La première bataille de Fleurus
D’après « Éphémérides militaires depuis 1792 jusqu’en 1815 » – Louis Eugène d’Albenas – 1818
L’armée de la Moselle venait de se réunir sous Charleroi à celle des Ardennes et à deux divisions de celle du Nord. Sous la dénomination d’armée de Sambre-et-Meuse, le commandement en fut confié au général Jourdan.
Le comité de salut public, qui voulait s’emparer de Charleroi à quelque prix que ce fût, ordonna à ce général de commencer le siège de cette place. Le 13 juin, l’armée, forte de soixante seize mille hommes, passa la Sambre.
L’ennemi voulut d’abord résister, mais il fut forcé ; et, pour la seconde fois, Charleroi fut investi. L’armée prit alors une position demi-circulaire.
Sa gauche, commandée par le général Kleber, appuyée à la Sambre, occupait les hauteurs de Piéton, Courcelle, Forchies et Trazignies. Son centre, où étaient les divisions Lefebvre, Championnet et Morlot, tenait les positions de Fleurus, de Vagnée, Heppignies, Gosselies, Saint-Fiacre et Mellet. La droite, aux ordres du général Marceau, était appuyée à la Sambre, et occupait Lambusart, se prolongeant vers Fleurus. La réserve fut placée à Ransart, au centre, et la division Hatry forma l’investissement de la place.
Pour se conformer aux ordres du comité de salut public, le général Jourdan, au lieu d’aller chercher l’ennemi, se contenta de faire ouvrir la tranchée, réservant son mouvement offensif pour le moment où Charleroi capitulerait. Mais le prince d’Orange, commandant un corps de soixante mille alliés, parti de Nivelles, s’avançait pour faire lever le siège. Le 15 au soir, ses avant-postes furent repoussés sur toute la ligne.
Le général Jourdan ordonna à ses ailes et à son centre de se porter en avant le 16 au matin, afin de contenir l’ennemi à une plus grande distance des travaux du siège ; et de sa personne, il se rendit à la division Championnet, afin de commander l’attaque du centre.
Le 16, l’armée se mit en mouvement à trois heures du matin, par un brouillard des plus épais. Mais bientôt le feu de nos avant-postes annonça l’approche des Autrichiens, et des coups de canon à mitraille, tirés de part et d’autre, indiquèrent que les deux armées étaient au moment de s’aborder avant de s’être aperçues.
Le général Jourdan craignant quelque échauffourée en s’engageant au milieu de cette obscurité, fit rentrer l’armée dans sa première position. L’ennemi, qui sans doute avait cru la surprendre, s’arrêta, et l’action fut suspendue.
Le brouillard s’étant dissipé vers les huit heures, le prince d’Orange nous attaqua à la fois par notre gauche, notre centre et notre droite.
A onze.heures, le général Kleber avait battu la droite des alliés, commandée par le prince d’Orange en personne. L’ennemi avait été culbuté avec tant d’impétuosité, qu’il s’était retiré en toute hâte, et déjà sur ce point n’était plus en vue. Kleber se porta alors par la Chaussée-des-Romains sur le flanc droit du centre des alliés, afin de chercher à l’envelopper pendant qu’il était aux prises avec le général Morlot à notre centre. Cette manœuvre, qui décidait de la victoire, devint inutile par la retraite de notre droite.
Le général Morlot, contre lequel l’ennemi dirigeait ses plus grands efforts, résistait courageusement, et déjà même, à la suite d’une brillante charge exécutée par le général Dubois, il commençait à prendre l’offensive, lorsqu’on apprit les revers éprouvés à la droite.
La division du général Lefebvre, après avoir épuisé toutes ses munitions, et ne trouvant plus à les remplacer, fut obligée d’abandonner le champ de bataille et de se retirer derrière la Sambre par le Châtelet. L’ennemi, profitant alors de cet intervalle, y avait pénétré, et menaçant de tourner les divisions Championnet et Marceau, les avait contraintes à se reployer, la première à Jumet, en avant de Charleroi, et la seconde derrière la rivière par Pont-le-Loup.
Toute notre droite étant ainsi retirée, et notre centre menacé d’être tourné, le général Morlot ne pouvait rester en pointe dans sa position première. En conséquence, il effectua sa retraite avec la division Championnet, par Marchienne-au-Pont, et Kleber suivit le mouvement rétrograde.
Ainsi donc la victoire nous fut arrachée au moment où elle paraissait ne pouvoir plus nous échapper.
Si, par une négligence coupable, la division Lefebvre n’eût point manqué de munitions, l’armée ennemie, contenue sur toute la ligne et battue à sa droite, eût éprouvé un désastreux revers. Au surplus, les alliés n’eurent d’autre avantage dans cette journée que de rester maîtres du champ de bataille. Nous leur fîmes six cents prisonniers, ils n’en firent point ; ils nous prirent sept pièces de canon, et six des leurs restèrent en notre pouvoir. La perte en tués ou blessés fut égale des deux côtés. Elle s’éleva à trois mille hommes.
Le surlendemain, l’armée française réoccupa toutes ses positions sur la rive gauche de la Sambre, et reprit encore une fois le siège de Charleroi, qui, pour cette fois, ne fut plus levé qu’après la reddition de la place.