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  • 24 août 2013 - Par Au fil des mots et de l'histoire

     

     Le 10 août 1914 – Le combat de Mangiennes dans EPHEMERIDE MILITAIRE carte-du-combat-de-mangiennes-150x150

     

    Le combat de Mangiennes

    D’après « La Grande guerre du XXe siècle » – Juin 1915

     

    Un ami nous communique, sur le combat de Mangiennes, cet intéressant récit du Fr. Hermann Montmorency (scolastique Assomptioniste), sous-officier au 91e de ligne ; on se souvient qu’il fut blessé et décoré de la médaille militaire pour sa belle conduite.

     

    Le 2 août, départ pour une destination inconnue ; le secret en guerre est l’« ABC » de la tactique. A 20 heures, entre deux haies de curieux, ou plutôt de manifestants, nous passions, cadençant le pas au rythme des chants patriotiques proférés par toutes ces poitrines vibrantes. Que c’était impressionnant ! En arrivant à la gare, je sentais l’émotion m’envahir en frissons, que j’éprouve encore chaque fois que j’y pense : c’était du délire.

    A 1 heure de la nuit, le train nous dépose à Stenay. Nous sommes alors obligés de gagner à pied notre cantonnement. Sans tarder, nous nous mettons en route. A la pointe du jour, une halte nous permet de faire un bon café, qui, je vous assure, n’a pas été superflu, d’autant plus que voilà deux nuits complètement blanches sur trois, avec, à l’appui, une marche d’une quarantaine de kilomètres sous un soleil de plomb.

    On dormait littéralement en marchant, et plus d’une fois, il m’est arrivé de revenir à moi sous l’impression d’une forte secousse : je venais de donner de la tête dans le sac de mon vis-à-vis. Ce sont les petits désagréments de la vie de campagne.

    A 13 heures, nous arrivons dans le village où nous devons cantonner. Nous étions loin de penser que notre séjour s’y prolongerait une semaine. Nous en profitons pour creuser des tranchées, repérer le terrain, délimiter la distance qui nous sépare des points les plus saillants dans le secteur à battre et désigner à chaque groupe de tirailleurs des objectifs de distance connue pour le réglage de la hausse. Nous sommes là en deuxième ligne, à 25 kilomètres environ en arrière de la première ligne, qui, d’un effectif toujours inférieur à l’ennemi, a comme mission de se laisser accrocher et de l’attirer, par un mouvement de retraite habile, sous les forts de Verdun.

    Naturellement, l’ennemi s’en aperçoit et se garde d’avancer. Ce mouvement permet néanmoins aux troupes de gagner avec ordre et tranquillité leur point de concentration et contient l’ennemi.

    Nous sommes au samedi 8 août, et nous n’avons pas encore vu les Allemands. Tout cependant nous fait pressentir qu’avec la fin de la semaine, des dispositions nouvelles vont être prises. Le bataillon de chasseurs qui tient l’ennemi en éveil depuis plus de huit jours commence à souffrir de la fatigue, et il faut songer à le relever. C’est à mon bataillon, le 2e du 91e, qu’incombe cette mission.

    Dans la nuit du samedi 8 au dimanche 9, à minuit 20, réveil par alerte : On part à 1 heure. Et, de fait, nous voilà sur la route, et nous passons en première ligne.

    A 5h30, nous arrivons à Villers-les-Mangiennes, que nous organisons défensivement. Peu après, le bataillon de chasseurs nous cède sa place, pour aller prendre un repos bien mérité.

    Un Parisien, passant près de nous, sent le besoin de nous sortir celle-ci, en guise d’au revoir : – Ah ben ! Vous pouvez être tranquilles, vous ne manquerez de rien : ils vous envoient des pains de suc’ à volonté, et gratis encore !

    Son accent avait trahi son origine, et, au milieu des éclats de rire, tout le monde lui cria : – Au revouer, la Butte !

    A 16 heures, nous sommes relevés par le 3e bataillon et désignés pour occuper un village plus avancé encore et dont le nom devait, le lendemain même, se graver à jamais dans notre mémoire. C’est Mangiennes.

    Ma compagnie est désignée pour couvrir le village du côté de l’ennemi pendant l’installation du reste du bataillon. Cette installation terminée, nous rentrons à notre tour, prenons possession de notre cantonnement, et je suis désigné de garde aux issues Ouest du village, avec toute ma section.

    Il ne s’agit plus de rire. C’est sérieux maintenant, et l’ennemi est là, peut-être plus près que nous le pensons. D’un moment à l’autre, l’un des deux Zeppelins que nous avons aperçus vers 18 heures à l’horizon peut s’amener au-dessus de nous et évaluer notre force. Mais voici la nuit. Elle est encore plus impressionnante, avec les nombreux « Halte-là » que les sentinelles jettent au loin, d’une voix forte et bien assurée, tantôt à l’une, tantôt à l’autre des issues du village.

    Assis sur les marches d’une petite chapelle, en bordure du chemin que je surveille ce soir et près duquel je devais tomber le lendemain, je récite mon chapelet et prépare ma confession de tout à l’heure, tandis qu’une myriade de moustiques viennent me sucer impunément le sang et m’exercer à la patience.

    A 23 heures, je suis relevé. Je prends un quart de café, puis je vais me confesser. A minuit, je dors déjà à poings fermés, enfoui dans le foin et la paille.

    A 5 heures, la diane ; à 6 heures, départ pour les travaux d’organisation défensive du village. Nous creusons des tranchées.

    Vers 9 heures, notre attention est subitement éveillée par de formidables détonations qui semblent très rapprochées. Nous levons la tête : là, sur une crête, devant nous, à quatre kilomètres à peine, notre artillerie est aux prises avec la cavalerie ennemie, laquelle était, malheureusement pour nous, appuyée par de l’artillerie foudroyant nos chasseurs à cheval. Nous voyons les obus éclater au-dessus des cavaliers ; c’était la première fois que nous constations de si près l’action de l’artillerie. Mais tous nous avions compris que ce n’était là qu’un prélude et que notre tour viendrait bientôt.

    Nous recevons l’ordre de rentrer, de manger la soupe et de nous tenir prêts.

    A midi, un mouvement extraordinaire se produit dans le village : des cyclistes, des autos, des motos arrivent coup sur coup en grandissime vitesse et repartent de même. Les officiers courent, reçoivent, semble-t-il, des ordres. Voici notre capitaine.

    Sac au dos ! commande-t-il. L’arme à la main ! Par deux ! Direction : la sortie du village ! Et nous voilà partis !

    L’ennemi occupe la région Nord-Ouest, en avant du village.Nous ne pouvons donc utiliser nos tranchées. Une route formait un remblai entre nous et l’ennemi ; elle nous permet de nous déployer en tirailleurs, à une cinquantaine de mètres environ de cette route, qui nous sert d’abri.

    Le déploiement terminé, le capitaine commande un bond en avant. Les balles commencent à siffler et le cœur bat, je vous assure, car enfin nous y sommes, cette fois, et pour tout de bon !

    Un deuxième, puis un troisième bond, et nous avons atteint la route dont j’ai parlé tout à l’heure. Les balles sifflent maintenant autour de nous sans interruption. Quelle musique désagréable ! Et nous entendons très distinctement le bruit à intervalles réguliers de trois mitrailleuses tirant sur nous. Mais nous ripostons énergiquement. Voici maintenant une formidable détonation. C’est le canon !

    Un sifflement particulier, que personne ne connaissait encore, mais que tout le monde comprit, fut suivi d’une explosion : c’était le salut de leur artillerie. Personne n’est atteint.

    Un deuxième obus éclate plus près, des cris de douleur s’élèvent par endroits, plusieurs de nos camarades ont été touchés. Coup sur coup, je vois tomber mon voisin de droite d’abord, puis celui de gauche. En moins de vingt minutes, une quarantaine d’obus éclatèrent au-dessus de nos têtes.

    Ce chemin était repéré par l’artillerie, il fallait à tout prix sortir de là. Mais que faire ? Devant nous, le terrain à découvert descendait en pente vers l’ennemi dissimulé dans les blés. Notre mission était de le tenir à distance par tous les moyens et coûte que coûte, jusqu’à ce que notre artillerie, qui se trouvait à quelques kilomètres, eût le temps de venir prendre position derrière nous.

    Le commandement du capitaine s’éleva soudain : – Attention pour le bond ! En avant !

    J’entraînai mes hommes de la voix et du geste et nous franchissons au pas de course une vingtaine de mètres, puis, vivement aplatis, nous continuons notre tir. Une vingtaine d’hommes seulement avaient suivi le mouvement ! Je ne sais quelle impression cette poignée d’hommes courant comme des diables, quittant leur abri au beau milieu de ce feu d’enfer, dut produire sur l’ennemi.

    Toujours est-il que, contrairement à ce que j’attendais, leur feu, au lieu de redoubler, se ralentit subitement un instant. On se préparait à bondir de nouveau quand je me sentis touché. Il était 2 heures environ. Un de mes camarades, au moment du nouveau bond, m’entendit dire à l’adjudant que j’étais touché, il me cria tout en courant : – Au revoir !

    Je le revis quelques heures après, mais blessé lui aussi. Pendant un bon moment encore, les balles sifflèrent et les obus éclatèrent au-dessus de nous, puis le canon sembla un moment se taire. Quand tout à coup, tout près et derrière moi, j’entendis une détonation plus forte que toutes celles entendues jusqu’ici. C’était le 75 qui commençait son petit travail.

    Ce fut alors leur artillerie qui fut frappée de mutisme, puis les mitrailleuses se turent. On en trouva plus tard, les desservants, gisant pêle-mêle au milieu des caisses, des munitions et des débris de leurs pièces.

    Pour beaucoup d’Allemands, ce fut la mort ; pour les autres, la fuite en désordre. On les vit bientôt arborer le drapeau blanc jusqu’en trois endroits. Ils demandaient un armistice de quarante-huit heures soi-disant pour enterrer leurs morts. On leur en concéda vingt-quatre. Ils n’enterrèrent rien du tout et n’eurent rien de plus pressé que de se sauver.

    Ils nous laissèrent 3600 morts à enterrer, alors que nous en avions à peine une quinzaine. Mais que de blessés ! Et est-il rien de plus triste que d’entendre les cris déchirants de ces malheureux !

    Vers 16 heures, alors que le combat durait toujours, je vis venir à moi le commandant, qui me demanda si j’étais blessé. Sur ma réponse affirmative, il me serra la main. Puis il s’en alla d’une façon si précipitée, que je crus un moment que le village allait être occupé par l’ennemi.

    La seule pensée que je pouvais rester entre les mains des Allemands, me rendit la force et, jaloux de ne leur rien laisser de ce qui m’avait appartenu, je repassai à mon cou le bidon que j’avais enlevé pour me rafraîchir, remis sac au dos, pris mon fusil, et, malgré la blessure qui me faisait atrocement souffrir, je tâchai de regagner la route, clopin-clopant, au milieu du sifflement des balles.

    C’est là que j’entendis tous ces pauvres blessés, la moitié de ma section. Pauvres jeunes gens !

    Quand ils me virent arriver, ne sachant point que j’étais blessé moi-même, ils m’imploraient : – Sergent Montmorency, sergent Montmorency, j’ai soif ! A boire ! Aïe ! aïe ! aïe !

    Que c’était triste ! Je ne pus m’empêcher de les aider, donnant à l’un mon bidon, à l’autre un peu de rhum que j’avais eu l’idée d’emporter.

    Nous fûmes ramassés vers 19h30. J’entrai dans le village, porté sur une civière, au moment précis où, de l’autre côté, musique en tête, entrait le reste du bataillon ! Que d’émotions en ces quelques heures !

    J’appris alors que, grâce à ma section, le travail avait été magnifique et la journée de Mangiennes une victoire ! Une division allemande décimée, 7 canons et 3 mitrailleuses pris à l’ennemi.

    La 2e section, dont je faisais partie, fut citée à l’ordre du jour, et les gradés blessés, mais non les morts, décorés de la médaille militaire. Les officiers blessés reçurent la Légion d’Honneur.

     

  • One Response à “Le 10 août 1914 – Le combat de Mangiennes”

    • Annie Jacquetton-lorrain on 8 novembre 2014

      Mon grand-père paternel était de Mangiennes
      Il a vécu et fait cette guerre
      Tous les témoignages sont intéréssants.
      Merci

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