D’après « Historique du régiment de marche de la Légion étrangère : 3e régiment étranger d’infanterie » René Doumic – 1926
La Légion au Maroc (1903-1920)
L’étude du rôle de la Légion au Maroc, c’est un peu toute l’histoire du Maroc depuis 1903, sans même en exclure le résumé des pourparlers diplomatiques : l’affaire des déserteurs de Casablanca, en 1908, a montré que la question de la Légion était une des faces de cette question marocaine qui soulevait contre la France l’hostilité de l’Allemagne.
De fait, à toutes les étapes de la conquête, on trouve les tentes de la Légion.
- Béchar – Forthassa – Berguent
C’est en septembre 1903, au lendemain de Moungar, que le général Lyautey est nommé au commandement du territoire d’Aïn-Sefra. Sans doute a-t-il réclamé des droits – sinon des moyens – qu’on discutait à ses prédécesseurs ; toujours est-il que les choses ne tardent pas à changer.
En novembre, la colonne Pierron occupe Béchar, créant le poste qui recevra bientôt le nom du général De Colomb (fin du second Empire). L’hiver se passe en travaux et en lointaines randonnées du Groupe mobile – on dirait maintenant Groupe léger – (Légion montée appuyant les Sahariens et les spahis). On parcourt toute la région Guir-Zousfana, traversant en tous sens le Djebel Béchar, poussant dans l’ouest jusqu’au seuil de la Hammada, au sud jusqu’à Kersas.
Au printemps 1904, curieuse manœuvre : le territoire d’Aïn-Sefra opère un véritable changement de front, face à l’ouest. Il s’agit, en bonne part, de rester face à notre vieil adversaire Bou-Amama, qui de Figuig s’est retiré à El-Aïoun, à l’ouest d’Oudjda.
La compagnie montée Met, nouvellement créée, a occupé Forthassa. Brusquement elle est relevée à ce poste par la compagnie montée de Béchar, et elle part elle-même avec le commandant Henrys occuper Berguent, le Ras-El-Aïn des Beni-Mathar, important point d’eau qui commande les accès des Hauts-Plateaux, là où la frontière, d’après le traité de 1845, cesse d’être explicitement définie.
A Béchar, une compagnie montée du 2e Étranger est venue prendre position. Plus tard, il y a des permutations.
Pendant plusieurs années, la sécurité de la zone frontière orano-marocaine va reposer sur le jeu des forces mobiles de ces trois postes : Béchar, Forthassa, Berguent, situés à 150 kilomètres l’un de l’autre et dont les forces mobiles ne cessent de rayonner.
Sécurité bien assurée : les Chambaa de Bou-Amama, devant notre dispositif inviolable, en sont réduits à aller chercher fortune jusqu’en Mauritanie. Signalé à la fin de 1905, par l’Afrique Occidentale, le rezzou est guetté au retour par nos groupes mobiles. Celui de Berguent surprend les Chambaa sur l’oued Nesli (janvier 1906), leur coupe la route, leur inflige un désastre qui est la revanche de Moungar.
Période héroïque pour les trois compagnies montées : on marchait sans trêve, sillonnant la steppe à 150 kilomètres vers l’ouest. Et le ravitaillement brillait par son absence, pas de convoi, c’était le régime de la « kessera » et du riz au gras, arrosés avec l’eau qu’on trouvait. Le vin ? On n’en connaissait plus la couleur.
La compagnie montée, sur les Hauts-Plateaux, est vraiment la force mobile idéale. Seule, elle arrive à sillonner, sans avatars trop graves, ces steppes immenses au climat si rude, où l’on peut mourir de soif, ou de chaleur, ou – plus souvent encore – de froid : au printemps de 1908, la 20e compagnie du 1er Etranger, surprise entre Aïn-Ben-Krelil et Forthassa par une tempête de neige, est, à peu de chose près, anéantie.
- Oudjda – Casablanca – Haut-Guir
Les choses se compliquent. L’intervention de l’Allemagne, le théâtral débarquement de Guillaume à Tanger ont abouti au compromis d’Algésiras, qui ne fait qu’ajourner la solution du problème. Il faut que les Marocains eux-mêmes, par leurs mauvais procédés, nous ramènent à la question, nous obligent successivement à occuper Oudjda en mars 1907, Casablanca en août, et à effectuer, dans les derniers mois de l’année, l’opération, restée classique, des Beni-Snassen.
Grosse émotion chez les gens de l’Ouest : de fortes harkas, fanatisées, se rassemblent au Tafilalet et marchent contre nous. Une de nos colonnes, campée à Menabha, reçoit, le 16 avril 1908, au petit jour, le choc de plusieurs milliers de Marocains. La situation, un moment grave, est rétablie par la Légion.
La poursuite nous conduit sur le Haut-Guir : après la rude affaire de Beni-Ouzien, nous occupons Bou-Denib, mettant en déroute la harka.
La compagnie montée (celle-là même qui, en 1903, avait occupé Béchar) a conquis droit de cité à Bou-Denib qui va rester son fief. A Menabha, elle a eu tous ses officiers tués ou blessés ; à Beni-Ouzien, elle perd encore son chef, le vaillant lieutenant Jaegle, qui, prêt à entrer à l’Ecole de guerre, était revenu pour remplacer le capitaine Maury blessé. Elle a, dans ces deux affaires, perdu 15 légionnaires tués, 42 blessés.
En août, Bou-Denib, défendu par le commandant Fesch, subit le rude assaut de 20000 Marocains, qui ont compté sans la valeur de nos troupes. Dans le blockhaus qui commande la palmeraie, le lieutenant Vary, avec une poignée de légionnaires et de tirailleurs, résiste pendant dix-huit heures à tous les assauts. Le tir d’artillerie qui le flanque efficacement, achève de décourager l’ennemi. Déjà Fesch prépare une sortie. Par ordre il attend l’arrivée de la colonne Alix, et c’est avec elle qu’il va attaquer à Djorf le camp de la harka, qui est mise en pleine débandade.
Toujours rude et ingrate, la pénétration dans les « Confins » se poursuit. En 1910, c’est l’occupation de Taourirt. Nous rayonnons jusqu’à la Moulouya.
Mais c’est surtout notre action par l’Atlantique, après le débarquement à Casablanca, qui nous a définitivement ouvert le Maroc.
Limitée d’abord – par ordre – à la banlieue de Casablanca (comme l’autre côté à la banlieue d’Oudjda), notre pénétration, à partir de janvier 1908, se fit plus active. Cela valait mieux pour la Légion. Car la Légion était naturellement là, dès la première heure ; et les premiers combats, sur le front même de la ville, lui avaient coûté le commandant Provost.
Dès 1908, la spécialisation du 1er Étranger au Maroc Oriental, du 2e Étranger dans l’Occidental, se manifeste : le bataillon du 1er, qui avait débarqué en août 1907, repart un an après.
Les légionnaires du 2e se consolèrent, en parcourant et en colonisant le bled, de la nécessité où on se trouvait de les éloigner de la ville et du consulat allemand, dont l’intervention, en faveur de quelques déserteurs (septembre 1908), faillit amener de graves complications internationales.
Peu à peu, la zone d’occupation s’élargit. Mais il est visible qu’on cherche à entourer de silence les opérations militaires, peu actives à la vérité. En juin 1910, la compagnie montée du 2e Étranger (capitaine Belouin), partant pour la colonne du Tadla, reçoit l’ordre d’aller se mettre à la disposition du commandant Aubert pour participer aux tirs réels des Sénégalais.
- Le Protectorat
Pas plus que l’acte d’Algésiras, l’accord du 8 février 1909 entre la France et l’Allemagne ne mettait le Maroc en état de se suffire, de s’organiser sans nous. L’anarchie continue à régner. Le renversement du sultan Abd-El-Aziz par son frère Moulay Hafid ne fait que jeter plus de trouble encore dans le pays. Sultan de Fez, Moulay Hafid, assiégé par les Berbères dans sa capitale, est obligé d’appeler les Français à son aide.
C’est la colonne de Fez, effectuée par nos seules forces du Maroc Occidental, sous les ordres du général Moinier (mai-juillet 1911) : un bataillon de Légion y prend part, avec sa compagnie montée (capitaine Rollet) qui livre, le 13 mai, un combat plein d’enseignements.
Dans l’Est, la colonne Girardot, prête à marcher, est maintenue sur la rive droite de la Moulouya. C’est à ce moment que se place le dur mais glorieux combat d’Alouana : la compagnie Labordette, cernée au cours d’une reconnaissance, a son capitaine et 29 légionnaires tués. Mais elle tient bon et elle est dégagée.
L’occupation de Fez était une étape trop décisive de la pénétration française au Maroc pour ne pas avoir été l’occasion d’une intervention allemande. Ce fut la crise d’Agadir (juillet-novembre 1911), goutte d’eau qui faillit bien faire déborder le vase. Mais la bonne foi française triompha ; les pourparlers se terminèrent par un accord (4 novembre 1911).
Le 30 mars 1912, le traité établissant le protectorat était signé à Fez et servait de prétexte au grave soulèvement du 17 avril : révolte des tabors chérifiens, massacre de leurs officiers et des Européens de Fez ; 20000 Berbères aux portes de la ville, donnant la main aux émeutiers.
Contre-partie : le Gouvernement faisait appel au patriotisme du général Lyautey, qui, sans retard, arrivait prendre le commandement du navire en perdition.
Deux jours après l’arrivée du général à Fez, le 23 mai, les Berbères donnaient l’assaut à la ville, forçaient deux portes, parvenaient jusqu’auprès de son poste de commandement. Le 28, ils revenaient à la charge : attaques repoussées, non sans pertes chez nous. Mais vite la situation change. La harka, poursuivie par le général Gouraud, est attaquée et battue à Hadjerat-El-Kahla : les abords de Fez sont dégagés.
De leur côté, nos troupes des Confins, tenues jusque-là dans une inaction diplomatique, passaient la Moulouya, fondant le poste de Guercif, y poussant la voie ferrée, préparant, par l’action politique, la marche sur Taza.
Les premiers actes militaires du Protectorat ont été de constituer à l’est et au sud de Fez, puis au sud de Meknès, une zone de couverture.
Bientôt de nouvelles difficultés se produisirent : duplicité et abdication de Moulay Hafid, remplacé par son frère Moulay Youssef ; intervention d’un prétendant sur l’Ouerha, en liaison avec Sidi-Raho pour soulever les Djebala du Rif, les Beraber du Moyen Atlas. Enfin, en plein été, proclamation d’El Hiba à Marrakech : nécessité, au risque de diviser les efforts, d’envoyer là-bas la colonne du général Mangin, dont la marche rapide et la vigoureuse action amèneront d’ailleurs, la politique aidant, une pacification définitive.
- Taza
Une étape importante reste à franchir : la jonction entre Algérie et Maroc par l’occupation de Taza. Elle est préparée en 1913, effectuée en 1914.
A cette grande opération, la Légion va prendre une part des plus actives. Chacun des deux régiments a sa zone : le 2e opère dans le Maroc Occidental ; le 1er est décidément spécialisé dans l’Oriental.
La route directe (triq Soltane, route impériale) entre Fez et Taza passe par la vallée de l’Innaouen. Pour des raisons politiques, géographiques aussi, on lui a préféré, dans la jonction première, la route passant plus au nord, par Tissa, Zrarka, Meknassa.
En 1913, Tissa est occupé par le 1er bataillon du 2e régiment étranger, commandant De Lardemelle. La 3e compagnie, capitaine Rollet, ouvre à l’ouest de Fez, la route du Zegotta. Une fois de plus, déclare le général Gouraud, la Légion se distingue par ses travaux autant que par ses faits d’armes.
En même temps, dans la région sud de Meknès, le 6e bataillon du 2e, bataillon Forey, prend part aux opérations dirigées par le colonel Henrys chez les Beni-Mtir et les Beni-Mguild.
Au Maroc Oriental, c’est le 1er Étranger qui opère. Il s’agit d’étendre et d’élargir notre occupation. Le 11 avril, l’affaire de Nekhila – combat de flanc-garde – nous coûte le capitaine Doreau et une dizaine de légionnaires qui, pour la plupart, se sont fait tuer sur son corps. Le 20, à Sengal, vengeance est tirée sur les Beni-Bou-Yahi. Le 27, le poste de Safsafat est créé. La marche en avant se poursuit : M’Soun est occupé le 10 mai, réaction le 13 par une violente attaque de nuit, puis par une sérieuse menace qui nous oblige à prendre les devants et à aller lancer, les 28 et 29 mai, les efficaces coups de boutoir d’Aïn-El-Arhbal.
Et d’un côté comme de l’autre, la situation se stabilise : travaux et ravitaillements, action politique aussi, préparent pour 1914 la marche sur Taza.
De Guercif vers M’soun, la construction de la voie ferrée se poursuit. La jonction, méthodiquement préparée, s’effectue sans trop de peine au printemps de 1914.
Le 10 mai, la colonne Baumgarten, partie de M’Soun dans la nuit, bouscule les Riata devant Taza et pénètre dans la ville.
La colonne Gouraud, plus sérieusement ralentie, doit, pour dégager sa route, livrer le rude combat de la montagne des Tsoul, où est blessé le lieutenant-colonel Girodon du 2e Étranger.
Le 16, les deux colonnes font leur jonction entre Meknassa-Tahtania et l’oued Amelil. Le 18, brillante revue passée à Taza même par le résident général, qui est salué par le drapeau décoré du 1er Étranger.
Taza la Mystérieuse était à nous. Il fallait bien qu’il y eût une réaction. A l’est, rassemblement des Ouled Bou Rima et Metalsa, que dispersa le victorieux combat de Sidi-Belkacem, où le brave commandant Met, le « père Met », perdit une jambe. A l’ouest, la colonne Gouraud devait, en juin et juillet, livrer dans la dure région de Touahar, contre les Riata de l’Ouest, une série de combats dont le résultat allait rester indécis.
A l’autre bout du Maroc, les troupes françaises occupaient Khenifra…
André Langlois on 29 janvier 2015
Des faits d’histoire d’une période primordiale de la genèse du Protectorat en quelques phrases… J’ai beaucoup appris…
Merci
Francis Lesca on 6 mars 2016
Passionnant ce rappel de la mise en place du Protectorat.
Le récit est tiré probablement du journal de marche d’unités de la Légion.
Il aurait été utile de disposer d’une carte des lieux d’affrontement.
Le mieux est ennemi du bien.
Merci beaucoup.