La bataille de Patay
D’après « Guerres des Français et des Anglais, du XIe au XVe siècle » – M. J. Lachauvelaye – 1875
La Pucelle ne pouvant entretenir l’armée, par manque de vivres et de paiement, retourna vers le roi, qui l’accueillit avec de grands honneurs. Charles tint plusieurs conseils à Tours, et il donna la charge au duc d’Alençon de nettoyer les bords de la Loire, des Anglais qui les occupaient.
Alençon prit Jeanne avec lui, et manda des soldats de toutes parts. Sous ses ordres accoururent le bâtard d’Orléans, le sire de Boussac maréchal de France, le seigneur de Graville maître des arbalétriers, l’amiral de Culant, Ambroise de Loré, la Hire et autres.
Les Français allèrent mettre le siège devant Jargeau. Suffolk l’occupait avec 6 ou 700 Anglais, et avait fortifié la ville et le pont.
Il y eut pendant plusieurs jours de grandes et dures escarmouches. On tirait fort de la ville où il y avait quantité de canons et de vuglaires (petites pièces d’artillerie).
Ce que voyant, la Pucelle vint au duc d’Alençon, et lui dit : « Beau duc, ôtez-vous du logis où vous êtes, comment que ce soit, car vous y seriez en danger des canons ». Le duc suivit ce conseil, et n’avait pas reculé de deux toises, qu’un boulet emporta la tête d’un gentilhomme d’Anjou, assez près dudit seigneur, et au lieu où il était quand la Pucelle lui parla.
Les Français furent environ huit jours devant la ville que battit vigoureusement l’artillerie. Ceux de dedans se défendaient vaillamment. Il y avait entre autres, un grand et fort Anglais, armé de toutes pièces, bassinet en tête qui faisait merveille, lançait de grosses pierres et abattait gens et échelles ; ce soldat se tenait au lieu le plus facile à assaillir. Le duc d’Alençon l’aperçut, il alla au canonnier maître Jean, et lui montra l’Anglais. Alors, le canonnier braquant sa couleuvrine à l’endroit où ce soldat était et se découvrait fort, le frappa au milieu de la poitrine.
Jeanne descendit ensuite au fossé, tenant son étendard à la main, au lieu où les Anglais faisaient la plus grande et la plus âpre défense. Un des ennemis prit une grosse pierre et la lui lança sur la tête avec une telle force, qu’il la fit s’asseoir, et que ladite pierre fut mise en morceaux.
Jeanne fut étourdie du coup, néanmoins elle se releva bientôt après, et dit tout haut à ses soldats : « Montez hardiment et entrez dedans, car vous n’y trouverez plus aucune résistance ». Ainsi fut la ville gagnée.
Le comte de Suffolk se retira sur le pont où il fut poursuivi par un gentilhomme nommé Guillaume Renaut.
- Es-tu gentilhomme ? lui dit le comte.
- Oui, répondit Renaut.
- Es-tu chevalier ? ajouta Suffolk.
Sur la réponse négative du Français, Suffolk l’arma chevalier et se rendit à lui. Jean de la Pole frère du comte, et quantité d’Anglais furent faits prisonniers.
Le duc d’Alençon et Jeanne séjournèrent plusieurs jours à Jargeau, pendant lesquels ils furent rejoints par le seigneur de Rais, le seigneur de Laval, et le seigneur de Lohéac son frère.
La Pucelle et le duc d’Alençon vinrent ensuite mettre le siège devant Beaugency. Les Anglais évacuèrent la ville et se retirèrent sur le pont et le château.
A ce moment, Richemont, désireux de servir la France, s’avança malgré les ordres du roi, pour prendre sa part à la guerre. Le connétable marcha droit sur la Beauce pour venir se joindre aux assiégeants.
Le 17 juin, à la nuit, les Anglais traitèrent de la reddition du pont et du château de Beaugency, s’engageant à les remettre, le lendemain au soleil levant, sans en rien emporter et emmener, sauf leurs chevaux et leurs harnais et quelques-uns de leurs meubles, montant pour chacun à un marc d’argent. Ils ne devaient pas, durant l’espace de dix jours, reprendre les armes contre les Français.
Vers ce même temps, en la ville de Meung, entrèrent pendant la nuit les sires de Talbot, de Scales et de Falstolff, qui ne purent pénétrer au château de Beaugency à cause du siège. Ils assaillirent la nuit de la convention, le pont de Meung.
Mais le 18 juin, aussitôt que les Anglais furent partis de Beaugency, l’avant-garde des Français arriva devant Meung, et bientôt après, toutes leurs forces suivant en batailles très bien ordonnées, les Anglais cessèrent l’assaut du pont, prirent la campagne, et se mirent en batailles, tant à pied comme à cheval. Mais soudain ils se retirèrent, et prirent le chemin de la Beauce, du côté de Patay.
Le duc d’Alençon, Jeanne, le connétable, le maréchal de Sainte-Sevère et de Boussac, l’amiral de Culant, le sire d’Albret, le sire de Laval, le sire de Loheac et autres grands seigneurs, se mirent avec leurs batailles bien ordonnées à la poursuite des Anglais, qu’ils atteignirent auprès de Patay.
Le duc d’Alençon dit alors à la Pucelle : – Jeanne, voilà les Anglais en bataille, combattrons-nous ?
Et elle demanda audit duc : – Avez-vous vos éperons ?
- Comment nous faudra-t-il retirer ou fuir ? s’écria Alençon.
Et elle dit : – Nenni, en nom Dieu ! Allez sur eux, car ils s’enfuiront et n’arrêteront pas, et seront déconfits sans guère de pertes de nos gens, et pour ce faut-il vos éperons pour les suivre.
On envoya comme éclaireurs, en manière d’avant-garde, le seigneur de Beaumanoir, Poton de Saintrailles, la Hire, Ambroise de Loré, Thibaut de Termes et plusieurs autres ; qui harcelèrent et occupèrent si bien les Anglais, que ceux-ci ne purent se bien ordonner et se mettre en bataille. Les Français les attaquèrent, et les Anglais furent défaits en peu d’heures.
Les chroniqueurs s’accordent tous à reconnaître la complète démoralisation des Anglais.
Effrayés par l’apparition de Jeanne d’Arc, qu’ils considéraient comme une envoyée de l’Enfer, les vaincus d’Orléans, les soldats de Scales et de Talbot pouvaient à peine soutenir la vue de la terrible Pucelle. Ils avaient communiqué leurs craintes à leurs camarades de l’armée de Falstolff que Bedford avait envoyés à leur secours. Leur peu de confiance dans le courage ébranlé de leurs soldats, rendait hésitants les vaillants capitaines anglais. On ne reconnaît plus en eux les guerriers d’Azincourt et de Verneuil.
Dans l’armée française, au contraire, tout est différent.
On ne sait ce qu’on doit plus admirer, du patriotisme inspiré de Jeanne d’Arc ou de la constance de Richemont, accourant, malgré l’injustice de son roi, malgré les insultes de ses ennemis, combattre pour son pays.
Sous eux, venaient Alençon, le bâtard d’Orléans, la Hire et Saintrailles, tous pleins de vaillance, dirigeant avec héroïsme et vigueur le mouvement national contre l’étranger. La promptitude de leur décision, la rapidité de leurs mouvements, offrent un éclatant contraste avec l’irrésolution et la lenteur des Anglais en cette campagne. Chez les Français, les plus experts hommes de guerre, montés sur fleurs de coursiers, vont devant pour découvrir les ennemis. A leur appel, le reste de l’armée accourt, tombe sur les Anglais comme la foudre sans leur donner le temps de se reconnaître.
A Patay, les cavaliers français avaient reçu l’ordre d’attaquer les ennemis, dès qu’ils se trouveraient en contact avec eux, de les charger et de les empêcher à tout prix de planter leurs pieux aiguisés.
Les différents chroniqueurs ne s’accordent pas sur les pertes des Anglais à cette bataille. Cousinot les évalue à 2200 morts, Wavrin à 2000, Monstrelet à 1800. Talbot, Scales et 200 prisonniers, restèrent au pouvoir des vainqueurs.
Il y a aussi contestation sur la place que Richemont occupa dans l’armée en cette journée. Wavrin et Monstrelet le mettent à l’avant-garde, dont sa charge de connétable lui donnait en effet le commandement. Selon Cousinot et Guillaume Gruel, au contraire, le prince breton demeura au corps de bataille avec Jeanne et Alençon. Et personne mieux que Guillaume Gruel ne peut nous renseigner sur les actes de Richemont.
Sur l’ordre du roi, Richemont dut quitter l’armée, malgré les supplications qu’il adressa à La Trémouille.
Charles vint à Gien, et envoya l’amiral de Culant assiéger Bonny, qui se rendit bientôt par composition.