D’après « Lacs, forêts et rivières de Lorraine » – Edition Mars et Mercure – 1974
Il fut un temps où les lutins de l’Ormont détestaient les habitants du Val de Galilée parce que ceux-ci, travaillant dans la forêt, ou y chassant, ou même s’y promenant, troublaient leur solitude.
Et c’étaient, à chaque instant, de sournoises vengeances : un énorme rocher, mystérieusement détaché du sommet de la montagne, brisant tout sur son passage, et heureusement détourné vers une combe sauvage ; un torrent dévié de son cours pour menacer une ferme et ramené par une force inconnue en son lit normal ; un troupeau d’ours et de loups hurlants, conduits par un belliqueux sotré et arrêtés on ne sait par qui aux premières maisons de la Ville.
Vous avez deviné que la vigilance des fées avait le plus souvent raison de la méchanceté des Lutins. Mais le danger grandit et devint plus pressant le jour où les effrontés petits sotrés, retors en malice, parvinrent à rallier à leur cause les gnomes du lac intérieur de l’Ormont.
Ici, je dois une explication aux personnes non informées.
Ormont n’est pas, comme une autre montagne, une masse compacte de terre et de rochers. Dans ses flancs, évidés en une gigantesque caverne, s’étend un lac souterrain de sept lieues bien comptées de tour. C’est l’armature de ce lac, son enveloppe, sa cuvette de rochers, que lutins et gnomes voulaient rompre pour inonder Saint-Dié et la vallée et en détruire les habitants.
On entendait parfois les coups répétés de ces génies du mal. On percevait, de la ville, de sinistres bruits, on distinguait même le sourd clapotis des eaux en furie qui battaient avec rage les flancs robustes des cavernes souterraines. De nombreux habitants s’enfuyaient épouvantés.
Tout à coup, un craquement épouvantable jette la terreur dans le val. Minée jusqu’en ses fondations, la montagne se fend et s’ouvre en plusieurs endroits. Par les déchirures d’énormes cascades jaillissent avec furie et entraînent dans leur tourbillon rocs, arbres, animaux même, submergeant la ville en un instant. Le Val prend l’aspect d’un immense torrent roulant tumultueusement vers Etival et Raon. Sur quelques rochers s’accrochent de véritables grappes humaines, tandis que les vieillards, les infirmes et les êtres faibles sont entraînés par l’impétueux courant. Des mères affolées élèvent leurs enfants au-dessus de leur tête au moment de disparaître.
Et l’eau monte. Et l’on entend, dans la forêt, du Sapin Sec aux Molières, les ricanements des gnomes et des lutins.
Soudain, des roches d’Ormont, s’élève et plane le groupe de nos bonnes fées.
Prenant son vol, l’une d’elles détache la ceinture magique qui fermait son corselet d’azur, et l’allonge en un ruban qu’elle déploie comme un grand cercle au-dessus de la montagne. Se plaçant de distance en distance, ses compagnes soutiennent l’anneau ainsi formé ; à un signal donné, lorsqu’il est convenablement placé, elles le descendent jusqu’à la hauteur des brèches faites aux parois du lac et, ainsi que fait un tonnelier d’une cuve dont les douves sont disloquées, elles resserrent soudain le cercle magique, étreignant comme dans un puissant étau les flancs de l’Ormont.
Les crevasses béantes se referment en gémissant et les eaux, de nouveau prisonnières, cessent de désoler la contrée.