Les événements de Fez
D’après « Les annales coloniales » – 30 avril 1912
Le point de départ des événements de Fez a été le mécontentement des harrabas, élèves instructeurs de la Kasbah des Chérarda, une des tribus makhzen, logée au nord et à proximité de Fez-el-Djedid et du palais chérifien.
Ils se plaignaient qu’on leur retint la moitié de leur mouria, ou solde, pour améliorer leur ordinaire, et qu’on voulût leur imposer le port du sac.
Le jeudi 17 avril, vers dix heures et demie du matin, l’un d’eux tira en l’air. Ce fut le signal d’une mutinerie.
Ils sortirent en courant du casernement. Une quarantaine se rendirent au palais et demandèrent à voir le sultan. El Mokri les reçut. Ils réclamèrent avec violence, disant qu’ils voulaient servir le sultan, non les Français. Le chérif, attiré par le bruit, essaya de les calmer. Ils répondirent en montrant leurs cartouches et en déclarant qu’ils se défendraient eux-mêmes.
Puis, ils quittèrent le palais et se répandirent en ville, tuant les officiers instructeurs français qu’ils rencontraient et pillant les boutiques. La population fit chorus avec eux, excitée par les femmes qui, du haut des terrasses, criaient des youyou.
Tous les tabors firent progressivement défection, sauf quelques-uns qui, sous la direction du général Brulart et de son état-major, gardèrent la ville makhzen, le palais du Sultan, la résidence du ministre de France, l’arsenal et l’hôpital militaire.
Comme il n’y avait pas d’autre force de police, les émeutiers devinrent, en quelques heures, maîtres du reste de la ville, de Fez-el-Djedid et de Fez-el-Bali, et s’y livrèrent à toutes sortes d’atrocités dont la presse quotidienne a fait connaître les épouvantables détails.
Heureusement, le général Brulard réussit à garder ses communications avec les troupes du colonel Taupin, cantonnées au camp de Dar-Debigagh, à 2 kilomètres de Fez. Il les appela au secours. Le soir, à 6 heures, après un vif combat, un détachement de tirailleurs français put entrer dans la ville et occuper le quartier du Makhzen. Un autre, avec du canon, prit possession du bastion sud. On put ainsi, progressivement, délivrer les Européens bloqués et menacés dans leurs maisons.
Après une nuit relativement calme, la fusillade recommença le lendemain 18 avril. Mais dans l’après-midi et dans la journée du 19, les patrouilles françaises et les tabors indigènes, restés ou redevenus fidèles, désarmèrent les mutins et rétablirent l’ordre.
Le samedi soir, le général Moinier, commandant du corps d’occupation, arriva avec 2000 hommes et de l’artillerie. Le lendemain, il fit son entrée à Fez et occupa le bastion nord, dernier refuge des rebelles. L’insurrection était vaincue.
Mais elle avait coûté la vie à 52 Français, dont 15 officiers, 24 soldats et 13 civils. Elle en laissait 67 blessés, dont 4 officiers. Elle avait accumulé les ruines.
Le quartier juif, ou mellah, avait été mis à feu et à sang, aux trois quarts détruit par le pillage et l’incendie. Ses 12000 habitants sont sans ressources et sans asile réfugiés dans le Dar-el-Makhzen. Une centaine ont été massacrés. Enfin, il reste de ces journées un souvenir affreux d’épouvante et de sauvagerie.