Le combat du Bouvet contre le Meteor
D’après « Armée et marine : revue hebdomadaire illustrée des armées de terre et de mer » – 1913
Contrairement aux espérances, aux projets mêmes échafaudés fébrilement dès le mois de juillet, la marine française ne joua qu’un rôle naval insignifiant pendant la guerre de 1870.
L’escadre du Nord fut bien envoyée dans la Baltique et la mer du Nord pour établir le blocus des côtes allemandes, mais cet envoi fut différé un temps relativement long, car on agita sérieusement l’idée de faire transporter à notre flotte, un corps de débarquement destiné à opérer une puissante diversion sur les derrières de la mobilisation.
Bref, quand on se décida à envoyer notre flotte croiser en Baltique et dans la mer du Nord, l’occasion qu’elle aurait pu rencontrer, d’écraser la petite flotte allemande, était perdue.
Tous les navires allemands, en effet, s’étaient réfugiés dans les ports de la Baltique. Le peu de profondeur de la mer près des côtes, le manque de pilotes et l’imperfection des cartes hydrographiques de l’époque, ne permirent pas à l’escadre française d’esquisser la moindre action de guerre sérieuse.
Elle se borna à effectuer un blocus des côtes, plutôt nominal d’ailleurs qu’effectif, blocus rendu très fatigant par suite du mauvais temps continu, mais sans grand danger, vu l’absence complète d’éléments de défense maritime de la part de nos adversaires.
Bientôt, après nos désastres, l’escadre fut rappelée dans nos ports. Les canons de marine débarqués en grande hâte armèrent pour une part les forts du camp retranché de Paris, et les marins formèrent presque entièrement la garnison de ces forts, où ils se conduisirent d’ailleurs héroïquement.
Le seul combat naval de la guerre de 1870 est la courte lutte de notre aviso Le Bouvet contre la canonnière allemande Meteor dans les eaux de la Havane.
Par suite du hasard de la navigation, le Bouvet se trouva relâcher dans le port de la Havane, au moment où la canonnière allemande Meteor y faisait son plein de charbon.
Dès que la nouvelle de la présence du navire de guerre allemand fut connue à bord du Bouvet, une grande effervescence se manifesta parmi l’équipage.
Nos braves « Mathurins » éprouvaient un vif désir d’en venir aux mains avec les marins de la nation ennemie et de se venger sur eux de nos désastres dont la nouvelle venait de leur parvenir.
Le Lieutenant de vaisseau Franquet, commandant le Bouvet, estima qu’il était de son devoir, puisqu’il se trouvait en présence d’un navire allemand, de lui livrer bataille. Le Bouvet était beaucoup moins bien armé en artillerie que le Meteor. Mais il avait pour lui la supériorité de la vitesse et de l’enthousiasme de son équipage réclamant le combat à grands cris.
Seulement, les règles de la législation maritime internationale interdisaient au lieutenant Franquet le moindre acte de guerre, non seulement dans le port de la Havane, mais même dans la limite des eaux espagnoles.
Attendre la sortie du Meteor pour appareiller à sa suite, c’était s’exposer à s’immobiliser longtemps à la Havane. Prendre la mer et croiser au large, c’était risquer un blocus long, difficile, peut-être infructeux et, en tout cas, à peu près inutile.
Le lieutenant Franquet se décida à envoyer un cartel au commandant du Meteor. Celui-ci, brave marin et excellent militaire, y répondit aussitôt. Rendez-vous fut pris en dehors de la limite des eaux territoriales de la Havane, et les deux navires appareillèrent aussitôt.
Dès que la haute mer fut atteinte, le combat s’engagea.
Le Meteor, plus faible que le Bouvet, mais doué d’une artillerie plus forte, devait essayer de soutenir la lutte à longue portée.
Le lieutenant Franquet, au contraire, avait intérêt à tenter l’abordage, ou tout au moins à parvenir à courte distance pour pouvoir canonner utilement son adversaire. Aussitôt le feu ouvert, il cingla résolument sur le Meteor en forçant la vapeur. La supériorité des canonniers se manifesta bientôt. Tandis que les obus du Meteor (tirés trop longs ou trop courts) crevaient, la mer à l’entour, le feu du Bouvet, se concentrait, de minute en minute plus précis, sur le Meteor. Ce dernier, dangereusement atteint dans sa coque plusieurs fois, gouvernait mal et commençait à donner de la bande.
La victoire semblait donc se dessiner en faveur du Bouvet, lorsqu’un obus du Meteor vint frapper la chambre à vapeur de sa chaudière, l’arrêtant net dans sa course.
Car, chose inouïe et qui révèle l’ignorance profonde des ingénieurs des constructions navales au sujet des effets du tir de l’artillerie, cet organe si important était dénué de toute protection. Bien plus même, son dôme, surmontant le pont, offrait une cible parfaite à tous les coups.
Le lieutenant Franquet, sa machine immobilisée, fit hisser les voiles et essaya de maintenir sa courte distance sur le Meteor en continuant le feu. Mais la canonnière allemande, très éprouvée par les obus qui avaient frappé sa coque, mais dont la machine était intacte, fit route sous le vent et se trouva bientôt hors de la portée des pièces du Bouvet, tandis que la plus longue partie de ses canons lui permettait à cette distance d’atteindre encore son adversaire, dont la voilure déployée faisait une admirable cible.
Persister davantage dans une lutte impossible, c’était, pour le Bouvet, courir à un désastre certain. Le lieutenant Franquet fit donc route sur la Havane où il revint réparer ses avaries, tandis que le Meteor allait se remettre en état dans un autre port de la côte.
Ce combat, quelque honorable qu’il ait été, se réduisit donc à bien peu de chose. Si le dôme de vapeur du Bouvet avait été placé sous le pont, même sans revêtement cuirassé, le dénouement de la bataille eût été tout autre, et le Meteor, canonné à courte distance, aurait sans doute coulé sous nos obus, ou, après le choc, aurait été pris à l’abordage. Mais il était dit que la fatalité pèserait sur nous en toutes circonstances pendant cette année maudite.
Lorsque la flotte française eut été désarmée à Cherbourg et à Brest, quelques grandes corvettes à vapeur allemandes essayèrent de troubler notre ravitaillement par mer et de jeter l’alarme dans nos ports.
L’une d’elles, l’Augusta, après avoir parcouru la Manche où elle ne put réaliser que quelques prises sans importance, se montra à l’embouchure de la Gironde où son apparition causa une belle panique qui se répercuta, hélas, jusqu’à Bordeaux.
Mais l’annonce de l’arrivée de quelques-uns de nos vaisseaux de guerre non désarmés lui fit chercher le salut dans la fuite. Pourchassée par nos bâtiments, l’Augusta ne put reprendre la route de la Manche et dut se réfugier dans le port de Vigo où elle resta désarmée jusqu’à la conclusion de la paix.
Deux autres corvettes allemandes, Herta et Medusa, l’une en Chine, l’autre dans l’Atlantique, essayèrent de courir sus à nos navires de commerce. La chasse que lui donnèrent nos stationnaires de l’Extrême-Orient obligea la Herta à aller désarmer à Hong-Kong, et la Medusa, après quelques raids sans résultats, dut aller se réfugier aux Açores.
Le rôle de la marine des deux belligérants a donc été nul au point de vue maritime pendant la guerre de 1870. Mais nos marins se sont taillé de belles pages de gloire au siège de Paris, taudis que quelques-uns de leurs chefs, comme l’Amiral Jauréguiberry et le Commandant Jaurès s’illustraient sur les champs de bataille à l’armée de la Loire.