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     Le 31 mai 1916 - La bataille du Jutland dans EPHEMERIDE MILITAIRE la-bataille-du-jutland-150x150

     

    La bataille du Jutland

    D’après « La Grande guerre du XXe siècle » – Mai 1917

     

    • Récit anglais

     

    New-York, 4 juin 1916. Un haut fonctionnaire de l’Amirauté anglaise a fait au correspondant de l’Associaled Press la description suivante de la bataille de la mer du Nord :

    Tout ce que nous pouvons dire, c’est que notre flotte recherchait un engagement. C’est une fable parfaitement absurde qu’elle aurait été attirée dans un piège par les Allemands.

    En un mot, nous avons livré bataille à la flotte allemande entière de haute mer, avec une escadre inférieure. Nous avons déjoué ses plans et nous l’avons repoussée dans ses ports. Ce faisant, nous avons subi de lourdes pertes, auxquelles nous nous attendions, mais nous avons aussi atteint le résultat recherché : celui d’obliger l’ennemi à abandonner ses plans et à chercher un refuge après le combat dans ses eaux territoriales et près de ses côtes.

    A l’exception de deux divisions, dont une partie seulement s’est trouvée engagée, le choc de la lutte a été supporté par notre escadre de croiseurs de bataille, et, à l’exception d’une unité, notre escadre de cuirassés est prête pour le service actif.

    Je dois admettre que nous avons eu on ne peut plus de mauvaise chance avec nos croiseurs de bataille, mais la perte de trois de ces grands bâtiments ne diminue en aucune façon notre maîtrise des mers.

    Cette grande bataille s’est composée de quatre phases :

    La première a débuté à 3h15 de l’après-midi de mercredi, heure à laquelle nos croiseurs de bataille ont engagé le combat avec les croiseurs de bataille allemands à une distance de six milles.

    Peu après, s’est ouverte la phase deuxième par l’arrivée sur la scène des cuirassés des deux belligérants. Les Allemands ont été les premiers arrivés, mais nos trois croiseurs ont été coulés avant leur apparition. On suppose qu’ils l’ont été par le feu de l’artillerie ennemie, quoiqu’il soit possible que le coup fatal leur ait été porté par une torpille.

    Un combat livré à si courte portée par des croiseurs de bataille peut être taxé de mauvaise tactique, mais notre flotte, suivant ses traditions, était sortie pour avoir un engagement avec l’ennemi, et, en raison des conditions atmosphériques, elle n’a pu le faire qu’à courte distance.

    La troisième phase a consisté dans la bataille entre les cuirassés, qui n’a été que partielle.

    Cette phase a été suivie d’un combat de chasse, alors que les cuirassés allemands fuyaient vers leurs bases. Toute la lutte entre les grosses unités était terminée à 9h15.

    Un des aspects les plus étranges de cette bataille s’est produit alors : les contre-torpilleurs allemands ont opéré attaque sur attaque – telle l’infanterie après une préparation d’artillerie – contre nos grands cuirassés, mais ces assauts ont été singulièrement futiles, car pas une seule torpille lancée par ces derniers n’a atteint son but.

    Ces attaques ont cessé au matin, et le champ de bataille a été balayé en tous sens par la flotte de l’amiral Jellicoe, qui a annoncé que plus aucun ennemi n’était en vue.

    Nous ne pouvons seulement fournir que des épisodes de la grande bataille, jusqu’à ce que nous recevions le rapport complet de l’amiral Jellicoe.

    Un de ceux-ci a été le torpillage du cuirassé Marlborough, maintenant sauf au port, qui doit avoir donné dans un véritable guêpier de sous-marins, puisque, par une manœuvre habile, il a réussi à éviter trois de ceux-ci avant d’être finalement touché.

    Selon le rapport de l’amiral Beatty, au début du combat, un croiseur de bataille allemand a sauté, s’est brisé en deux et a coulé après une chaude action.

    Les officiers navals annoncent également qu’un autre croiseur de bataille allemand est resté en arrière durant le combat de chasse, a été dépassé étroitement engagé et laissé sur place. Quand nos navires sont retournés, le bâtiment avait disparu. A en juger par l’état où on l’avait laissé, il doit maintenant être au fond de la mer.

    L’ennemi admet la perte de deux croiseurs. L’Amirauté a reçu la nouvelle de la destruction de quatre croiseurs légers ennemis, et les Allemands eux-mêmes admettent la perte de six contre-torpilleurs.

    On a bon espoir que les pertes allemandes sont plus élevées, mais nous nous permettrons seulement de les estimer quand nous posséderons les comptes rendus officiels de nos commandants, qui jamais n’annoncent de pertes adverses sans preuve définie.

    Les zeppelins n’ont pas joué le rôle qu’on leur attribue. Un seulement est apparu et est demeuré en action durant une période très brève ; il s’est retiré sous un feu violent, apparemment après avoir été endommagé.

    Le temps était tel, d’ailleurs, qu’il est très douteux que des engins aériens quelconques aient pu rendre de grands services.

    L’ennemi ne nous a nullement surpris. Nous ne nous sommes pas aperçu qu’il possédât des canons de dix-sept pouces. Aucune nouvelle ruse de guerre navale n’a été déployée.

    Les conditions atmosphériques ont été la plus grande malchance que notre flotte ait éprouvée, comme on peut en juger par le paragraphe suivant, extrait du rapport officiel : « Nous regrettons que la brume ait permis à l’ennemi d’échapper à une punition, plus sévère ».

    Au point de vue de la force actuelle de notre flotte, la perte des équipages, quoique élevée, n’est pas sérieuse, car nous possédons encore un nombre considérable d’hommes pouvant les remplacer, mais la mort de tant de vaillants officiers et marins nous cause un profond chagrin.

    L’amiral Hood a coulé avec l’Invincible, selon les mots du rapport de l’amiral Beatty, « en conduisant sa division à l’action avec le courage le plus admirable ». Le capitaine commandant l’Invincible est allé également au fond. Le capitaine Sowerby a péri avec son bâtiment, l’lndefatigable, tandis que le capitaine Prowse est mort à bord du Queen-Mary.

    Si une action telle que celle de mercredi avait lieu chaque jour, nous supporterions plus facilement les pertes que les Allemands. Notre escadre de cuirassés est intacte, outre que nous possédons un nombre de croiseurs de bataille considérablement supérieur à celui des Allemands.

    Nous commandons toujours la mer du Nord, où nous avons empêché l’ennemi d’exécuter un plan défini.

    [Publié le 5 juin 1916]

     

    • Rapport officiel anglais

     

    Le rapport officiel sur la bataille du Jutland fut écrit le 24 juin 1916 par l’amiral sir John Jellicoe. En voici la conclusion concernant les pertes anglaises et allemandes :

    Je regrette infiniment d’avoir à annoncer la perte des navires suivants : Queen-Mary, Indefatigable, Invincible, Defense, Black-Prince, Warrior, Tipperary, Ardent, Fortune, Shark, Sparrowhawk, Nestor, Nomad et Turbulent, et je regrette encore plus les importantes pertes en existences.

    Les pertes allemandes sont de :

    Deux navires de ligne du type dreadnought et un troisième du type Deutschland, qu’on vit couler ; un croiseur de ligne, le Lutzow, avoué par les Allemands, un autre navire de ligne, type dreadnought, et un croiseur de ligne, qu’on vit tellement avariés qu’il est douteux qu’ils aient pu rentrer au port.

    A ces navires s’ajoutent cinq croiseurs légers, dont un paraissant d’un type supérieur et pouvant être un dreadnought ; tous ont été vus coulant. Plus de six contre-torpilleurs qu’on vit aussi couler et trois autres contre-torpilleurs si avariés qu’il est douteux qu’ils aient pu rallier leur base. Enfin, un sous-marin coulé.

    En résumé, seize navires, dont quatre grands, coulés, et cinq, dont deux grands, si sérieusement avariés qu’il est peu probable qu’ils soient rentrés au port.

    [Publié le 8 juillet 1916]

     

    • Communiqué officiel allemand

     

    Berlin, 2 juin 1916. Notre flotte de haute mer s’est rencontrée le 31 mai, au cours d’une entreprise dirigée vers le Nord, avec les forces navales principales, sensiblement supérieures, de la flotte de combat anglaise.

    L’après-midi et pendant la nuit se sont déroulés, entre le Skagerak et le Hornsriff, une série de combats sérieux, heureux pour nous, qui ont duré encore pendant toute la nuit suivante (Le Skagerack est, on le sait, ce détroit au nord du Jutland, qui fait communiquer la mer du Nord et le Kattegat, 115-145 kilomètres de largeur. Note du Journal de Genève)

    Pour autant que nous l’avons appris jusqu’à maintenant, nous avons détruit le grand navire de combat Warspite, les croiseurs de combat Queen-Mary et Indefatigable, deux croiseurs cuirassés, vraisemblablement de la classe Achille, un petit croiseur, les nouveaux contre-torpilleurs Turbulent, Nestor et Alcaster, un grand nombre de contre-torpilleurs et un sous-marin.

    Plusieurs autres grands navires de combat anglais ont été sérieusement endommagés. Le grand bateau de combat Marlborough a été atteint, en outre, d’une torpille.

    De notre côté, le petit croiseur Wiesbaden et le vaisseau de ligne Pommern ont été coulés par l’ennemi. On ignore jusqu’à maintenant le sort du vaisseau de ligne Frauenlob et de quelques torpilleurs.

    La flotte de haute mer est rentrée jeudi dans nos ports.

    Le chef d’état-major de la marine.

    [Wolff. traduction du Journal de Genève, 3 juin 1916]

     

    • Au Reichstag

     

    Berlin, 2 juin 1916. Vendredi, au début de la séance du Reichstag, le président a fait la déclaration suivante :

    Une grande bataille navale a eu lieu dans la mer du Nord. C’est la première rencontre de nos forces navales avec la partie principale des forces anglaises. Les nouvelles détaillées manquent encore, mais on peut d’ores et déjà conclure que notre jeune marine a remporté un grand et beau succès. (Vifs applaudissements)

    Sans doute, plusieurs de nos beaux navires ont été coulés et beaucoup de nos vaillants matelots ont péri, mais les pertes de l’ennemi sont de beaucoup plus grandes. (Vifs applaudissements)

    Avant tout, on a pu voir que notre flotte est en mesure d’affronter des forces navales anglaises même supérieures et de remporter la victoire. Nous lui en exprimons notre gratitude et lui adressons nos saluts. (Tempête d’applaudissements)

    Pendant cette déclaration, les membres du Conseil fédéral et du Reichstag se tenaient debout.

    Le contre-amiral Hebbinghaus, directeur à l’Office impérial de la marine, a dit :

    Suivant les nouvelles parvenues jusqu’ici, notre flotte de haute mer tout entière, commandée par le chef de la flotte, vice-amiral Scheer, s’est trouvée, le 31 mai après-midi, en face de toute la flotte anglaise de combat, comprenant au moins 32 grands vaisseaux modernes.

    La bataille s’est prolongée jusqu’à 9 heures. Elle a été suivie d’une série d’attaques réciproques de croiseurs et de torpilleurs qui se sont déroulées pendant la nuit.

    Le résultat de ces opérations, liées entre elles, est un important et réjouissant succès de nos forces contre un adversaire beaucoup plus fort. (Applaudissements)

    Les pertes certaines de l’adversaire, confirmées en partie par les prisonniers anglais, sont : le Warspite, de 28000 tonneaux, achevé seulement l’an dernier ; les croiseurs de combat Queen-Nary, de 30000 tonneaux, et l’Indefatigable, de 10000 tonneaux ; deux croiseurs-cuirassés de la classe de l’Achille, de 13700 tonneaux chacun ; un petit croiseur de 5000 tonneaux, trois contre-torpilleurs de première classe, jaugeant chacun environ 3000 tonneaux ; neuf à dix contre-torpilleurs, dont six ont été coulés par le vaisseau Westphalen à lui tout seul, et un sous-marin.

    De notre côté, ont coulé : le vaisseau de ligne Pommern, de 13200 tonneaux, atteint par une torpille ; le petit croiseur Wiesbaden, de 5000 tonneaux, atteint par le feu de l’artillerie. Le petit croiseur Frauenlob est manquant. Quelques torpilleurs ne sont pas encore revenus.

    Des informations concluantes ne sont pas encore parvenues au sujet des dégâts que nous avons subis et de nos pertes en hommes. Il va sans dire qu’une partie de nos vaisseaux sont aussi gravement endommagés. La partie principale de la flotte a regagné les ports. Le personnel et le matériel ont fait brillamment leurs preuves. Le moral est excellent. (Applaudissements prolongés)

    [Journal de Genève, 4 juin 1916]

     

    • Un discours de Guillaume II

     

    Berlin, 7 juin (Officiel).  Le 5, à Wilhelmshafen, du bord du navire portant le pavillon de la flotte, l’empereur a adressé aux délégations, se tenant à terre, de tous les navires et de toutes les embarcations ayant participé à la bataille navale du Skagerak, une allocution dont voici les termes approximatifs :

    Chaque fois que, au cours des ans passés, j’ai visité ma marine à Wilhelmshafen, je me suis profondément réjoui de l’aspect de la flotte en développement et du port s’agrandissant. Mes yeux reposaient avec plaisir sur les jeunes équipages rangés dans les hangars d’exercice et prêts à prêter le serment de fidélité au drapeau.

    Des milliers d’entre vous ont regardé dans les yeux leur chef militaire suprême lorsqu’ils ont prêté le serment. Il vous a rendus attentifs à votre devoir, à votre mission et, avant tout, à ceci : que la flotte allemande, si la guerre devait une fois éclater, aurait à lutter contre un adversaire de beaucoup supérieur.

    Cette conscience est devenue une tradition pour la flotte, de même qu’il en a été ainsi dans l’armée déjà depuis l’époque de Frédéric le Grand.

    La Prusse et l’Allemagne ont toujours été entourées d’ennemis extrêmement puissants. C’est pourquoi notre peuple a dû se laisser fondre en un seul bloc, qui a accumulé en lui des forces infinies et qui était prêt à les déchaîner à l’heure du danger.

    Mais jamais encore autant qu’aujourd’hui, je ne me suis rendu auprès de vous dans un état d’âme aussi élevé. Pendant des années, les marins de la flotte allemande, provenant de toutes les contrées de l’Allemagne et soudés en un seul tout, n’ont été animés dans leur pénible labeur pacifique que par cette unique pensée : « Lorsque l’heure viendra, alors nous montrerons ce que nous pouvons faire ».

    Et survint la grande année de la guerre. Des ennemis envieux nous ont assaillis. L’armée et la flotte étaient prêtes. Mais une dure période de renoncement se leva pour la flotte. Tandis que l’armée pouvait, dans de chauds combats contre des ennemis très puissants, écraser peu à peu les adversaires l’un après l’autre, la flotte attendait vainement le combat. Les nombreux exploits isolés qu’il lui était donné d’accomplir témoignaient nettement de l’esprit héroïque qui l’animait, mais elle ne pouvait pourtant pas se manifester comme elle le désirait. Les mois s’écoulaient après les mois. De grands succès étaient remportés sur terre, et l’heure n’avait toujours pas sonné pour la flotte.

    Vainement, on faisait proposition après proposition sur les moyens de venir à bout de l’adversaire, lorsqu’enfin le jour vint.

    Une puissante flotte de cette Albion maîtresse des mers, qui, depuis Trafalgar, avait imposé au monde entier la tyrannie maritime et qui bénéficiait d’une auréole d’invincibilité, cette flotte sortit. Votre amiral était plus que quiconque un admirateur enthousiaste de la flotte allemande, un vaillant chef à la tête d’une flotte qui dispose d’un excellent matériel et de braves et anciens marins.

    C’est ainsi que la puissante Armada anglaise s’approcha et qu’elle offrit le combat à la nôtre. Et qu’est-ce qui se passa ? La flotte anglaise fut battue !

    Le premier puissant coup de marteau est porté. Le nimbe de la domination mondiale anglaise s’est dissipé. Comme une étincelle électrique, la nouvelle a couru à travers le monde et a partout déchaîné une joie sans bornes où battent des cœurs allemands et aussi dans les rangs de nos vaillants alliés.

    Voilà le succès de la bataille de la mer du Nord. Un nouveau chapitre de l’histoire universelle a été ouvert par vous. La flotte allemande a été en mesure de battre la très puissante flotte anglaise. Le Dieu des armées a trempé vos bras et a donné à vos yeux de rester clairs. Je suis ici le représentant de la patrie et, en son nom, je vous exprime sa gratitude ; au nom de mon armée, je vous transmets le salut de vos frères d’armes.

    Chacun d’entre vous a rempli son devoir, que ce soit aux canons, près des chaudières ou dans la cabine de T. S. F. Chacun n’a eu en vue que le tout et le grand. Personne n’a songé à soi-même. Une seule pensée a animé toute la flotte : il faut que l’ennemi soit battu !

    Aussi j’exprime toute ma reconnaissance et mes remerciements au corps des officiers et aux hommes. Précisément en ces jours où l’ennemi commence à subir une lente débâcle devant Verdun, et où nos alliés ont chassé les Italiens de montagne en montagne et continuent toujours à les refouler, vous avez accompli ce grand et magnifique exploit.

    Le commencement est fait. La terreur va faire tressaillir l’ennemi. Mes enfants, ce que vous avez fait, vous l’avez fait pour notre patrie, afin qu’elle ait toujours, à l’avenir, libre carrière sur toutes les mers pour son travail et son activité. Criez donc avec moi : Notre chère, bien-aimée et magnifique patrie, hourra, hourra, hourra !

    [Wolff. traduction du Journal de Genève, 9 juin 1916]

     

    • Félicitations et décorations  allemandes

     

    Le chancelier de l’Empire a adressé au chef de la flotte de haute mer le télégramme suivant :

    Excellence ! Je vous prie d’accepter mes plus chaleureuses félicitations pour le brillant succès de la flotte de haute mer. La fierté et l’enthousiasme remplissent toute l’Allemagne. Notre flotte a eu enfin l’occasion de montrer à un ennemi supérieur en nombre, et qui se croyait invincible, ce que la puissance navale allemande peut faire. La patrie se réjouit et vous remercie.

    Le chef de la flotte de haute mer a répondu :

    Excellence ! Je vous prie de recevoir les sincères remerciements de la flotte de haute mer pour les félicitations que vous lui avez adressées, exprimant la joie de la patrie et de Votre Excellence. Elles nous donnent l’espoir d’avoir pu contribuer à assurer l’avenir de l’Allemagne dans le monde.

    Cet espoir anime notre flotte et est un gage pour l’avenir.

    La télégraphie sans fil a répandu dans le monde le message suivant signé de l’empereur :

    Je viens de conférer au vice-amiral Scheer, en le nommant amiral, et à l’amiral Hipper, l’ordre pour le Mérite.

    Wilhelm.

    [Temps, 7 juin 1916]

     

    • Lettre d’un combattant

     

    Lettre d’un jeune aspirant de la marine royale qui conte à ses parents la grande bataille du 31 mai, vue de son poste de combat. Flotte de l’amiral Sir John Jellicoe. (A bord du cuirassé de Sa Majesté, le X… Première escadre de bataille)

     

    Chers Parents,

    Le dimanche soir me semble un moment propice pour vous résumer mes impressions de combat, je commence donc :

    Mercredi 31 mai après-midi, nous faisions route vers le Sud, ne nous attendant guère à un coup de chien ; en fait, personne n’y songeait. A 15h30, on nous signale de nous préparer immédiatement pour le branle-bas. Nous nous livrâmes à cette intéressante opération qui consiste surtout à tout détruire, à mettre les tables sens dessus dessous, à sortir les chaises sur le pont et à inonder les ponts sous un ou deux pouces d’eau. On renferma nos coffres dans la salle de bain. J’eus cependant encore le temps de dégringoler en bas et d’extraire du mien mes effets chauds et mes engins de sauvetage. Je m’attendais, en effet, à passer la nuit dehors, et il ne faisait pas précisément chaud.

    A ce moment, le temps était couvert et brumeux, et il n’était guère possible de voir bien loin. Vers 16 heures, nous forçâmes la vitesse et nous reçûmes la nouvelle que nos croiseurs légers avaient reconnu l’ennemi, ce qui porta notre excitation à son comble. Il nous semblait (et je crois bien que nous ne nous trompions pas) que notre rencontre avec l’objet de notre colère ne dépendait que d’un heureux hasard ; cet élément sportif nous piquait au jeu plus vivement encore.

    À 17 heures, nous apprîmes que les croiseurs de combat et les cuirassés d’escadre les plus rapides avaient pris contact avec l’ennemi ; nous fîmes force de vapeur vers notre objectif, dans l’ardent espoir de l’atteindre. Vers 18 heures moins le quart, nous aperçûmes des lueurs par tribord avant, et un peu plus tard, nous vîmes les croiseurs de bataille tirant et essuyant le feu de l’ennemi.

    La flotte de combat faisait route sur plusieurs lignes. Nous exécutâmes alors une conversion vers bâbord, à la suite des croiseurs de combat ; nous formions une seule longue ligne avec toutes nos pièces tribord pointées sur l’ennemi. A 18h30 ou très peu après, nous ouvrîmes le feu sur un navire que chacun de nous prenait pour le croiseur cuirassé Roon. (J’ai appris depuis que ce n’était probablement pas lui, mais c’était en tous cas un grand croiseur cuirassé). Il avait déjà été très éprouvé, et, après une demi-douzaine de nos salves, qui l’atteignirent en plein, il disparut dans un embrasement magnifique.

    Il n’a pu demeurer à flot que quelques instants après que nous l’eûmes abandonné. Nous prîmes ensuite pour objectif un beaucoup plus grand cuirassé d’escadre (probablement du type Kaiser), et l’escadre lui donna un avant-goût de l’enfer. On a tout lieu de croire qu’il a succombé, mais je ne sais si personne l’a réellement vu couler. C’est alors que toute la ligne de bataille allemande, qui venait de prendre ses positions de combat, fit demi-tour et prit la fuite.

    Et ce fut la fin ! Il était environ 20 heures. Vous voyez donc qu’ils battirent en retraite avant que nous n’ayons pu les attaquer réellement ; ils avaient de sérieuses avaries !

    Nous n’avons vraiment assisté qu’aux préliminaires d’un combat, nous ne pouvons donc nous faire qu’une assez vague idée de ce que c’est en réalité.

    Quoi qu’il en soit, ce que nous avons vu fut parfait. Nous en avons éprouvé une vive joie, et nous nous en sentîmes meilleurs.

    Il nous fut impossible de foncer sur ces ombres en retraite, ignorant si l’ennemi n’avait pas disposé des douzaines de mines et de sous-marins pour nous barrer le passage. Nous les prîmes toutefois en chasse par une route plus sûre. Je passai la nuit sur la passerelle de direction du tir, bien que mon poste de combat soit, vous le savez, dans une tourelle.

    J’avais pour mission de veiller aux pièces de quatre pouces pour le cas probable où nous serions l’objet d’une attaque de contre-torpilleurs. Je ne fermai donc pas l’œil de la nuit.

    Cette nuit-là, vers 22h30, il y eut un violent engagement ou une attaque de contre-torpilleurs à une certaine distance de nous par tribord. Il se pourrait que ce fût au cours de cette attaque que fut coulé le dreadnought allemand dont il a été parlé. Nous aperçûmes un grand nombre de lueurs et un grand embrasement, ce qui nous causa un vif émoi. Il ne nous arriva plus rien pendant le reste de la nuit. A 2 heures, au jour, je retournai à ma tourelle.

    Tout était paré pour ouvrir le feu à la première alerte, les pièces chargées, etc. A tour de rôle, nous allions nous asseoir sur le dessus de la tourelle pour fumer une pipe.

    Un peu après 4 heures, nous aperçûmes un zeppelin sur notre arrière, ce qui ne laissa pas que de m’exciter vivement, car c’était la première fois que j’en voyais un. Il se rapprocha du navire, plutôt, je crois, pour nous reconnaître que pour nous lancer des bombes, car, en fait, il n’en laissa tomber aucune. Nous tirâmes sur lui avec une pièce de douze pouces et lui envoyâmes deux coups de notre canon antiaérien, ce qui le fit immédiatement battre en retraite. A vrai dire, je crois qu’il était hors de portée, mais cela valait la peine d’essayer notre chance sur lui.

    Nous demeurâmes quelque temps sur place, espérant toujours une occasion favorable, mais les Boches n’envisageaient évidemment pas la question sous ce jour-là et se tinrent hors de portée. Nous reprîmes donc le chemin du retour. Nous restâmes à nos postes de combat jusqu’à 15 heures, ce qui fait que nous les conservâmes pendant vingt-quatre heures d’affilée. Ce n’est pas trop mal.

    On a lieu de croire qu’au cours des opérations quatre torpilles furent lancées contre nous, mais aucune ne nous atteignit, tous les bâtiments sur lesquels j’ai été embarqué jouissant d’une chance proverbiale. Nous rentrâmes sans avarie et sans pertes. On considère que c’est notre escadre qui a eu à supporter le choc le plus violent au cours de l’engagement des cuirassés d’escadre ; les croiseurs de combat, bien entendu, « en ont pris » plus que personne. Du moins, nous avons, je crois, tiré plus qu’aucune autre unité.

    De toutes façons et quoi qu’il ait pu arriver, j’ai la conviction que les Huns ont été plus éprouvés que nous, et à notre bord tout a marché comme sur des roulettes.

    Après avoir attendu si longtemps cette journée, ce fut une joie profonde pour nous, et tout le monde était ravi, sauf quand ce fut terminé. Alors, je l’avoue, je me sentis attristé à la pensée de tous les braves gens qui avaient dû périr.

    Nous eûmes un service commémoratif à bord ce matin, et j’allai ensuite aux obsèques de quelques-unes des victimes.

    L’amiral Jellicoe y était, ainsi que beaucoup d’autres. C’était très impressionnant.

    Je crains de m’être laissé entraîner et de vous en avoir dit trop long, mais j’espère que vous ne m’en voudrez pas. C’est si rare que j’aie quelque chose à raconter.

    Au revoir ! Votre fils affectionné, Arthur.

    [Figaro, 17 Juin 1916]

     

    • Félicitations du roi George à la marine anglaise

     

    Au cours de sa visite à la grande flotte, le roi, dans une harangue adressée aux représentants des différentes unités navales en ligne, s’est exprimé ainsi :

    Sir John Jellicoe, Officiers et marins de la grande flotte,

    Vous avez attendu près de deux ans avec la patience la plus exemplaire l’occasion de rencontrer et d’attaquer la flotte ennemie. Je comprends parfaitement combien cette période a été pénible, et combien grande doit avoir été votre satisfaction lorsque vous avez appris le 31 mai que l’ennemi avait été aperçu.

    Des conditions climatériques défavorables et l’approche de l’obscurité vous ont empêchés d’obtenir le résultat complet que vous espériez tous, mais tous vous avez fait ce qui était possible dans ces circonstances. Vous avez repoussé l’ennemi dans ses ports et vous lui avez infligé de très lourdes pertes. Vous avez ajouté une page nouvelle aux glorieuses traditions de la marine britannique. Vous ne pouviez pas faire davantage, et, pour votre splendide travail, je vous remercie.

    A la suite de sa visite, le roi a envoyé au commandant en chef le message suivant :

    Je suis heureux d’avoir eu cette occasion de vous féliciter ainsi que la grande flotte pour les résultats de la récente bataille de la mer du Nord. Assurez tous les états-majors et équipages que le nom de la flotte britannique ne fut jamais plus haut dans l’estime de leurs concitoyens, dont l’orgueil et la confiance dans leurs exploits sont toujours aussi grands. Bonne chance, et que Dieu vous aide.

    Puissent vos futurs efforts être couronnés du succès le plus complet.

    [Temps. 20 juin 1916]

     

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