La prise de la smala d’Abd-el-Kader
D’après « Campagnes, triomphes, revers et guerres civiles des Français, de 1792 à la paix de 1856 » – F. Ladimir – E. Moreau – 1856
Une colonne avait été rassemblée à Boghar, le 10 mai, sous les ordres du duc d’Aumale. Il s’agissait de surprendre et d’atteindre la smala d’Abd-el-Kader. Après quatre jours de marche, l’on arrive à Ouessek-on-Rekai, à environ 15 lieues au sud-ouest du petit village de Goujelat.
Une marche de nuit porta la colonne sur ce point (du 14 au 15), et l’on apprit que la smala avait été dirigée sur Taguin, dont on était séparé par un désert de 80 kilomètres. Le prince n’hésite point. L’ordre est donné de marcher sur Taguin.
Le 16 au matin, quelques traînards de la smala sont aperçus. A 11 heures, on est informé par un chef indigène que la smala tout entière (environ trois cents douars) est établie sur la source même de Taguin, à une distance de 100 mètres à peine. La smala est nombreuse ; elle ne compte pas moins de 10000 hommes armés (dont 2090 cavaliers et 600 fantassins présents).
Le duc d’Aumale n’a à sa disposition qu’un petit nombre de cavaliers : cette faiblesse numérique fait douter aux plus braves du succès. Les Arabes, dans les rangs des Français, supplient le prince d’attendre l’infanterie, qui est en marche, et doit bientôt rejoindre.
N’écoutant que son courage et comptant sur le dévouement et l’énergie de ses troupes, le duc s’écrie : « En avant ! ». Et, le sabre au poing, il s’élance à la tête de la colonne. Tous, officiers et soldats, sont électrisés.
La cavalerie se déploie et se précipite avec l’impétueux mouvement particulier aux troupes françaises. A gauche, les spahis, entraînés par leur commandant Yussuf et par leurs officiers, culbutent l’infanterie arabe. Les femmes qui commençaient à préparer les aliments de la journée fuient les premières et entraînent leurs maris. Une fusillade se fait entendre.
Les chasseurs en trois groupes, l’un à gauche, commandé par le lieutenant Delage, le second au centre, ayant pour chef le lieutenant-colonel Morris, le troisième à droite, sous les ordres du capitaine d’Epinay, renversent tout ce qu’ils rencontrent, et vont arrêter la tête des fuyards, que de braves et nombreux cavaliers cherchent vainement à dégager. Officiers et soldats rivalisent et se multiplient pour dissiper un ennemi si supérieur en nombre. La fuite devient générale.
Alors ont lieu mille épisodes saisissants.
C’est une mère qui, portant ses enfants dans ses bras, demande et obtient le passage à travers nos soldats, ce sont les femmes et les filles des cheicks qui fuient emportées par des dromadaires rapides, tandis que leurs maris ou leurs pères se font tuer au-devant des tentes. Ailleurs des troupeaux s’échappent pêle-mêle et sont ramenés vers les douars par les spahis, toujours avides de butin.
Les Français n’étaient que 500 hommes, et il y avait dans la smala 5000 Arabes armés. On ne tua que des combattants, dont il resta sur le terrain 300 cadavres. Du côté des Français il y eut neuf hommes tués et douze blessés.
Ce fait d’armes eut pour résultats le pillage du trésor d’Abd-el-Kader, la dispersion ou le massacre de son infanterie régulière, la prise de quatre drapeaux, d’un canon, de deux affûts et d’un grand nombre de prisonniers.