D’après « La voix du combattant » – 23 février 1935
Une histoire ? Non. L’Histoire.
Le temps ? La guerre.
Le lieu ? Verdun.
Le héros ? Le soldat.
Sa province ? La France.
Son nom ?
Il s’appelait Fernand Marche.
C’est un beau nom clair du pays français. Il sonne comme un ordre, évoquant ce vieux dire, à la fois amer et vaillant, du sac-au-dos, tirant, d’un pied fourbu, les derniers kilomètres : « Marche ou crève ! ».
Il prend, ici, valeur de symbole.
C’était le temps où, pour le prestige et l’honneur de la maison impériale, le Kronprinz lançait, vague sur vague, les plus fameux feldgrau à la conquête de la vieille cité meusienne, « pierre angulaireé de la résistance française. Derrière la forteresse à prendre, il montrait aux siens les vallées ouvertes et la route libre « Nach Paris ! ».
Ce qu’il advint de ce dessein magnifique, on le sait ; et comment la plus belle sélection de fantassins allemands, les premières lieues conquises dans une belle avance, dut arracher ensuite le terrain, pouce par pouce, aux Poilus entêtés, qui préféraient mourir que céder.
On n’ignore pas davantage quel fut le bout de l’inexpiable aventure, ni comment les vainqueurs provisoires durent lâcher une conquête, payée, au prix du sang, par des cadavres à tant par mètre carré.
Mais ceci n’arriva que bien des mois après que Fernand Marche fut entré dans l’Histoire.
Dans le grand drame, composé par les Furies, ce petit soldat, parmi cinq cent mille autres, tenait son bout de rôle. Ses copains accrochés au sol résistaient de la grenade et du fusil, d’autres servaient les canons, d’autres préparaient sous terre, à la façon des taupes, les beaux feux d’artifice, d’autres ramassaient les blessés, les blessés seulement, car, pour les morts, ils n’avaient pas le temps. A tous il fallait de bons bras
Fernand Marche se battait avec ses jambes. Entre ceux qui faisaient les pions sur le sanglant échiquier et ceux qui réglaient leurs mouvements, il faisait la navette, quand les lignes téléphoniques, mille fois rompues, n’étaient même plus bonnes à faire des lacets de souliers.
Il était, dans la tranchée, l’une des ombres du capitaine. Quand on allait manquer de cartouches, quand on avait faim, quand des renforts devenaient nécessaires, le capitaine tendait au coureur Marche une feuille de son calepin. Pas un mot à dire. On se comprenait dans le choc des regards. Le coureur saluait et partait pour sa route.
Quelle route ! Des trous, des bois hachés, des mares, des roues de fer, des cadavres ; et la poursuite des mortelles abeilles ; et le tonnerre de fumée, de feu et de fer : un voyage dans la succursale de l’enfer.
Il fallait aller quand même. Il allait. Il avançait la tête bourdonnante, les nerfs crispés, les muscles raides ; au pas gymnastique, ou d’un pied prudent, sur les genoux, sur le ventre. Il avançait, vainqueur de tout et de lui-même, l’âme commandant la chair.
De combien de telles randonnées fut-il le héros ? Combien de fois réussit-il à faire cette gageure ?
Un jour, une balle ? Un éclat ? On ne saura jamais.
Il tomba. La mort ne voulut pas de lui tout de suite. Mais, sentant sa vie couler avec le sang, il comprit que ce n’était qu’un délai, très court.
Il songea, peut-être, à sa jeunesse qui finissait. Il pensa d’abord à sa mission. Alors, il s’étendit en travers de la piste, dans la boue rouge. Avant que ses membres ne perdissent leur souplesse, il leva le bras, serrant dans ses doigts le papier du message.
Sa dernière volonté fut de tenir ce bras comme un jalon, droit vers le ciel, jusqu’au raidissement définitif, pour qu’un autre, lancé comme lui dans le bled, put cueillir au passage et porter, au même risque, jusqu’au but, l’ordre qui devait sauver des hommes ou cent mètres de terre française.
C’est ainsi que Fernand Marche accomplit sa part de guerre.
21 février 1934, dix-huit ans après. Nous allons célébrer l’anniversaire de Verdun, pleurer les morts, célébrer les héros.
Que Fernand Marche ait sa part du souvenir et de l’émotion de ceux qui ne veulent pas oublier. Et, surtout, songeons à l’exemple qu’il nous a donné.
Nous aussi, nous avons reçu des morts, un message, chacun un message. Celui de les continuer et de poursuivre la tâche qu’un choc brutal les a empêchés de parfaire.
Fernand Joseph Edouard Marche est né le 2 juin 1888 au Coron d’Aix à Bully-les-Mines (62) et décédé le 1er août 1916 à côté de Verdun.
Il repose dans la nécropole nationale de Douaumont, tombe n° 6649. Le monument élevé à sa mémoire se situe à Bully-les-Mines (62).
Pout en savoir plus sur le soldat Fernand Marche