Le combat de Dogba
D’après « La France au Dahomey » – Alexandre L. d’Albéca – 1895
Le 11 septembre, le colonel Dodds quitte Porto-Novo, sur l’Opale, avec son état-major, et arrive au bivouac de Késossa. Après avoir dégagé le Décamé, assuré sa base d’opérations et la ligne de ravitaillement, le commandant supérieur rabattait vers l’ouest les différentes fractions de la colonne et, avec les renforts débarqués du Mytho, commençait la marche sur Abomey par la rive gauche de l’Ouémé.
Le Dahomey proprement dit est sur le côté opposé ; la route la moins rude et la plus directe, d’après les renseignements du roi Toffa et de quelques esclaves évadés, va de Tohoué vers le nord-ouest. La concentration s’opère lentement. Il faut constamment débroussailler pour traverser des pays fourrés peu propices aux évolutions d’un corps d’armée.
Les tentes ne suffisant pas pour abriter des ardeurs du soleil, dont les rayons pernicieux peuvent provoquer des insolations, la construction rapide d’abris de feuillage est prescrite à l’arrivée à l’étape.
Le cantonnement chez l’habitant n’est guère possible. Pour traverser les ruisseaux et les marécages et faire passer les canons et les voitures Lefèvre, il faut construire des ponts. Les berges de l’Ouémé s’escarpent au fur et à mesure qu’on s’élève vers le nord.
Pour faciliter le débarquement des vivres et du matériel, le génie doit aménager des rampes d’accès à chaque point de rassemblement. Le convoi flottant, composé de 20 chalands et de 100 grandes pirogues, suit les mouvements, remorqué par les canonnières entourées de plaques de blindage.
Le 12 septembre, la colonne se concentre tout entière à Késossa. Elle est constituée de la façon suivante, les cadres des troupes indigènes fournis par l’infanterie de marine :
- État-major : lieutenant-colonel Grégoire, commandant en second ; commandant Gonard, chef d’état-major ; capitaine Marmet, officier d’ordonnance du commandant supérieur ; capitaines Trinité-Schillemans, Roget, Lombard, lieutenants Vuillemot et Ferradini.
- 1er groupe : commandant Riou, adjudant-major, lieutenant Toulouze ; 1e compagnie de légion étrangère, capitaine Battreau, lieutenants Kieffer et Vivier ; 3e compagnie de tirailleurs sénégalais, capitaine Rilba, lieutenants Gélas et Fautrat ; 1e compagnie de Haoussas, capitaine Sauvage, lieutenants Ayrolles et Mérienne-Lucas ; 1e section d’artillerie, capitaine Delestre, lieutenant Maron ; ambulance, médecin-major Barthélémy.
- 2e groupe : commandant Faurax ; adjudant-major, capitaine Demartinécourt ; 3e compagnie de légion étrangère, capitaine Drude, lieutenants Farge de Filley, Courtois, Cornetto ; 2e compagnie de légion étrangère, capitaine Jouvelet, lieutenants Varennes, Jacquot et Morin ; 5e compagnie de tirailleurs sénégalais, capitaine Gallenon, lieutenants Lahache et Combes ; 2e section d’artillerie, capitaine Montané, lieutenant Michel ; médecins-majors, Vallois, Piedpremier.
- 3e groupe : commandant Lasserre ; adjudant-major, capitaine Manet ; 4e compagnie de légion étrangère, capitaine Poivre, lieutenants Farail, Morandy, Amelot ; 9e compagnie de tirailleurs sénégalais, capitaine Robard, lieutenants Doué et Marceau ; 3e section d’artillerie, lieutenants Jacquin et Merlin ; ambulance, médecin-major Thomas.
- Troupes hors groupe : aumônier, abbé Vathelet ; parc de réserve, capitaine Vallercy ; ambulance principale, médecins-majors, Rouch et Carrière ; convoi administratif, lieutenant Valabrègue, vétérinaire Surjus ; services administratifs, sous-commissaire Noguès ; compagnie d’infanterie de marine, capitaine Roulland, lieutenants Genest et Badaire.
- Cavalerie : un escadron de spahis réguliers, capitaine de Fitz-James ; un escadron de volontaires, capitaine Crémieu-Foa, sous le commandement supérieur du chef d’escadrons Villiers.
- Génie : capitaine Roques et lieutenant Mouneyres. Deux compagnies de volontaires sénégalais étaient laissées à Porto-Novo, une compagnie de tirailleurs sénégalais et une de Haoussas à Cotonou.
Le chef de bataillon Audéoud prenait le commandement de Grand-Popo et des deux compagnies indigènes destinées à opérer dans la région des Ouatchis, pour créer une diversion en menaçant le Dahomey par l’ouest.
Du 13 au 14, les groupes s’avancent par échelons et successivement occupent Fanvié, Affamé et Dogba. La lagune de Badao est difficile à traverser, il faut un pont sur chevalets.
On bivouaque en carré et on commence les travaux d’un fort. Des reconnaissances sont lancées de droite et de gauche. Aucune trace de l’ennemi. Behanzin semble vouloir rester inactif et nous laisser pénétrer chez lui sans opposer de résistance. La nuit, alertes continuelles, provenant de mouvements désordonnés dans les palmiers exécutés par des gros singes, étonnés de voir des visiteurs. Le colonel met au rapport que quiconque tirerait sans motif coucherait aux avant-postes sans armes. Le remède est énergique et la guérison radicale.
Les nuits sont claires. On dort d’un bon sommeil après le service de la journée. Seules les sentinelles veillent, le fusil chargé, l’œil cherchant à pénétrer la brousse.
D’après les derniers renseignements, l’armée dahoméenne se compose de 12 000 guerriers, divisés en trois groupes de quatre mille fusils environ.
Les positions occupées sont les suivantes : le premier groupe, auprès d’Alada, sous le commandement de Behanzin lui-même, avec sa garde particulière et les amazones, le Migan Nigla (premier ministre et bourreau), et le Méhou Akladaten (ministre des affaires extérieures) ; le deuxième groupe au camp de Mahon, entre Godomey et Abomey-Calavi et le long du Denham ; le troisième sur la rive gauche de l’Ouémé, à Zagnanado, Tohoué et Poguessa, sous le commandement du Bigo (1er chef de guerre) Lahasaoupamazé et du Possou (2e chef de guerre) Charagacha.
Le 18, la marche en avant avait été reprise, le groupe Riou était porté sur Zounoa à 12 kilomètres en avant.
Les autres fractions bivouaquaient sur le plateau qui domine l’Ouémé à l’ouest, couvert au nord par la lagune de Badao, à l’est par une épaisse forêt dont on avait débroussaillé une centaine de mètres pour rendre le champ de tir moins fourré.
L’Opale mouillait au bas de la berge, sous pression.
A 5 heures du malin, à la faveur d’une obscurité complète, sans feu, sans bruit, les Dahoméens pénètrent dans le carré jusqu’à la garde de police. Le petit poste d’infanterie de marine, placé à la cosaque en avant du front de bandière et commandé par le caporal Wurmser, signale l’ennemi et riposte au feu des guerriers.
Le capitaine Roulland ne voyant pas venir son officier, M. Badaire, l’envoie chercher. On le trouve mort sur son lit de camp, frappé d’une balle qui, entrée par le sommet de la tête, avait dû l’atteindre au moment où il se baissait pour attacher ses brodequins ou prendre son revolver ; il était retombé à la renverse, foudroyé.
Le chef de bataillon Faurax, s’avançant derrière une de ses compagnies en ligne, tombe comme une masse, blessé d’une balle au côté gauche. Deux livrets individuels qui étaient dans sa poche avaient un peu atténué la force du projectile. Le commandant, relevé par ses hommes, est porté près du colonel, qui le questionne sur son état. Faurax répond d’une voix sourde : « Je souffre ! ». A l’ambulance, il reprend vite sa présence d’esprit.
On l’embarque sur l’Opale ; un peloton de légion rend les honneurs. En prenant congé du colonel Dodds, le dernier mot du commandant Faurax fut : « Etes-vous content de mes légionnaires ? ».
Pendant que l’infanterie de marine soutenait vaillamment le premier choc, sous la direction du capitaine Roulland, fumeur énergique qui, malgré la pluie de halles tombant autour de lui, avait son cigare à la bouche, la légion (compagnie Jouvelet) prenait position et exécutait des feux de salve Lebel avec la précision du terrain de manœuvre ordinaire.
Un cordon de plomb et de mitraille est dessiné en avant du front. Les gerbes déterminent les premières hésitations de l’ennemi qui commençait à reculer. Le Bigo hurle en agitant sa queue de cheval, gri-gri protecteur et insigne de commandement : « Est-ce donc cela que vous avez promis au roi. En avant ! en avant ! Koia ! Koia ! Dahomé ! ».
Mais les guerriers sont découragés ; ils tentent vainement quelques retours offensifs pour enlever les morts ; le colonel fait pousser les troupes en avant par échelons. Les Dahoméens quittent la crête et se sauvent sous les palmiers.
La compagnie Roulland poursuit de ses feux les fuyards, qui abandonnent leurs morts, indice précis de la défaite complète chez les peuples indigènes. 105 cadavres sont réunis en deux charniers sur des bûchers de pétrole, feuilles de palmier et bois mort. Le lieutenant Mouneyres est chargé de la crémation.
Les pertes étaient : 2 officiers tués (le commandant Faurax mourut le lendemain à Porto-Novo), 3 hommes et 12 blessés. Mais l’ennemi était repoussé. Le champ de bataille, jonché d’armes à tir rapide et à silex, de bonnets, de besaces et de cartouchières d’amazones, est visité par les amateurs de curiosités.
Le groupe Riou, à quelques kilomètres de là, n’entendait rien et n’était pas inquiété. L’ennemi croyait réussir un mouvement tournant et ne trouver à Dogba que le convoi et l’ambulance.