Le déblocus de Wittemberg
D’après « Éphémérides militaires depuis 1792 jusqu’en 1815 » – Louis-Eugène d’Albenas – 1818
La victoire de Lutzen, en rejetant l’armée alliée sur la rive droite de l’Elbe, nous mettait à même de ravitailler nos places sur ce fleuve, que les alliés assiégeaient ou bloquaient depuis le mois d’avril.
Wittemberg, l’une d’elles, défendue par quinze cents hommes sous les ordres du général de division Lapoype, avait été attaquée et bloquée le 5 avril par un corps de douze mille Russes et Prussiens, commandés par le général Wittgenstein. Une des premières opérations de l’armée avait été de détourner les eaux qui, par différents aqueducs, alimentaient le fossé de la place, de sorte qu’elle devenait, par ce moyen, abordable sur tous les points.
Le général Lapoype, dans cette circonstance difficile, fit faire une sortie le 17 avril à trois heures du matin, pour détruire le batardeau que l’ennemi avait fait à une demi-lieue de nos avant postes. Par un singulier hasard, le général russe venait d’ordonner une attaque générale afin de repousser nos avant-postes jusque dans la place, de sorte qu’à peine les huit cents hommes chargés de la destruction du batardeau étaient arrivés sur ce point et en venaient aux mains avec un bataillon prussien, qu’ils entendirent une vive fusillade derrière eux. C’était l’ennemi, qui, à la faveur de la nuit, était arrivé jusque sur le bord des fossés de la place.
Il fallait revenir et se faire jour à la baïonnette dans les dernières maisons du faubourg, déjà occupées par l’ennemi. Tout ce qui s’opposa à notre passage fut culbuté, et au point du jour nous étions rentrés sur nos glacis avec perte seulement d’une soixantaine d’hommes. Le chef de bataillon Chanrion, qui commandait la sortie sous les ordres du général Bardet, montra la plus grande habileté jointe à la plus grande audace.
Au jour, l’ennemi déploya toutes ses forces, et son artillerie tira sur la ville une partie de la journée ; nos batteries répondaient victorieusement au feu des alliés. Nos troupes se portèrent alors en avant, les chassèrent à une grande distance, et se maintinrent dans les positions qu’elles venaient d’enlever. Dans cette journée, l’ennemi, de son propre aveu, perdit dix-sept officiers et cinq cent cinquante soldats ; notre perte fut peu considérable.
Le 18 au matin, l’ennemi fit sommer la ville de se rendre. Le général Lapoype répondit qu’il n’écouterait aucune proposition le feu recommença et le général Wittgenstein fit attaquer la tête de pont sur la rive gauche, mais sans succès. Le général polonais Bronikowski, qui la défendait, y fut blessé dangereusement.
Le 20, au milieu de la nuit, l’ennemi chercha à incendier le pont en lançant au cours de l’eau cinq brûlots chargés de matières combustibles. Aussitôt les officiers du génie s’y portent. Les sapeurs, bravant la mort, s’élancent sur les brûlots, jettent à l’eau les obus et les boulets incendiaires, qui éclataient incessamment, et parviennent à fixer au rivage les redoutables embarcations.
Plusieurs attaques eurent encore lieu, mais elles furent toujours repoussées par nos troupes avec autant de bonheur que de courage. Enfin l’ennemi, ayant appris la bataille de Lutzen, commença à se retirer le 4 mai.
La cavalerie polonaise, qui, pendant le blocus, s’était vaillamment comportée, le poursuivit jusqu’à Wartenbourg. Et enfin le 7, le général Regnier arriva sur les bords de l’Elbe.