La bataille de Formigny
D’après « Mémoire historique sur la bataille de Formigny » – Édouard Lambert – 1824
Henri V, roi d’Angleterre, profitant des troubles et de l’état de désordre où était la France sous le règne du faible Charles VI, débarqua à Touques, avec une armée de 25 à 30 mille hommes le 12 août 1417, et s’empara en très peu de temps de toute la Normandie.
Charles VII, fils de l’infortuné monarque, fut assez heureux pour mettre fin aux malheurs qui désolaient la France depuis cette époque. Déjà maître de la haute Normandie, il laissa à ses généraux le soin de s’emparer et de soumettre à son obéissance les autres places de cette Province. La défaite des Anglais à la journée de Formigny fut enfin le terme de cette heureuse révolution.
Il y avait 33 ans que les Anglais possédaient la Normandie, lorsqu’ils en furent entièrement expulsés en l’année 1450, époque mémorable dans les annales de notre Province. Formigny fut le lieu que la providence avait choisi pour nous affranchir à jamais de leur domination : c’est ce que nous allons établir, en nous appuyant de l’autorité des historiens du temps, et en nous aidant de quelques renseignements particuliers.
Formigny est une commune de l’arrondissement de Bayeux, dont elle est éloignée de quatre lieues, sur la grande route de cette ville à Isigny (route royale de Paris à Cherbourg), du canton de Trevières dont elle n’est qu’à une petite lieue, et à une lieue et demie de la mer. Sa population est d’environ cinq cents habitants.
Pendant le carême de l’année 1449, trois mille Anglais, sous la conduite de Messire Thomas Kyriel, chevalier de grand renom, descendirent à Cherbourg et marchèrent aussitôt vers Valognes, qu’ils assiégèrent. Un gentilhomme de Poitou, nommé Abel Roüault, qui en était gouverneur à la place de son frère Joachim, se défendit vaillamment, mais n’étant pas secouru, fut obligé de rendre la place, après un siège de trois semaines.
Après cette expédition, Kyriel, dont l’armée était grossie des secours que les autres généraux anglais lui avaient amenés des villes voisines, se disposa à tenir la campagne, afin de rejoindre le duc de Sommerset, qui pour lors était dans le château de Caen.
Robert Ver lui conduisit six cents hommes de Caen, Mathago (dont le véritable nom paraît être Mathieu God ou Goth) lui en conduisit huit cents de Bayeux, et Henry de Norbery quatre cents de Vire. Ces forces réunies formèrent une armée de près de sept mille combattants, qui se mit en marche le 12 avril 1450, après pâques, afin de passer le grand Vey.
Sur ces entrefaites, Jean, duc de Bourbon, comte de Clermont, très jeune encore, et que le roi Charles VII avait nommé son lieutenant-général, était alors à Carentan et dans les environs avec quelques troupes. Il brûlait du désir de rencontrer les Anglais et de les attaquer, quoique son armée fût très peu nombreuse.
Il détache en conséquence Geoffroy de Couvran et Joachim Roüault, pour éclairer le terrain et savoir de quel côté les Anglais se dirigeaient. Ceux-là les ayant atteints, comme ils se disposaient à passer les Veys, en informèrent le comte de Clermont, qui envoya aussitôt un héraut à St.-Lo au comte de Richemont, connétable de France, pour lui faire connaître que les Anglais allaient passer les Veys, et marcher vers Bayeux, et qu’il le priait de venir à son secours, en se portant sur Trévières.
Pierre de Louvain fut chargé par le comte de Clermont de défendre, avec une centaine de lanciers et les archers, le passage du Vey. Une partie des archers et des hommes d’armes ayant mis pied à terre, ils s’avancèrent très avant dans l’eau, et les Anglais en ayant fait autant, il y eut un combat qui dura grand espace de temps.
Les Français furent enfin forcés de se retirer, et de rejoindre le gros de l’armée qui était demeuré sur le bord de la rivière. Ce fut alors que les Anglais, ayant fait monter partie de leurs archers de pied derrière ceux de cheval, parvinrent à franchir le passage.
Sans attendre le secours du connétable de France, le comte de Clermont poursuivit les Anglais en toute diligence. Il fit éclairer sa marche par vingt lanciers qu’il envoya en avant, sous le commandement d’Odet d’Aidie et Ricarville, qui parvinrent à les atteindre au village de Formigny. Les Anglais traversaient alors ce village et étaient occupés à changer de logis à autre. Lorsqu’ils eurent reconnu que c’était les coureurs de leurs adversaires, ils se réunirent et se mirent en bataille ; car ils ne croyaient pas que les Français eussent intention de les combattre.
Le fameux Prégent de Coëtivi, amiral de France, commandait l’avant-garde du comte de Clermont. Les Anglais, pressés par cette circonstance, envoyèrent promptement vers le capitaine Mathieu God qui les avait quittés le jour même, pour aller à Bayeux, et qui revint aussitôt. Ayant examiné la marche des Français, ils ne doutèrent plus qu’ils ne fussent poursuivis par eux, et ils se préparèrent en conséquence à se défendre avec vigueur.
Voici la manière dont ils disposèrent leur ordre de bataille : Robert Ver et Mathieu God eurent le commandement de la cavalerie, qui était de huit cents à mille combattants ; elle fut placée du côté du ruisseau vers le pont. Thomas Kyriel et le reste de son armée descendirent à pied, se rangèrent en bataille, en laissant à dos le village éloigné d’environ un trait d’arc, appuyés par le ruisseau et des jardins remplis de pommiers et d’autres arbres.
« Là furent Françoys et Angloys les uns devant les autres par l’espace de trois heures tousjours en escarmouchant, et pendant ce les Angloys feirent grands troux et fossez en terre avec dagues et espées devant eux, afin que ceulx qui les assaudroient peussent tomber eulx et leurs chevaulx sur lesdictes dagues et espées » (Monstrelet – 1595).
Le comte de Clermont fit alors faire un mouvement à sa troupe, et se plaça devant eux à la distance de trois traits d’arbalètes environ. Là, quinze cents archers, sous la conduite du sire de Mauny, mirent pied à terre et les hommes d’armes demeurèrent à cheval dans la direction du ruisseau.
Les Français avaient établi deux couleuvrines en avant de leur position, environ soixante lanciers et deux cents archers étaient chargés de les protéger et de tenir les Anglais en échec, jusqu’à l’arrivée du connétable.
Mais Mathieu God, qui éprouvait un dommage considérable par l’effet de ces pièces d’artillerie, envoya six cents archers pour s’en emparer, ce qu’ils firent malgré le feu de ces pièces. Les Français furent vivement repoussés et forcés de se retirer en désordre jusqu’à la position qu’occupait le comte de Clermont.
Dans ce moment, on aperçut le connétable de France qui descendait d’une hauteur au-dessus d’un moulin à vent du côté de Trévières. Il avait avec lui deux cent à deux cent vingt lanciers, dont les principaux étaient Jacques de Luxembourg, le comte de Laval, Lohéac maréchal de France, d’Orval, le maréchal de Bretagne, Ste. Sévère, Boussac et plusieurs autres chevaliers et écuyers et huit cents archers. Le connétable, voyant le désordre des Français, se hâta d’envoyer une partie de son avant-garde avec ceux qui gouvernoient ses archers, Gilles de St. Simon, Jean et Philippe de Malestroit frères, Jean Budes, Hector Meriadeuc, Guillaume Gruel, Anceau Gaudin, et le Bastard de la Trimouille vaillant chevalier en armes, qui marchèrent vers le pont de Formigny, occupé par l’aile gauche de l’armée Anglaise.
Le pont fut enlevé, et les Anglais perdirent environ cent vingt hommes.
Mathieu God et Robert Ver, effrayés de cette attaque, abandonnèrent le terrain avec environ mille de leurs gens, et s’enfuirent à Bayeux et à Caen. Kyriel prit alors le parti de se retirer avec sa troupe près du ruisseau et dans le village.
Le connétable avec le reste de ses gens passa le ruisseau, pour joindre le comte de Clermont, et là, toutes les forces Françaises étant réunies, le connétable de France dit à Prégent de Coëtivi : « Allons vous et moi voir leurs contenances », et lorsqu’ils furent entre les deux armées, il lui demanda : « Que vous semble M. l’admiral, comment nous les devons prendre ou par les bouts, ou par le milieu ? ».
L’amiral lui répondit qu’il pensait qu’ils resteraient dans leurs retranchements. Le connétable lui dit : « Je voue à Dieu ils n’y demeureront pas, avec la grâce de Dieu ». Le grand Sénéchal de Normandie vint dans ce moment demander la permission de faire descendre son enseigne (sa troupe) vers une redoute qu’occupait l’aile droite de l’armée anglaise.
Le connétable, y ayant réfléchi, la lui accorda. Aussitôt les gens du sénéchal enlèvent la redoute et chargent les Anglais avec une telle vigueur qu’ils détruisent totalement cette aile. Dans le même instant, les troupes du connétable et celles du comte de Clermont s’avancent près du village, passent le ruisseau sur le grand chemin, font reculer les Anglais de leur position, et les assaillent vigoureusement de toutes parts.
Les Anglais soutiennent vaillamment le choc. Mais, enfoncés et rompus sur plusieurs points, ils sont enfin forcés de céder à la fortune des vainqueurs.
Trois mille sept cent soixante et quatorze Anglais restent sur le champ de bataille. Douze à quatorze cents sont faits prisonniers, dont quarante-trois capitaines et gentilshommes, tous portant cottes d’armes, parmi lesquels on remarquait le général Thomas Kyriel, Henry de Norbery, Jannequin Basquier, Thomas Druic, Kirkeby, Christophe Anberçon, Jean Arpel, Alengour, Pasquir Godebert, Calleville, Laurent Ramefort, Jean Haise, etc.
Les troupes françaises réunies n’allaient cependant pas au-delà de trois mille hommes, tandis que celles de leurs ennemis étaient de six à sept mille.
Les historiens du temps assurent que de notre côté, la perte ne fut que de cinq ou six hommes, cela n’est guères croyable. Mais Mathieu de Coucy, qui donne plus de détails que les autres, dit : cinq ou six hommes d’armes environ, entre lesquels il n’y avait aucuns gens de nom. Les chroniques de Bretagne en comptent huit ou dix, tant Bretons que Français.
Après le combat, environ le soleil couchant, le connétable et le comte de Clermont donnèrent de l’argent, et désignèrent des hérauts et des prêtres pour faire enterrer les morts, qui furent mis, le lendemain, en quatorze grandes fosses.
Le comte de Clermont demeura à Formigny, et le connétable logea à Trévières. Celui-ci voulut bien y consentir, parce c’était la première affaire que le comte avait eue à la guerre, attendu sa jeunesse et son bas âge.
Ainsi se termina la bataille de Formigny, livrée un mercredi 15 avril 1450, mémorable victoire qui délivra entièrement notre Province des longs malheurs, qui depuis trente-trois ans pesaient sur elle.
Honneur soit rendu aux mânes des braves qui surent nous affranchir de la domination d’une nation rivale ! C’est à eux que nous devons le calme dont nous avons joui depuis cette époque. Et vous, paisibles champs de Formigny, vous ne serez plus désormais le théâtre sanglant où l’étranger venait disputer la possession de notre belle patrie !
Bons habitants, vous conservez encore le souvenir de cette terrible catastrophe, et quand vous l’oublieriez, le soc de votre charrue, en cultivant vos compagnes, vous présenterait assez souvent des objets capables de vous la rappeler. Des casques, des débris d’armures, des jaques de mailles, des épées, sont les témoins qui attestent notre gloire passée.
Parmi les Français qui se distinguèrent dans cette affaire, on remarque le connétable, le comte de Clermont, l’amiral de Retz, le maréchal de Lohéac, le grand sénéchal de Normandie, les comtes de Castres, de Laval et de St.-Paul, Geoffroy de Couvran, Joachim Roüault, le sénéchal de Bourbonnois, les fils du comte de Boulogne et de Villars, les seigneurs de Mauny, de Magny, de Montgascon, de Chalançon , de Ste.-Sévère et de Gamaches, Olivier de Broon, Jean de Rosvignan, Godeffroy de la Tour et Olivier de Cottini.
Le comte de Clermont et plusieurs autres jeunes gens furent faits chevaliers après la bataille.
Les généraux partirent le lendemain avec leurs troupes et s’en allèrent coucher à St.-Lo, où ils séjournèrent trois jours entiers, pour se reposer, rafraîchir leurs chevaux et panser les blessés.
La victoire de Formigny inspira une joie si universelle, que l’on ordonna des processions dans toutes les villes.
Les fruits de cette victoire furent la prise de Vire, qui se rendit par composition ; la reddition de Bayeux, après un siège de trois semaines ; la soumission de la forteresse de Tombelaine, près du mont St.-Michel. On réduisit ensuite Bricquebec, Valognes et St.-Sauveur-le-Vicomte.
Le duc de Sommerset, qui commandait dans la ville de Caen, où étaient les plus braves capitaines de sa nation, avec une garnison de quatre mille hommes, fut forcé de capituler. Il fut convenu que, s’il n’était pas secouru avant le 1er juillet, la garnison sortirait avec armes et bagages, ce qui fut exécuté : le jour marqué, Charles VII en prit possession en personne.
Enfin, les villes de Falaise et de Domfront ayant été prises, il ne resta plus aux Anglais que la seule ville de Cherbourg qui fut investie par le connétable de Richemont, auquel la place fut remise par capitulation du 12 août 1450, jour mémorable dans nos annales, par l’entière expulsion des Anglais de tout le territoire normand.