La bataille de Spire
D’après « Batailles françaises » – Colonel Hardy de Périni
Le 11 octobre, Tallard investit Landau, défendu par le comte de Frise. La tranchée était ouverte depuis le 18 et les travaux suivaient leur cours régulier et méthodique, quand Tallard apprit que le prince de Hesse-Cassel, fils aîné du Landgrave, détaché de l’armée de Malborough avec 12 bataillons et 29 escadrons, avait rejoint le comte de Nassau-Weilbourg dans des lignes de Stolhofen, dont il avait la garde.
30000 Allemands s’apprêtaient à secourir Landau et campaient, le 13 novembre, sur la rive gauche du Rhin en arrière du Speyerbach.
Tallard n’hésita pas à se porter à leur rencontre pour leur livrer bataille. Il laissa dans les tranchées la moitié de son infanterie et le tiers de sa cavalerie sous le plus ancien lieutenant-général, M. de Laubanie, et il alla, avec 28 bataillons et 48 escadrons, bivouaquer à une demi- lieue en avant de sa ligne de contrev allation.
Villeroy avait détaché sur la Moselle, entre Arlon et Luxembourg, 21 bataillons et 24 escadrons sous le marquis de Pracontal pour assurer la liaison entre l’armée du Brabant et l’armée du Rhin, avec ordre de se porter au secours de celle qui serait attaquée.
Tallard, en apprenant que Pracontal s’était mis à la poursuite du prince de Hesse, lui avait envoyé courrier sur courrier pour qu’il se hâtâ. Mais les chemins défoncés par les pluies étaient impraticables. Pracontal, qui avait passé la Moselle le 6 novembre, n’était à Sarrelouis que le 10, alors que le prince de Hesse, longeant le Rhin, où des chars avaient été préparés pour transporter son infanterie, était déjà à Spire.
Pracontal avait encore 7 lieues faire quand il reçut, le 14, le dernier avis de Tallard. Il fit doubler l’étape à ses troupes et les précéda avec 14 escadrons. A 4 heures du matin, il rejoignit Tallard pour prendre à la bataille une part glorieuse.
Une demi-heure après le lever du jour, Tallard mit l’armée en marche sur 7 colonnes, la cavalerie aux ailes, l’infanterie et l’artillerie au centre. Dès que M. de Vaillac, son chef d’état-major, qui ne le quittait jamais sur le terrain et, par une vue excellente, suppléait à sa myopie légendaire, eut aperçu le camp ennemi, tous deux se détachèrent avec 500 chevaux pour en faire la reconnaissance.
Les deux généraux ennemis prétendaient au commandement, et le comte de Nassau ne l’avait cédé qu’à regret au prince de Hesse sur l’ordre de Malborough.
Le prince forma son armée en bataille en avant de son camp, la gauche appuyée au Rhin, la droite aux bois qui bordent le Speyerbach. Vaillac, en voyant l’aile gauche de cavalerie ennemie déborder le flanc droit des Français, crut que les Allemands avaient peur et qu’ils se retiraient sans combattre. Il proposa à Tallard de donner au lieutenant-général de Locmaria, commandant la cavalerie de l’aile droite, l’ordre de charger, bien que cette cavalerie ne fût pas encore en bataille et que l’infanterie ne fût pas arrivée.
La gendarmerie, soutenue par les dragons Colonel-général et la Reine, s’élança bravement à l’attaque mais, assaillie par le feu des bataillons allemands, embusqués derrière la berge d’un petit ruisseau, elle dut se replier sur la seconde ligne de cavalerie, qui se formait si la hâte et qu’elle mit en grand désordre.
Tallard se croyait déjà perdu sans ressource. Si Nassau, au lieu de laisser ses troupes en position, n’avait pas attendu un ordre du prince de Hesse pour les porter en avant, il aurait refoulé toute cette masse confuse de cavalerie, et la victoire des coalisés était assurée dès le début de l’action. Mais, quand il mit son aile gauche en marche avec toute la lenteur germanique, l’ordre était déjà rétabli à l’aile droite française.
L’infanterie de Tallard était entrée en ligne et 6 bataillons, envoyés dans le petit bois qui bordait le Rhin, ouvraient un feu meurtrier sur le flanc des Impériaux. Hesse était trop inquiet de son aile droite pour aller voir ce qui se passait ailleurs. Pracontal, commandant l’aile gauche, sans se soucier de l’extrême fatigue de ses 14 escadrons qui avaient marché toute la nuit, venait d’assaillir l’aile droite ennemie avec un tel élan qu’elle avait tourné bride.
Hesse appela l’infanterie au secours de sa cavalerie. Quelques bataillons hollandais franchirent le Speyerbach et ouvrirent sur les escadrons français un feu bien ajusté, qui leur fit éprouver de grandes pertes. Le vaillant Pracontal tomba sous les balles, mais l’infanterie française accourait. Après avoir supporté sans branler la salve des bataillons ennemis, elle fonça sur eux, la baïonnette au bout du fusil, et en fit un grand carnage.
Le canon de Tallard acheva la déroute, qui fut complète, excepté l’extrême droite ennemie, où Hesse rallia 10 escadrons et 5 bataillons derrière le Speyerbach, pour exécuter sa retraite en bon ordre vers Manheim.
Il abandonnait sur le champ de bataille 5000 morts ou blessés, 4 000 prisonniers, tous ses canons, son bagage, drapeaux et 33 étendards, qui furent portes à Versailles par le chevalier de Croissy, brigadier de cavalerie.
Les Français n’avaient perdu que 800 hommes. Le corps de la Moselle, sous le commandement de M. de Coigny, se replia sur Trêves, qui lui ouvrit ses portes et où il hiverna. Tallard, revenu devant Landau, reçut, deux jours après, la capitulation de la place, dont M. de Laubanie fut nommé gouverneur.
L’Alsace était délivrée, la Lorraine couverte. En Bavière, l’Électeur reprenait Augsbourg le 13 décembre.