« Bois d’Ailly – Tête à vaches – Bois Brûlé »
D’après « Les Archives de la Grande Guerre » – 1921
Vers la fin de septembre 1914, l’armée allemande occupait les Hauts-de-Meuse sans opposition de l’armée française, et jetait quelques troupes dans Saint-Mihiel.
Le 8e corps d’armée envoyé à Commercy pour arrêter les progrès de l’ennemi était renforcé presque immédiatement par la brigade active de Belfort, amenée d’Alsace en chemin de fer. Cette brigade débarquait à Lérouville le 28 septembre, vers six heures du matin.
Le front attribué en septembre 1914 au 8e corps d’armée devait rester confié à sa vigilance pendant plus de deux années. Il s’étend de Fresnes du Mont, sur la rive gauche de la Meuse, à Apremont en face duquel nos troupes sont restées pendant tout notre séjour dans la région.
Ce front présente deux parties bien différentes l’une de l’autre à tous points de vue. La première s’étend sur la rive gauche à travers des prairies humides. Les méandres de la rivière y forment les deux presqu’îles de Han et de Bislée. La seconde partie du front s’étend sur la rive droite, accidentée, âpre, rocheuse et presque entièrement boisée.
Le front de la rive gauche.
La vallée inondée ou marécageuse pendant toute la saison humide était également dominée par les deux rives. Toute opération y était difficile. Le Camp des Romains avait des vues élevées et relativement rapprochées sur notre front de la rive gauche où les couverts étaient rares. L’ennemi avait certainement de grandes facilités pour surveiller nos agissements dans les deux presqu’îles et nous en chasser, si les bénéfices de l’opération avaient compensé les risques ultérieurs.
Le seul accès de la presqu’île de Bislée avait lieu par le pont qui franchissait la Meuse et son canal latéral. Ce pont avait été détruit par nous et remplacé par une passerelle entièrement sur tonneaux dans la traversée du canal, et sur les débris du pont détruit dans la traversée de la Meuse.
Pendant la période des inondations, une partie de la vallée était sous l’eau, et les communications étaient réduites parfois entre le pont de Bislée et Kœur-la-Grande à une passerelle sur pilotis d’un mètre de largeur.
Notre front sur la rive gauche ne pouvait présenter aucun danger grave pour l’ennemi. Il ne semble pas, d’autre part, qu’il pût y voir un intérêt immédiat.
Si l’ennemi s’était substitué à nous dans les presqu’îles, il se serait mis bénévolement dans la situation où nous étions nous-mêmes, alors que sur le front dépourvu d’intérêt stratégique, il pouvait tenir aisément sur ses positions maîtresses avec des effectifs réduits, confortablement installés dans de bons abris secs, en utilisant sans doute dans une large mesure les casemates du fort du Camp des Romains.
Cette situation explique que le front de la rive gauche soit resté passif de part et d’autre dès qu’il a été constitué. Pendant les quinze mois que nous avons séjourné dans cette région, il ne s’est passé sur la rive gauche de la Meuse aucun fait de guerre important. Les troupes du secteur y ont beaucoup travaillé, souffert de l’humidité, de l’invasion des rats, d’une installation souvent mauvaise ; elles n’ont subi ou livré aucun combat sérieux. Les pertes, principalement par les bombardements, ont été journalières mais peu importantes.
Dans ces conditions, les relèves étaient rares sur la rive gauche. Le 131e territorial y a fait un très long séjour. Les braves gascons qui le composaient ont su y conserver leur gaieté ; c’était méritoire dans un aussi triste cadre. Aussi le commandant Lambert du 131e territorial, pouvait-il dire à ses hommes avec autant de justesse que d’esprit : « Vous n’êtes pas des héros parce que vous n’avez pas gagné de batailles ; mais vous êtes des demi-héros parce que vous savez garder la bonne humeur dans cette purée ».
La circulation de jour, en dehors des passages défilés aux vues du Camp des Romains, était interdite à coups d’obus aux plus petits groupes. Des isolés ont eu parfois l’honneur d’un tir sur la route de Courcelles à Kœur-la-Grande qui paraissait en raison de son éloignement jouir d’une immunité complète. Généralement les automobiles ne circulaient pas sur cette route en plein jour.
Les villages de Kœur-la-Grande, Kœur-la-Petite, Bislée, Han-sur-Meuse, Sampigny ont été copieusement bombardés. Dès la fin de septembre, Han-sur-Meuse n’était plus qu’un monceau de ruines ; aucune maison ne restait debout ; quelques caves solides protégées par les matériaux de démolition accumulés dans leur chute, fournissaient des abris utilisés par la garnison. Bislée, très endommagée, était encore représentée par quelques maisons entières. Kœur-la-Grande et Kœur-la-Petite étaient sensiblement mieux conservées que les villages précédents, bien qu’en piteux état. Plusieurs maisons de Sampigny étaient détruites, et la villa de M. Poincaré, assise au-dessus du village, présentait à la vue des passants une large baie ouverte par un obus.
Le front de la rive droite.
Notre ligne sur la rive droite coupait la Meuse entre le village d’Ailly-sur-Meuse, à l’ennemi, et le village de Brasseitte, à nous, deux villages à moitié démolis par les bombardements. La ligne s’élevait de la Meuse au bois d’Ailly à travers un terrain découvert. Le front ennemi allait de la pointe sud-ouest du Bois d’Ailly jusqu’à Apremont par un tracé sinueux à travers bois. Le sol était généralement rocheux. Le 8e corps d’armée qui faisait face à l’enemi sur ce front joignait notre 31e corps d’armée devant Apremont.
Quand nous sommes arrivés dans la forêt d’Apremont, toute la région boisée dont nous nous occupons, était couverte d’un sous-bois en taillis souvent si épais que la vue en était masquée à très petite distance. En octobre 1914, deux patrouilles rampantes respectivement allemande et française se sont approchées dans le bois de la Vaux-Fery, sans se voir, à moins de 20 mètres l’une de l’autre, en plein jour. Les hommes de tête de chaque patrouille se trouvèrent tout-à-coup nez-à-nez à quelques pas l’un de l’autre. Simultanément, ils se mirent à ramper à reculons sans se quitter des yeux, sans tirer un coup de fusil jusqu’à ce qu’ils fussent replongés dans le couvert du bois. Le fait s’est passé au 2e bataillon du 171e. Son commandant, dont nous tenons ce récit, rappelait à cette occasion un fait analogue cité par Ardant du Picq.
La chute des feuilles, en novembre et décembre 1914, leva un coin du voile qui séparait les lignes adverses. La portée de la vue fut un peu augmentée dans les taillis, mais demeura bornée, par les branchages enchevêtrés jusqu’à ce que l’œuvre des obus ait transformé en paysages lunaires les fourrés et les bois. Ce résultat n’apparût dans toute son horreur qu’à la fin de 1914, au Bois Brûlé et progressivement pour le reste du front considéré, au gré des combats, dans le courant de 1915.
Dès notre arrivée, l’attention du commandement s’était arrêtée sur une allée forestière qui court au sommet de la crête du Bois d’Ailly. L’occupation de cette crête était considérée comme très importante.
Les noms de « Tête-à-Vache » et de « Mamelle » ne figurent sur aucune carte antérieure à la guerre.
Au début des opérations devant Saint-Mihiel, la « Tête à Vache » était appelée dans les ordres : « La hauteur située sous l’A de forêt d’Apremont, sur la carte au 80.000e ». Dans le but de trouver une dénomination plus simple, un commandant de secteur a demandé à un garde forestier si cette hauteur n’avait pas un nom particulier dans le langage des gens du pays. Après avoir répondu négativement, cet homme finit par ajouter : « Quand je veux dire à ma femme que j’ai monté au dessus du ravin de la Source, je dis que je suis allé à la Tête à Vache ».
Dès le lendemain l’appellation du garde forestier apparaissait dans les ordres et comptes-rendus émanant du secteur intéressé. Quelques semaines plus tard la littérature militaire officielle n’en connaissait plus d’autre, aussi bien chez nous que chez l’ennemi qui disait littéralement « Kuhekopf ».
La rapidité avec laquelle l’ennemi a adopté ce nom montre, dans tous les cas, combien il était au courant de tout ce qui se passait chez nous.
Le nom de « Mamelle » a été suggéré par la forme de cette hauteur qui s’allonge entre la route de la Louvière et la Tête-à-Vache. Aucun événement important n’a consacré ce nom de « Mamelle ».
Les troupes avaient découvert en arrivant au Bois-Brûlé un ouvrage en terre défendant l’accès des Hauts-de-Meuse au dessus du village d’Apremont qui est au pied des côtes. Cet ouvrage du type semi-permanent remontait sans doute à plus de trente ans. Il avait la forme d’une demi-couronne, en termes techniques de fortification, c’est-à-dire qu’il se composait de deux bastions réunis par une courtine, qui était brisée en son milieu sous un angle très ouvert. Son relief était d’environ 1m50 à 1m70. En arrière se trouvaient deux groupes d’abris, blindés avec de gros rondins atteignant 0m80 de diamètre et une protection de deux mètres de terre, environ. Malheureusement les blindages étaient pourris, et devaient céder aux premiers coups de canon de gros calibre. Malgré ces graves inconvénients, ces abris ont rendu quelques services à une époque où il n’en existait pas d’autres. Ils devinrent assez vite tout à fait précaires.
L’ouvrage du Bois Brûlé fut appelé « la redoute » par les troupes qui l’avaient découvert et ce nom lui est resté pour nous. Les Allemands l’ont appelé pompeusement « le fort du Bois Brûlé ». Nous avons eu entre les mains une ode allemande « A la gloire des Héros du Bois Brûlé, vainqueurs du Fort ». L’état-major du corps d’armée connut l’existence de la redoute par les comptes-rendus de la troupe. Il semble que personne n’ait songé à l’occuper quand l’armée allemande s’est portée sur Saint-Mihiel. Il est à craindre que le plan de défense de cette région ne fut pas connu de ceux qui auraient pu l’appliquer, car la redoute du Bois Brûlé faisait partie de l’organisation défensive du général Séré de Bivière.
Les villages situés immédiatement derrière notre front furent fortement bombardés à partir du mois de septembre. Après quelques semaines, tous présentaient un aspect lamentable. Les maisons ou parties de maisons qui offraient un abri contre la pluie, le vent ou le froid, étaient utilisées par les troupes en dehors des bombardements. Marbotte et Saint-Agnant, étaient inhabitables en dehors de rares caves suffisamment renforcées.
Francis on 21 août 2018
Bonjour Madame ou Monsieur,
Un bien beau récit, facile à lire.
Si je peux me permettre:
-lorsque vous parlez d’une « allée forestière » qui coure en crête du Bois d’Ailly, cette allée porte le nom de « Grand Layon » (il y reste d’ailleurs un arbre d’époque criblé de balles).
-Je regrette que vous ne parlez pas des ouvrages d’appui de la « Tête à Vache » qui sont de toute beauté malgré leur âge.
-Et pour finir, s’il vous plait rectifiez le nom du Grand Général qui construisit tant de forteresses dans ma région de naissance.
Cordialement.
Francis
Blain on 9 février 2024
Bonjour je connais le grand Layon, je connais également la vau ferry, mon
Grand oncle a disparu à disparu le 7juillet1915 par l’explosion d’une mine à la vau ferry. . Puis je retrouver ces trous de mines. Merci