Le combat de la Tombe du Pontonnier (Tonkin)
D’après « Les hauts de l’armée coloniale » – F. Bertout de Solières – 1912
Au mois de mai 1893, le capitaine Crouzillard conduisait sur la Rivière claire, vers Ha-Giang, un convoi fluvial de ravitaillement, escorté de 12 hommes du 2e régiment étranger et 25 indigènes du 3e régiment de Tirailleurs tonkinois.
Le 23, vers huit heures du matin, le convoi arrivé à un coude de la rivière, dans un endroit appelé « la Tombe du Pontonnier », fut tout à coup assailli par une violente fusillade partant des rochers bordant la Rivière claire, où 200 pirates, commandés par le célèbre Hoang-Cau-Phuc, étaient postés en attendant l’arrivée des sampans.
Le convoi s’arrête aussitôt, accoste sur la rive opposée sur laquelle l’escorte prend pied. Pendant quatre heures, cette poignée d’hommes lutte énergiquement, calme, résignée, séparée seulement de l’ennemi par la largeur de la rivière, environ 50 mètres, les chefs parviennent à maintenir une ferme discipline et peuvent dès lors régler leurs feux comme à l’exercice. Néanmoins, 2 légionnaires, 2 tirailleurs et 4 sampaniers sont tués.
L’ordonnance du capitaine, le tirailleur Bui-Van-Thuoc, pénètre dans les sampans, malgré un feu très vif dirigé sur lui, et réussit à lâcher les quelques pigeons voyageurs qui s’y trouvaient. Les pauvres bêtes affolées se dirigent aussitôt sur Ha-Giang emportant la nouvelle de l’attaque et une demande de secours immédiat.
A ce moment, la moitié environ des pirates parvient à traverser la rivière, venant ainsi prendre notre vaillante petite troupe de dos et de flanc.
Avec une rapidité qui lui fait le plus grand honneur, le capitaine Crouzillard prend ses dispositions pour résister à ce nouveau danger. Il réunit ses hommes au pied d’un banian, en tête de son convoi, et attend résolument l’assaut qui s’exécute aussitôt avec des hurlements sauvages, scandés des sons lugubres de la trompe de guerre.
Les pirates se ruent sur les sampans pour les piller. Le lieutenant d’infanterie de marine Philippe, le fusil à la main, s’élance sur les Chinois, suivi d’une partie de l’escorte. Après un violent combat corps à corps, il parvient à repousser les ennemis qui se hâtent de repasser sur l’autre rive, d’où ils tiraillent encore un peu pour disparaître tout à fait.
Vers six heures du soir, arrivent enfin les renforts demandés à Ha-Giang, mais ils trouvent le convoi intact sous la garde des braves qui l’avaient si bien défendu pendant plus de huit heures, sous un soleil de feu et une grêle de mitraille, avec un courage et un entrain superbes.
Nos pertes n’étaient guère sensibles, tandis que les pirates avaient plus de 50 des leurs hors combat.
Le capitaine Crouzillard fut cité à l’ordre de l’armée pour ce brillant fait d’armes. Le lieutenant Philippe, nommé bientôt capitaine, eut le triste honneur de recueillir au Soudan les débris de la colonne Bonnier.