D’après « La guerre dans l’ouest : campagne de 1870-1871 » – Louis Paul Rolin – 1874
Le 3 et le 4 novembre, l’ennemi s’était montré aux environs de Forêt-la-Folie et de Guitry. A cette dernière date, une patrouille de quelques uhlans avait été reçue à coups de fusil par de francs-tireurs et des habitants de Forêt, qui, embusqués derrière des silos de betteraves, démontèrent un cavalier. Le lendemain de l’affaire du Thil, les Prussiens, comptant désormais sur l’impunité, envoyèrent de Gisors et de Magny, dans les directions de Mouflaines et de Fontenay, des reconnaissances de toutes armes, dont les forces réunies pouvaient s’élever à environ 1000 à 1200 hommes avec quatre pièces d’artillerie.
Le 7 novembre, dès le matin, le détachement de Gisors arrivait à Mouflaines, celui de Magny à Fontenay, puis à Tourny, et, dans ces trois communes, les Prussiens se livraient à des actes de désordre et de pillage. Une patrouille de uhlans envoyée de Fontenay sur Guitry et Forêt, essuya près de ce dernier village quelques coups de feu qui lui blessèrent un cheval et la firent rétrograder précipitamment. Sans punir cette agression, les Prussiens s’apprêtaient à regagner leurs cantonnements, lorsque, vers dix heures, une vive fusillade se fit entendre sur la lisière des bois de la Couarde qui sont situés sur le territoire de Guitry, entre cette commune et celles de Mouflaines et de Forêt.
Voici ce qui s’était passé.
Un peloton de cavalerie, allant de Mouflaines à Guitry, suivait la route d’Etrépagny à Vernon. Il longeait des bois à l’extrémité desquels s’était embusqué une section de francs-tireurs de la guérilla rouennaise (capitaine Buhot) et quelques habitants de Forêt-la-Folie. Arrivés à environ trois cents pas de l’embuscade, les uhlans essuyèrent une décharge qui blessa un des leurs et força les autres à tourner bride. Le détachement de Mouflaines demanda du renfort à ceux de Fontenay et de Tourny. Et, peu de temps après, l’infanterie prussienne arrivait et fouillait les bois. Après avoir tenu quelque temps les tirailleurs ennemis en respect, les francs-tireurs et les gardes nationaux sont forcés de céder le terrain. Ils battent en retraite, sautant les haies, escaladant les murs et se sauvent en traversant Forêt-la-Folie.
Les fantassins prussiens se mettent à leur poursuite. Ils les ont vus franchir les murs de l’habitation de l’adjoint au maire, et ce malheureux est massacré sans pitié sous les yeux de sa fille au moment où il ouvre sa porte aux assaillants. Un garde-chasse, pris les armes à la main, est criblé de balles et lardé de coups de baïonnette. Mais lui, du moins, a fait le coup de feu et meurt en soldat après avoir vendu bravement sa vie
Pendant que ces scènes cruelles se passent à Forêt-la-Folie, le village de Guitry, d’où n’est partie aucune provocation, est ensanglanté par une boucherie horrible. Le maire, M. Besnard, menacé plusieurs fois d’être fusillé, n’échappe à la mort que par son sang-froid, et en est quitte pour voir son habitation incendiée sous ses yeux mais, moins heureux que lui, huit habitants qui reviennent des champs sont arrêtés et égorgés un à un.
L’écrivain qui, dans un émouvant récit, a le premier retracé ces scènes sanglantes, en a justement flétri les auteurs ( L’invasion prussienne dans l’arrondissement des Andelys – Charles Dehay). Il n’y a qu’un mot dans la langue française pour qualifier de tels actes, ce sont des assassinats.
On a recherché les causes de la folie furieuse des Prussiens. Il n’y en a qu’une seule, c’est l’ivresse causée par le pillage des caves du château de Beauregard. Quelques-uns ont prétendu que l’ennemi avait subi des pertes considérables, et que c’était là le motif de son exaspération et de ses représailles. La vérité est que, dans toute cette journée, il n’eut qu’un homme blessé. C’était un sous-officier du 3e régiment des uhlans de la garde, qui reçut une décharge de plomb de chasse, et le garde particulier Lainé, auquel on peut attribuer ce coup de fusil, l’avait payé de sa vie.
Les Prussiens connaissaient probablement, dès le 6 novembre, l’insuccès des démarches relatives à l’armistice, et cette nouvelle n’a peut-être pas été étrangère à la rage qu’a montrée l’envahisseur en continuant les hostilités. En province, la rupture des négociations ne fut connue que dans la soirée du 7. Ces tentatives avaient été une nouvelle cause de démoralisation car, faire des ouvertures pour arriver à la paix, c’était avouer que notre état était plus que désespéré.
Néanmoins les doutes avaient disparu, la situation était nette, et tant que Paris tiendrait, la France devait songer à se défendre. On savait que, par suite de la chute de Metz, les Allemands disposaient de forces considérables qu’ils allaient lancer contre nos armées de province mais, avant l’irruption de ce nouveau torrent, on aurait pu sérieusement inquiéter les détachements ennemis qui couvraient l’armée assiégeante.