnes tolérées furent invitées à se retirer.
Au bout de trente minutes, le colonel Fauconnet fit savoir le résultat de la délibération. Le conseil de guerre avait jugé la résistance impossible et faisait continuer la retraite des troupes sur Beaune ; l’exécution suivit immédiatement sur le chemin de fer et sur la route.
Le maire, prévenu par l’administrateur provisoire, se hâta de convoquer le conseil municipal et lui demanda s’il n’était pas nécessaire, à raison des forces ennemies annoncées et du départ des troupes organisées, de procéder au désarmement de la garde nationale, afin d’éviter que les fusils fussent pris ou brisés. Il y avait, dans le conseil quelques hommes qui voulaient défendre à outrance les rues de la ville, sauf à la faire détruire ou dévaster, comme il était arrivé dix jours avant à Châteaudun, sans aucun avantage pour la résistance du pays. Les autres plus calmes, mieux inspirés et plus logiques, étaient d’un avis contraire : ils formaient la majorité. Le désarmement fut décidé à une heure du matin, et au point du jour, tous les fusils déposés à la gare étaient envoyés dans la direction de Beaune.
Il y eut dans cette nuit de trouble et de désespoir quelques actes de pillage et de dévastation très fâcheux. Plusieurs fermetures de cafés ou de boutiques ont été brisées ; on prit, en particulier, tout le tabac d’un certain nombre de débits.
Peu de temps après, le bruit se répandit que les Allemands n’étaient pas aussi nombreux qu’il avait été dit, que la retraite de Pontailler sur Auxonne et Beaune était le résultat d’une panique.
L’évacuation du matériel réuni au siège du comité militaire, armes, munitions, étoffes, denrées, continuait ; mais un certain nombre de ces objets furent pris. Une grande agitation régnait dans la ville ; l’administrateur provisoire reçut plusieurs députations ou manifestations demandant la résistance, il la promit. Il a été dit que cette promesse exprimait son opinion.
Un document publié quelque temps après, répondant à un article emphatique et mensonger du Moniteur de Tours, porte que ce fonctionnaire, ému des bruits relatifs à la force des Allemands et « pensant qu’en effet il y avait possibilité de résister aux troupes signalées », se rendit à Beaune afin de demander au colonel Fauconnet de ramener à Dijon les forces qui en étaient parties dans la nuit. Les deux renseignements se trouvent d’accord en ce qui concerne l’opinion du préfet.
En même temps, le maire demandait par le télégraphe le retour des armes de la garde nationale, et il envoyait deux officiers de cette garde à Beaune pour assurer et hâter l’exécution de sa demande.
Quelques cavaliers allemands s’approchèrent à la fin de la journée du parc de Montmuzard ; des volontaires isolés firent feu sur eux, ils se retirèrent sans riposter.
Pendant la nuit du 29 au 30 octobre, le colonel Fauconnet revint avec un bataillon de mobiles de l’Yonne, un détachement de mobiles de la Lozère et de la Drôme, environ cent-cinquante francs-tireurs du Rhône et mille soixante hommes comprenant cent soixante chasseurs à pied du 6e bataillon, partis d’Auxonne, plus des détachements des 71e et 90e régiments d’infanterie, en tout moins de trois mille hommes.
Les fusils revinrent dans la matinée et furent aussitôt distribués aux gardes nationaux. Dès leur arrivée, les troupes furent envoyées vers Arc-sur-Tille et Arcelot, c’est-à-dire sur les deux routes de Gray à Dijon.
Il est nécessaire, pour l’intelligence des faits, de donner ici quelques indications topographiques sur le terrain environnant le chef-lieu de la Côte-d’Or.
Cette ville est située au point où l’Ouche, rivière de médiocre importance, quitte une vallée profonde dirigée de l’ouest à l’est, avec des versants à pentes rapides et escarpées, pour entrer dans une vaste plaine onduleuse dont la largeur, de l’ouest à l’est, varie entre quinze et vingt kilomètres, qui commence en réalité à six kilomètres au nord de la ville et s’étend au sud jusqu’à la Saône. Suivant une pente générale vers le sud-est, le relief des hauteurs qui entourent la plaine au nord et à l’est ne dépasse pas soixante mètres ; celui des ondulations est à peine de trente ; la Tille, en coulant du nord au sud, baigne le pied des hauteurs de l’est ; la Norges et plusieurs ruisseaux arrosent les dépressions laissées entre les petites collines.
L’ensemble a un aspect découvert, bien qu’il s’y trouve quelques bois. La ville est dominée au levant par un mamelon bas à pentes douces. Le parc de Montmuzard, clos de murs, occupe sur une longueur d’environ six cents mètres toute la pente depuis le sommet jusqu’au faubourg Saint-Nicolas ; le mamelon s’étend de Saint-Apollinaire à Mirande. Il règne à l’ouest une suite de contre-forts boisés à versants rocheux, divisés par des vallées analogues à celle de l’Ouche.
Les mamelons de Fontaine, de Talant et de la Motte-Giron ou de Bel-Air, sont détachés de cette chaîne et dominent Dijon à environ trois ou quatre kilomètres au nord-ouest et à l’ouest, avec un relief de cent cinquante à cent soixante-dix mètres. Les deux premiers sont séparés du massif des collines par une large et profonde dépression qui permet de voir le pays à une grande distance ; il en est de même à la Motte-Giron. Pour occuper Dijon en venant de l’ouest, il faudrait commencer par se rendre maître des deux villages, ce qui n’aurait lieu qu’avec des pertes considérables.
La route de Paris par Châtillon et Troyes passe entre Fontaine et Talant ; Daix est au pied d’un contrefort à deux kilomètres de Fontaine ; Hauteville, à trois kilomètres, est sur une croupe élevée qui se dirige de l’ouest à l’est en inclinant un peu au nord, pour finir au village d’Ahuy.
Les routes de Langres, d’Is-sur-Tille et de Gray parcourent la plaine onduleuse. Celle d’Auxonne est sur la rive gauche de l’Ouche ; celle de Beaune suit le pied des hauteurs de l’ouest qui constituent la côte d’Or.
Telle est la disposition du terrain aux environs de Dijon. En regardant la carte, il est facile de comprendre qu’un corps ayant mission de s’établir dans la ville ne se présenterait que par les routes de Langres, de Gray, ou par le chemin de Mirande parallèle à la route d’Auxonne.
Au point du jour, le détachement de cent soixante chasseurs du 6e bataillon rejoignait près d’Arc-sur-Tille environ trois cents volontaires, francs-tireurs et gardes nationaux de Dijon. Les détachements d’infanterie et de garde mobile les soutenaient.
Les Allemands, forts de deux brigades mixtes, étaient partis de Mirebeau et de Talmay dès le matin. Vers neuf heures et demie, la tête de la colonne venant de Mirebeau, sous les ordres du prince Guillaume de Bade, arrivait à Magny-Saint-Médard où elle apprenait que des détachements français avaient paru à l’ouest d’Arc-sur-Tille pour disputer le passage, ainsi qu’à Orgeux, sur la route de Fontaine-Française ; un détachement de deux cent cinquante hommes partit aussitôt, en appuyant à droite vers Orgeux pour attaquer Varois par Chaignot. Une batterie d’avant-garde ouvrit, de la route d’Arc-sur-Tille, le feu contre Chaignot et Varois, où la route venant de Pontailler se joint à celle de Fontaine-Française.
Entre la Tille et la Norges, le terrain est plat, boisé, humide et coupé de prairies. Orgeux, village assez important, touche la Norges et la route sur une petite élévation. Chaignot est dans une situation analogue à un kilomètre de Varois. Le village de Couternon est à la même distance au sud de la route d’Arc-sur-Tille et sur la rive droite de la Norges. Quetigny, à trois kilomètres et demi au sud-ouest de Couternon, est sur le versant du mamelon allongé situé à l’est de Dijon.
Un détachement de cinq cents hommes environ attaqua Couternon d’où les volontaires tiraient sur la colonne allemande, et il continua son mouvement vers Dijon par Quetigny. Ce détachement formait l’aile gauche de l’ennemi ; il devait, comme celui qui avait été envoyé à Orgeux, prendre en flanc les défenseurs de la route. Dans ces conditions, les Français ne purent résister utilement ; toutefois la compagnie de chasseurs, par sa bravoure et la justesse de son tir, infligea aux Allemands des pertes relativement importantes.
Les abords de Quetigny furent énergiquement défendus. La cavalerie s’étendit sur les deux flancs ; l’infanterie fut déployée et occupa bientôt après Saint-Apollinaire ; il était environ une heure. A ce moment, les différents détachements de troupes, ralliés et déployés dans les vignes, firent une vigoureuse résistance ; mais une portion était mal armée. L’infanterie de ligne seule avait des fusils à tir rapide ; ils avaient devant eux une brigade de six mille hommes qui allait être appuyée par une force égale. Ils durent quitter le sommet du mamelon et se rapprocher de la ville.
Au moment où l’ennemi occupait Saint-Apollinaire, les gardes nationaux sédentaires jusqu’à soixante ans étaient appelés sous les armes. Ils avaient repris des fusils le matin, des cartouches leur furent distribuées et ils furent conduits par détachements de compagnies vers le point où la route de Gray sort de Dijon.
On avait élevé sur cette route et au moyen de traverses apportées des dépôts du chemin de fer, une espèce de barricade, à peu de distance au delà du parc de Montmuzard. La route était barrée, mais le passage était libre à droite et à gauche, sans autre obstacle que les vignes. Il fallait le préjugé qui, dans certaines opinions politiques, exalte les barricades, pour suggérer l’idée de construire un obstacle aussi dépourvu d’utilité, à moins de cent mètres de la longue muraille du parc de Montmuzard, qui pouvait être crénelée en quelques minutes, dont la face nord prend d’écharpe la route et dont la face ouest borde la même route de manière à la rendre absolument impraticable ainsi que le terrain situé au delà.
La première ligne allemande occupait la crête du mamelon de Saint-Apollinaire ; une batterie fut placée au nord-ouest du village, elle prenait en flanc les troupes qui descendaient vers la ville et envoyait ses obus sur le faubourg Saint-Nicolas.
La caserne des Capucins et une grande brasserie qui la touche, principaux bâtiments du quartier, paraissent avoir été l’objectif de l’artillerie allemande. Un grand nombre d’obus y tomba et produisit beaucoup de dégâts, mais heureusement sans y allumer d’incendie, ce qui eût été très grave, la caserne étant le siège d’une ambulance qui contenait un certain nombre de malades et où furent apportés pendant le combat plus de soixante blessés, entre autres le brave et digne colonel Fauconnet.
Les bouches à feu ennemies ont été emmenées, vers quatre heures, au sud du parc de Montmuzard, un peu en avant de Mirande ; elles battaient à la fois la pente du mamelon, les abords et l’intérieur de la ville. Malgré notre infériorité numérique, l’absence d’artillerie et de cavalerie de notre côté, la résistance fut assez vive pour que toute la brigade des grenadiers-gardes du corps badois fût engagée sur deux lignes et pour que la marche de la troisième brigade fût pressée de manière à lui faire prendre part à l’action.
Les détachements de la garde nationale sédentaire, en arrivant sous le feu de l’ennemi, furent ébranlés par le choc des fractions de gardes mobiles qui descendaient de Montmuzard. Déployés alors en tirailleurs, ils restèrent isolés, n’ayant pas tous leurs officiers à leur tête, et certainement sans aucun but déterminé pour l’ensemble ; cela neutralisait leur action.
Les fermes de la Boudrenée et de la Maladière qui touchent la ville au bas de la pente du mamelon oriental, que les gardes nationaux avaient abandonnées, furent occupées par les Allemands, qui attaquaient en même temps les maisons et les clôtures extérieures. La fusillade était soutenue activement du faubourg Saint-Nicolas au faubourg Saint-Pierre, tandis que l’artillerie ennemie continuait à tirer. A quatre heures, les derniers détachements étaient rentrés en ville, après avoir perdu quelques hommes et sans qu’il eût été possible d’atteindre l’ennemi.
Le combat fut plus sérieux au sud-est entre Mirande et la route d’Auxonne, où une ligne française de tirailleurs essaya bravement de faire taire la batterie placée au sud de Montmuzard ; cette ligne se composait en grande partie des chasseurs du 6e bataillon qui ont, toute la journée, déployé la plus grande valeur. Ils étaient soutenus par les francs-tireurs du Rhône, par ceux de la Côte-d’Or, quelques gardes nationaux et des soldats d’infanterie. Le terrain où était livré ce combat est couvert de vignes ; les échalas qui soutiennent les sarments étaient encore en place, ce qui favorisait l’action individuelle. Néanmoins la ligne, attaquée par une force quadruple, dut se replier et rentrer en ville par le faubourg Saint- Pierre. La fusillade se prolongea près de la place du même nom, sans que la rue Chabot-Charny, qui vient y aboutir, fût envahie.
En remontant vers le nord, la défense resta vigoureuse également jusqu’à la fin. La rue Chancelier-l’Hôpital, au bout de laquelle avait été construite une barricade insignifiante, ne fut occupée qu’à son extrémité extérieure, à la route de Mirande ; mais elle a été sillonnée par un certain nombre d’obus.
Il y avait une assez forte barricade à la porte Neuve, où l’ennemi fit le plus d’efforts pour pénétrer dans la ville, bien que ce fût le passage le plus facile à défendre. Au sud, il reste des anciennes fortifications, un bastion revêtu presque intact ; son terre-plein est le jardin d’une maison particulière, il est emplanté de grands arbres. Au nord, se trouve un rempart avec un mur d’appui en pierres, ayant à peu près un mètre d’épaisseur. Le rempart est en ligne droite, couvert par deux grands ouvrages en terre, remplaçant des bastions, dont les flancs sont perpendiculaires aux courtines selon le système de Deville. La cunette de ces ouvrages passe sous le pont en pierres qui donne accès dans la ville au bout de la rue Jeannin. La barricade était en arrière du pont. Les enclos et les maisons de l’extérieur avaient été pris successivement et avec peine par l’ennemi, mais des tirailleurs placés dans le bastion et sur le rempart croisaient leurs feux contre le débouché de la rue de Gray venant de la place du Marché au Foin et de Montmuzard. La colonne allemande qui attaqua la barricade fut maintenue sinon repoussée ; le capitaine qui la commandait fut tué.
Les défenseurs sur ce point comprenaient des gardes nationaux sédentaires, quelques soldats et des francs-tireurs ; le colonel de la garde nationale était avec les premiers qui occupaient le rempart en face de la rue de Gray. Resté debout au milieu des projectiles, tandis que les autres se couvraient par le mur d’appui, il avertissait dès que l’ennemi paraissait à bonne portée, pour que le feu fût plus sûr. L’échec des Allemands dans leur attaque est certainement dû à cet acte intrépide.
Au nord de la porte Neuve, à la sortie de la ville par le faubourg Saint-Nicolas, le pourtour de Dijon se forme de quelques maisons et de beaucoup de jardins clos de murs. La route de Gray, qui pénètre sur ce point, tourne deux fois avant d’arriver à la place Saint-Nicolas, vaste espace d’où partent encore la route de Langres et celle de Ruffey. Les troupes, obligées de quitter les hauteurs de Montmuzard et de Saint-Apollinaire, convergeaient vers cette place où quelques détachements furent ralliés par le commandant Regad.
Un écrit anonyme attribue le même rôle au préfet provisoire ; je n’ai pas pu vérifier cette assertion.
Il était alors quatre heures et demie ; la troisième brigade badoise venait d’entrer en ligne. Le 5e régiment fut dirigé avec les pionniers vers l’embranchement des deux lignes der chemins de fer. Ces troupes coupèrent dans la soirée le pont du canal sur la direction de Lyon, enlevèrent des rails sur celle de Besançon et détruisirent les fils télégraphiques. Les projectiles tombaient sur la ville et les défenseurs devenaient de moins en moins nombreux.
Bien qu’il vît dès midi la situation telle qu’il l’avait prévue, le colonel Fauconnet, essayant un retour offensif sur la route de Gray, avait été mortellement blessé en avant de la barrière d’octroi. Il fut transporté à l’ambulance établie dans la caserne des Capucins, sur la rue de Pouilly, où passe la route de Langres. Là son premier soin, après avoir dicté un touchant adieu à sa famille, fut de dire à M. l’abbé Drouhin qui l’assistait : « La résistance est inutile, on n’empêchera pas l’ennemi d’entrer ; faites-le dire aux autorités de la ville ». Le chirurgien en chef de l’ambulance écrivit aussitôt cette affirmation au maire.
Quelques instants plus tard, le commandant Regad, qui remplaçait le colonel Fauconnet, vint à l’hôtel de ville donner le même avis.
Vers cinq heures, la municipalité avait ordonné d’arborer le drapeau blanc parlementaire au sommet de la tour du palais. Des coups de feu ayant été dirigés sur l’homme chargé d’exécuter cet ordre, par des amateurs de la résistance extrême, restés au milieu de la ville pendant le combat, cet homme laissa tomber le drapeau qui, arboré un moment après, fut maintenu ; mais la fusillade et le feu des batteries continuaient.
Bientôt cependant les Allemands se retirèrent, avec lenteur il est vrai, quoique d’une manière certaine. On entendait, du centre de la ville, la fusillade s’atténuer ; le feu de l’artillerie cessa peu après six heures.
Une députation formée des trois adjoints au maire, après plusieurs tentatives infructueuses faites par d’autres personnes, partit pour le quartier général allemand. Elle put arriver, après quelques informations auprès du prince Guillaume de Bade, commandant la première brigade établie à Saint-Apollinaire, puis engager à Varois, vers trois heures du matin, une négociation qui mit fin aux hostilités.
D’après le rapport du général de Beyer traduit d’un journal allemand, le général de Werder ayant appris le 29 que Dijon n’était pas occupé par des troupes françaises et que la municipalité avait renoncé à toute résistance armée, donna l’ordre au commandant de la division badoise d’occuper la ville le 30, d’y rester quelques jours, et d’y faire pour les troupes des réquisitions de vivres ainsi que d’habillements. Ces prescriptions indiquent d’une façon très claire que le général prussien avait exactement jugé le défaut d’importance militaire du chef-lieu de la Côte-d’Or, qui n’a été en effet pour lui et ses soldats qu’un grand magasin réuni à un bon restaurant.
Sous cette pensée dominante, il avait encore été prescrit au général de Beyer de n’acheter en aucun cas par de grands sacrifices l’occupation de Dijon, et de traiter la ville avec douceur. En conséquence, les troupes reçurent l’ordre de ne pas persister dans l’attaque des voies d’entrée et de se retirer. Le général avait à sa disposition une artillerie suffisante pour faire cesser en peu de temps toute espèce de résistance.
Pendant le combat et avant leur retraite, les Allemands les plus avancés vers la partie orientale de la ville mirent le feu à sept corps de bâtiments : dans la rue Chancelier-l’Hôpital, aux Allées de la Retraite, sur un ancien glacis près de la porte Neuve et à la place du Marché au Foin. Cette rigueur était inutile et paraît être l’exécution d’un ordre général analogue à ceux dont on trouve des traces au commencement de ce siècle et même en Afrique.
La tentative de résistance improvisée le 29 ne pouvait avoir d’autre résultat qu’une défaite et une dévastation sans aucun avantage même moral pour le pays. La petite place d’Auxonne n’était pas en mesure de détacher la moindre troupe au secours de Dijon, ce qui d’ailleurs fût resté inutile. M. Garibaldi n’était ni de force ni d’humeur à se déplacer, bien que M. Bordone affirme que son chef s’est avancé sur le chemin de fer jusqu’à la station de Crimolois, entre Genlis et Dijon. Il a voulu désigner peut-être la station de Magny. Il ne dit pas que son chef était seul et n’indique aucune troupe avec lui ; cette assertion paraît être une simple fantaisie.
Le colonel Fauconnet, qui jugeait très bien la situation dès le 27, avait eu parfaitement raison de décider la retraite des troupes le 28 ; il paraît être revenu de Beaune sur le renseignement fantastique reçu dans la journée du 29, et en cédant aux pressantes instances de l’administrateur ainsi que d’autres autorités dont le sentiment primitif s’était modifié sous l’influence des manifestations insensées d’une partie de la population.
Cet officier supérieur a dû reconnaître, aussitôt après l’engagement de l’action, quelle en serait l’issue, mais il a néanmoins dirigé la résistance aussi bien qu’il était possible de le faire et avec une énergique abnégation. Assuré de l’insuccès, il a fait les plus grands efforts pour continuer la lutte, et c’est lorsqu’il effectuait une tentative suprême qu’il a reçu le coup mortel. Il a montré dans cette douloureuse circonstance les qualités les plus essentielles du militaire en accomplissant son devoir de soldat, en exécutant des mesures dictées par la jactance et l’ineptie, qui ne pouvaient être que fatales ; il le savait, il le voyait, et il a continué jusqu’à la mort. Dijon doit honorer sa mémoire.
Les soldats, beaucoup de gardes mobiles, de francs-tireurs et de volontaires ont déployé un courage souvent intrépide, ils ont combattu avec bravoure et persévérance, ils ont perdu la moitié de leur effectif, sans aucun avantage pour la défense générale du pays. Les prescriptions du gouvernement de Tours ont ainsi amené partout un vrai gaspillage de forces qui, réunies et convenablement dirigées, eussent sauvé la France.