Le combat de Dio
D’après « Les Hauts faits de l’armée coloniale » – F. Bertout de Solières – 1912
Ahmadou, sultan de Ségou, fils du célèbre prophète Al- Hadji-Omar, l’ancien ennemi de Faidherbe, avait établi sa puissance et son autorité sur des territoires considérables, confinant notre possession du Sénégal.
En 1879, le colonel Brière de l’Isle, gouverneur de cette colonie, poursuivant la réalisation de ses projets de pénétration dans le Soudan, résolut d’entrer en relations avec le farouche almany et de lui envoyer une mission chargée de lui faire reconnaître notre domination ou tout, au moins, de lui faire signer un traité d’amitié.
Une colonne comprenant 30 tirailleurs sénégalais et 10 spahis, 300 bêtes de somme, ânes et mulets, 100 conducteurs indigènes, fut organisée sous le commandement du capitaine d’infanterie de marine Galliéni.
Les lieutenants Vallière et Piétri, envoyés en avant pour préparer les populations, devaient aussi explorer la route à suivre.
La mission quitta Médine, le 22 mars 1880, accompagnée des médecins de la marine Tautain et Bayol. Elle atteignit sans encombre le village de Dio, situé à quelques journées de marche du Niger, mais il lui fut interdit d’y pénétrer (10 mai).
Galliéni, inquiet, fit établir le camp à environ 600 mètres au delà du village et envoya examiner le terrain avec la plus grande attention. Les patrouilles ne virent rien de suspect. Néanmoins, on veilla toute la nuit.
Le lendemain, 11 mai, au point du jour, la colonne fatiguée se remit néanmoins en marche : 4 spahis formaient la pointe d’avant-garde, puis venait le capitaine, suivi du docteur Bayol et de la moitié des tirailleurs. Le convoi s’avançait ensuite ; enfin l’arrière-garde, formée du restant des tirailleurs, était sous la direction du docteur Tautain.
Un ruisseau très encaissé, aux rives escarpées couronnées d’une végétation luxuriante, de broussailles épaisses, vint lui barrer le chemin. L’avant-garde passa avec quelques difficultés et s’avança de plusieurs centaines de mètres, pendant que les mulets et les ânes franchissaient le ravin.
A ce moment, les herbes s’agitent, les fourrés frémissent et de toutes parts surgissent des Bambaras, poussant leur cri de guerre. Une fusillade très vive s’engage, ils se ruent sur le convoi, tuant les animaux qui s’accumulent dans le lit du marigot, massacrant les conducteurs.
Des pillards entraînent rapidement à l’abri les ânes qu’ils peuvent prendre et transportent aussi en un clin d’œil la plupart des bagages de la colonne.
Pendant ce temps, le capitaine Galliéni attaqué furieusement se défend en désespéré. Il parvient même à gagner une légère éminence sur laquelle des ruines d’un village, vieux murs, levées de terre, lui permettent de se reconnaître et d’organiser une tentative de résistance.
L’arrière-garde, vigoureusement soutenue par les laptots, fait un feu d’enfer pour dégager le passage. Un laptot, Saër, atteint de plusieurs blessures, ne pouvant se tenir debout, continue de tirer assis au bord du ravin, tranquillement, comme à l’exercice.
Le docteur Tautain entraîne enfin tout le monde à l’assaut pendant que Galliéni revient à son secours.
Sur l’autre bord, on entendait le clairon des tirailleurs qui s’avançaient. Profitant d’une éclaircie, l’interprète Alassane prend le docteur en croupe et suivis des combattants qui restaient valides, se précipitent au pas de charge sur les Bambaras.
Les deux troupes parviennent enfin à se rejoindre et se hâtent de regagner les ruines derrière lesquelles on transporte les blessés. Le jour commençant à baisser. Pour sortir de cette position critique, le capitaine Galliéni se décide à en finir. Il rassemble tout son monde, installe les malades sur quelques mulets que l’on a pu rattraper, puis se fait jour à travers les ennemis, le révolver au poing.
Les Bambaras, maintenus à distance, suivent la petite colonne et n’abandonnent la poursuite qu’à la nuit.
Pendant cette terrible journée, la mission avait eu 15 hommes tués, 16 blessés et 7 disparus. Le convoi était entièrement dispersé ou volé.
La nuit entière fut consacrée à la marche pour échapper à l’ennemi. Le lendemain, la petite troupe harassée arrivait à Bamako où elle retrouvait les lieutenants Vallière et Piétri qui n’avaient pas été inquiétés.
Poursuivant résolument sa route, Galliéni traverse le Niger et avec ses 50 hommes se dirige sur Ségou. Ahmadou prévenu de son arrivée, lui interdit d’avancer, et pendant près de dix mois, le retient presque prisonnier dans le village de Nango, à 40 kilomètres de sa capitale.