D’après « La défense de Paris (1870-1871). Tome 3 » – Général Ducrot – 1875
(6, 7, 8 décembre 1870)
Un rapport prussien, envoyé par voie parlementaire, dans la soirée du lundi 5 décembre, ayant signalé la présence d’un assez grand nombre de cadavres des deux armées sur la ligne des avant-postes, les ambulances de la Presse furent désignées par le général en chef pour rendre les derniers devoirs à nos soldats.
Armistice du 6 décembre
Le 6 au matin, M. de la Grangerie, secrétaire général de la Société, le commandant d’état-major Vosseur, et le docteur Sarazin, médecin en chef du quartier général, se rendirent, précédés du drapeau parlementaire, aux avant-postes ennemis. M. le docteur Sarazin, parlant très bien l’allemand, avait été personnellement désigné pour servir d’interprète.
Soixante Frères de la Doctrine chrétienne, une escouade de terrassiers, avec deux fourgons remplis de brancards et d’outils, les suivaient.
Il n’avait pas été permis aux Frères de dépasser la ligne du chemin de fer. Les soldats allemands, après avoir ramassé nos morts, devaient les charger sur les voitures et les amener près des fosses. Pour plus de précautions encore, on avait fait descendre nos cochers de leurs sièges et on les avait remplacés par des soldats du train allemand.
Les conditions d’armistice réglées, on se mit aussitôt à l’œuvre.
Comme on était près du Four à chaux, un obus vint à tomber au milieu des travailleurs sans atteindre personne. « C’est une trahison » s’écrie l’officier wurtembergeois qui assistait à l’opération, et il ordonne à M. de la Grangerie de se retirer immédiatement avec tout son monde dans les lignes françaises. Presque au même instant éclatent deux nouveaux obus. Furieux, les soldats allemands se jettent sur M. de la Grangerie et le docteur Sarazin, les injurient, les bousculent, les menacent de les emmener prisonniers.
En vain ces messieurs affirment que c’est un regrettable malentendu, et non une trahison. « Dans tous les cas, disent-ils, ne sommes-nous pas aussi exposés que vous aux obus français ? ». A la fin, après de longs pourparlers, on se décide à les relâcher, mais ils sont obligés de renoncer à leur mission et de retourner au camp.
Armistice du 7 décembre
Le lendemain, à la même heure, M. de la Grangerie et le convoi reprennent le chemin de la veille.
Cette fois, toutes les précautions ont été prises. Le Directeur des ambulances est porteur d’un laisser-passer en règle et d’un ordre de cesser le feu transmis la veille à tous les forts.
Cet ordre était ainsi conçu :
Le général Ducrot au commandant du fort de Nogent, au général d’Exea, à Fontenay-sous-Bois, au commandant de la redoute de la Faisanderie, au commandant de Gravelle, au commandant de Saint-Maur, au commandant d’André, à Poulangis.
Demain, à 10 heures du matin, un parlementaire se rendra aux avant-postes prussiens, en avant de Poulangis et sur le plateau de Villiers, pour procéder à l’enlèvement des morts.
Le drapeau parlementaire devra être arboré sur le fort de Nogent, la Faisanderie, Gravelle, Saint-Maur, et le feu devra cesser sur toute la ligne, infanterie et artillerie, à partir de 10 heures.
Veuillez m’accuser réception de cette dépêche.
Mardi, 6 décembre 1870. Général Ducrot.
Le capitaine wurtembergeois avait rédigé les termes de la suspension d’armes. Cette pièce, écrite en allemand et en français, était ainsi conçue :
Le soussigné vient de faire une convention avec le plénipotentiaire français, ayant pour but de livrer les morts éparpillés sur le champ de bataille. Dès ce moment, le feu cessera sur toute la ligne entre Noisy et Ormesson jusqu’à ce soir 5 heures. Toute hostilité cesse de droit. Les forts de Nogent, Faisanderie, Gravelle, la redoute de Saint-Maur et les batteries de campagne placées sur toute cette direction sont compris dans la ligne mentionnée plus haut. De même Noisy ne sera pas incommodé par le plateau d’Avron.
Le Capitaine d’état-major, Sarvey.
De la Grangery.
Pendant que les terrassiers creusent les tombes, les Frères parcourent le champ de bataille et rapportent les morts sur des brancards.
Les autorités allemandes ayant prescrit que nul ne franchirait leurs lignes, les voitures sont conduites comme la veille par des soldats allemands. Les Prussiens, après àvoir réuni les cadavres le long du chemin de fer, les posaient par dix dans les fourgons qu’ils nous renvoyaient pleins.
Malgré la plus grande activité, à 5 heures on n’avait encore enseveli que 485 morts. L’armistice expirait, on convint de part et d’autre de le reprendre le jour suivant pour achever cette pénible mission.
Armistice du 8 décembre
Le lendemain 8 décembre, la neige tombée la nuit, couvrant au loin tout le terrain, formait comme un blanc linceul.
Quelle lugubre scène ! dit le docteur Sarazin. Sur cette route longue, triste, droite, gelée, sous un ciel gris, on nous amenait des charretées de cadavres.
Il y en avait de longues files alignées sur le bord des fosses : artilleurs, zouaves, soldats de la ligne, mobiles, en rangs serrés, sur la terre gelée, gelés eux-mêmes dans les contorsions fantastiques de l’agonie. Des officiers de toutes les armes formaient la première ligne.
Les Frères avec leurs longues robes noires qui tranchaient sur la neige, allaient et venaient au milieu de ces morts. Il y avait dans ces choses lugubres une symétrie horrible. Les fosses étaient longues, larges et profondes, près de 700 cadavres devaient y trouver place.
A la tombée de la nuit seulement, le travail était terminé, toutes les fosses comblées : 685 cadavres d’officiers ou soldats y reposaient
Les tranchées sont au nombre de quatre, au nord de la route n° 45, à l’angle formé par un petit chemin qui mène au Tremblay. La première tranchée, perpendiculaire à la route, a 33 mètres de long ; la deuxième, qui lui fait face, n’en mesure que 16 ; elle est réservée aux officiers et encadrée dans deux autres tranchées parallèles de 52 mètres de long chacune. La largeur uniforme est de 2 mètres et la profondeur à peu près équivalente. Le développement général se trouve être de 153 mètres.
Sur chaque tumulus, on planta une croix de bois noir avec cette inscription :
- Ici reposent six cent quatre-vingt-cinq soldats et officiers français tombés sur le champ de bataille.
- Ensevelis par les ambulances de la presse le 8 décembre 1870.