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  • 25 octobre 2012 - Par Au fil des mots et de l'histoire

     Le 25 octobre 1415 – La bataille d’Azincourt dans EPHEMERIDE MILITAIRE la-bataille-dazincourt-150x150

    D’après « Revue anglo-française » – 1836

     

    Excité par les conseils de son parlement, Henri V, refusant des conditions avantageuses, résolut de débarquer personnellement en France et d’y conquérir le prétendu héritage de ses pères. Vain prétexte, insolente prétention sous lesquels se cachaient les désirs effrénés de l’ambition, et l’espoir du triomphe de l’Angleterre, dans cette sanglante collision des deux plus puissants peuples de l’Europe.

    Les excursions des garnisons de Calais furent le prélude de la guerre déclarée par un manifeste du 5 août 1415. Henri s’y qualifiait de roi de France et traitait Charles VI d’adversaire du royaume. Seize cents vaisseaux de transport mouillèrent au Havre-de-Grâce, le 21 août, et les habitants de la côte, stupéfaits d’étonnement, virent successivement débarquer vingt-quatre mille archers, six mille hommes d’armes, sans les pionniers, les canonniers et autres gens de guerre, en tout, cinquante mille hommes.

    Le siège fut bientôt mis devant Harfleur. Comme cette ville n’était gardée que par quatre cents hommes d’armes, n’ayant de munitions que pour quinze jours, la garnison capitula à condition qu’elle se rendrait si elle ne recevait pas de secours dans un espace de temps indiqué. Il fut répondu aux ambassadeurs envoyés à la cour de France « que la puissance du roi n’était pas assemblée, ni prête pour donner secours promptement ». Le connétable d’Albret et le maréchal Boucicaut allèrent cependant avec trois mille hommes au secours de la ville assiégée, mais avec trop peu de célérité sans doute, puisque la garnison en sortit avec ses bagages. Comme la capitulation ne regardait pas les habitants, les Anglais les chassèrent de la ville, ne leur laissant qu’un seul habit et chacun cinq sous qui leur furent distribués aux portes. C’était par ces moyens, que nous nous abstiendrons de qualifier, que le roi d’Angleterre parvenait à la subvention de son armée.

    Cependant Charles VI rassemblait des troupes à la hâte. Et, à la vue des préparatifs des Français, Henri V, comme un homme qui s’avance sans crainte au bord du précipice et recule subitement terrifié quand son œil a sondé la profondeur de l’abîme, Henri V se sentait venir la terreur au cœur. D’ailleurs la conquête de Harfleur lui avait coûté beaucoup d’hommes, et la mortalité décimait son armée.

    Renonçant donc au projet qu’il avait d’abord formé de porter ses armes en Guienne, il résolut de gagner au plus vite Calais par terre et en ne s’éloignant jamais des côtes, car le mauvais état de sa flotte l’empêchait de pouvoir tenter le rembarquement.

    Quittant Harfleur, le 6 octobre, il traversa le pays de Caux et le comté d’Eu, puis il s’avança dans le Vimeu, ayant le dessein de passer la Somme à Blanquetaque, comme avait fait son aïeul, avant sa victoire de Crécy. Mais la rivière était barrée par une palissade de pieux. Il se dirigea vers Airaines et Pont-de-Remy. Le seigneur de ce dernier endroit, aidé de ses deux fils et de ses vassaux, lui disputa héroïquement le passage.

    Forcé de battre en retraite, le roi d’Angleterre remonta encore la Somme, cherchant un endroit guéable. Repoussé le 15 à Pont-Audemer, il parvint enfin à trouver un chemin libre entre Voyenne et Béthencourt. Une fois cet obstacle franchi, Henri V, se croyant en sûreté, et persuadé que les Français ne le poursuivaient pas, continua sa marche à travers l’Artois et alla rejoindre son oncle, le duc d’Yorck, qui avait conduit l’avant-garde à Frévent-sur-Canche. Mais les Français avaient résolu de livrer combat. Le 22, des hérauts d’armes vinrent vers le roi d’Angleterre et lui jetèrent le gant du défi, le sommant de se tenir prêt à combattre, le 25.

    Effrayé du danger qu’il courait, Henri fit les propositions les plus avantageuses : la restitution de Harfleur, la réparation de tous les dommages causés, et la liberté des prisonniers qu’il traînait après lui, à la seule condition qu’on lui accorderait un passage libre jusqu’à Calais. D’Albret, Boucicaut et quelques autres chefs étaient d’avis qu’on acceptât ces propositions, mais les principaux du conseil repoussèrent les offres, malgré toute l’assurance que donnait le roi d’Angleterre d’en garantir la solidité.

    Ainsi, le généreux désir de laver la tache des défaites de Crécy et de Poitiers les aveugla sur leurs propres intérêts, et ils refusèrent la paix. A cette nouvelle, Henri V répondit aux envoyés, qui lui répétaient de se tenir prêt à combattre pour le 25, « qu’il ne prenait ni la loi, ni le conseil de son ennemi, qu’on pouvait le trouver tous les jours et à toute heure en pleine campagne ».

    Puis, continuant sa marche, il arriva, le 24, à Blangy en ordre de bataille, et il passa la Ternoise, pour venir occuper le village de Maisoncelle où tous ses gens se réunirent. Quand ils eurent traversé l’eau et qu’ils furent sur la montagne, les coureurs commencèrent à voir, de toutes parts, les Français venir au-devant d’eux du côté de Saint-Pol, pour aller se loger à Buisseauville et à Azincourt.

    Il était trop tard pour que la bataille fût livrée ce jour-là ; elle n’eut lieu que le lendemain. On se contenta de se compter de part et d’autre. David Gaine, capitaine anglais, étant allé observer l’armée de France, dit, d’un ton de plaisanterie, au roi d’Angleterre, qu’il y avait assez de Français pour être tués, assez pour être prisonniers et assez pour s’enfuir. Trois traits d’arc seulement séparaient les deux armées. Aucune action ne fut engagée durant cette soirée.

    Seulement, le duc d’Orléans et le comte de Bichemont s’étant approchés des Anglais, ces derniers crurent qu’on voulait les attaquer, se rangèrent en bataille et commencèrent à tirer sur les soldats qui accompagnaient les deux princes. Le duc d’Orléans et quelques autres furent créés chevaliers, pendant cette courte mêlée, et bientôt chacun retourna à son camp.

    Ainsi se passa la nuit, dans une tranquillité parfaite, dans une attente terrible, semblable à ce silence affreux qui précède l’orage. Les Français, assis autour des feux qu’ils avaient allumés dans la plaine d’Azincourt où étaient fichées leurs bannières, se réjouissaient, tenant maints joyeux propos et ne pensant nullement à cette bataille du lendemain, qui devait plonger la France dans le deuil.

    Les Anglais, au contraire, dont le roi ne voulait risquer le combat qu’autant qu’il deviendrait inévitable, préparaient leurs armes, se confessaient et communiaient, car ils attendaient une mort certaine. Pendant que les crédules soldats de Henri cherchaient ainsi les secours spirituels de prêtres qui ne leur suffisaient pas, leur roi faisait sonner des trompettes, si bien que la terre semblait retentir au loin. Et comme dans le camp des Français, on n’entendait aucun instrument de musique, et qu’à peine quelques chevaux hennissaient ça et là, on s’en émerveillait de toutes parts en disant que c’était le signal des choses à venir.

    Enfin arriva l’aurore de ce vendredi, 25 octobre 1415, qui devait coûter tant de sang à la France. Dès que le soleil commença à poindre, le timide Henri entendit trois messes, puis il s’arma et prit son casque superbe qui était d’acier poli et que surmontait une couronne d’or étincelante de pierreries. Sur son surcot, on voyait blasonnées en or les armes d’Angleterre et de France. Monté sur un petit cheval gris, il fit venir les prisonniers qu’il avait emmenés et les renvoya sur parole de le venir trouver si la victoire favorisait ses drapeaux, sinon il leur donnait la liberté sans rançon.

    Voyant ensuite que les Français n’approchaient point pour le combattre, il fit donner des vivres à ses soldats, puis fit sortir son armée de Maisoncelle et envoya quelques-uns de ses coureurs derrière Azincourt où ils ne trouvèrent personne. Toutefois, pour effrayer les Français, ils mirent le feu à une ferme du prieuré de Saint-Georges-d’Hesdin. Henri fit aussi passer derrière son armée deux cents hommes, avec ordre de se cacher dans Trumecourt et de n’en sortir que lorsque le moment en serait arrivé. Cet ordre fut exécuté, et ils servirent fortement plus tard à la mise en fuite de notre avant-garde. Ensuite le roi d’Angleterre harangua assez longtemps son armée. Il donnait aux archers des communes, qui composaient la plus grande partie de son armée, l’espérance d’obtenir des franchises de noblesse, ajoutant lâchement que les Français avaient juré de leur couper trois doigts de la main droite, pour les empêcher de tirer des flèches.

    Toute l’armée ensuite s’agenouilla, et un évêque lui donna la bénédiction. Elle avait été rangée en bataille par un vieillard, nommé Thomas Erpingham. Elle était composée de deux lignes de troupes. La première, où marchaient les gens d’armes, était commandée par le duc d’Yorck, avec les seigneurs de Stanop, de Beaumont et de Willougbi. Au front, presque vis-à-vis Azincourt, furent placés les archers dans lesquels on avait la plus grande confiance. La plupart allaient nu-pieds et sans chaperon, armés à la légère, sans fusils, seulement cuirassés, avec une épée à la ceinture, et portant des pieux ferrés par les deux bouts. Ces pieux, quand leur extrémité supérieure restait inclinée vers l’ennemi, servaient de barrière pour arrêter l’impétuosité de la cavalerie, et de retranchement d’où les archers, avec des arcs de la hauteur d’un homme, décochaient des flèches de la longueur de trois pieds et plus meurtrières qu’un coup de fusil.

    Henri V prit le commandement de la seconde ligne garnie de gens d’armes. Le grand étendard d’Angleterre était porté près de lui. Il fit mettre les bagages et les chevaux derrière son armée, et, outre les deux cents hommes qu’il avait fait cacher dans Trumecourt, il en envoya encore quatre cents s’embusquer dans un bois qui était à la gauche du champ de bataille.

    De leur côté, les Français se préparaient aussi au combat, ils étaient commandés par le connétable d’Albret, ou plutôt tous les seigneurs voulaient être chefs, et en définitive le pouvoir n’appartenait à personne. On avait voulu d’abord mettre le dauphin Louis à la tête de l’armée ; et Charles VI lui-même, dans un de ces moments lucides où apparaissait sa chevaleresque bravoure, avait témoigné le désir de marcher avec la noblesse contre l’ennemi.

    Mais le vieux duc de Berry s’y était opposé. « J’ai vu Poitiers, dit-il, où mon père le roi Jean fut pris, et mieux vaut perdre la bataille que le roi et la bataille ». D’Albret, jeune présomptueux qui n’avait ni le talent ni l’expérience d’un général, prit donc le commandement de l’armée.

    Il se mit à la tête de l’avant-garde, composée de quinze cents arbalétriers, quatre mille archers et huit mille hommes d’armes. Les ducs d’Orléans et de Bourbon, les comtes d’Eu et de Richemont, le maréchal Boucicaut, David de Rambure, le seigneur de Dampierre, amiral de France, messire Guichard Dauphin et quelques autres chefs accompagnaient le connétable. D’autres officiers du roi, sous l’ordre du comte de Vendôme, avec seize cents hommes d’armes, furent chargés de faire une aile pour attaquer les Anglais de côté.

    L’autre aile était dirigée par messire Clignel de Brabant, amiral de France, et Louis de Boisbourdon, avec huit cents chevaux. On remarquait aux premiers rangs de cette aile beaucuup de gens d’élite, parmi lesquels on distinguait Guillaume de Saveuse et ses deux frères, Ferry de Mailly, Alléaume de Gapennes et Alain de Vendôme. Le corps de bataille, composé d’autant de chevaliers, d’écuyers et de gens de traits que l’avant-garde, était commandé par les ducs de Bar et d’Alençon, les comtes de Nevers, de Vaudemont, d’Aumale, de Salme, de Grand-Pré et de Roussi. L’arrière-garde était composée du reste de l’armée, sous la conduite des comtes de Marie, de Dampmartin, de Fauquembergue et du seigneur de Lauroy.

    Quant au nombre des deux armées, les recherches que nous avons faites dans tous les historiens contemporains et modernes nous ont conduit à pouvoir avancer, malgré les opinions contraires, que les Français étaient, selon toute probabilité, forts de soixante mille hommes environ, et les Anglais de quarante mille.

    Les troupes rangées en bataille restèrent dans les préparatifs, jusqu’entre neuf et dix heures du matin. Elles occupaient tout l’espace entre Ruisseauville au nord et Maisoncelle au sud, et entre Azincourt à l’ouest et Trumecourt à l’est.

    Les Français, arrivés les premiers, avaient, par l’inhabileté de leurs chefs, choisi un champ resserré entre deux petits bois, l’un serrant Azincourt, l’autre Trumecourt. Ce champ de bataille étroit donnait tout l’avantage aux Anglais ; et comme il avait plu toute la nuit, et que les varlets et plusieurs s’étaient promenés avec leurs chevaux, la terre était si molle, que les Français, couverts d’ailleurs d’énormes cottes d’acier et de harnais de guerre, s’enfonçaient jusqu’aux genoux et pouvaient à peine marcher. Ainsi tout était défavorable à notre armée.

    Chez les Anglais, le roi, chef suprême, aidé de son conseil, dirigeant lui-même le combat, des soldats rafraîchis et restaurés se développant à l’aise dans un terrain favorable. Chez nous, au contraire, nulle unité dans le commandement, tous les princes donnant des ordres et se contredisant : une avant-garde sans ordre et sans discipline prête à se précipiter sur l’ennemi aux cris de Montjoie et Saint-Denis. Telles étaient les causes qui déterminèrent la victoire à abandonner nos drapeaux, elle qui semble toujours nous fuir à regret.

    Au moment où le roi d’Angleterre venait de terminer toutes ses dispositions, il fut surpris par l’arrivée de trois chevaliers français qui demandaient à lui parler. C’étaient messire Guichard Dauphin, le sire de Helly, et un troisième guerrier dont l’histoire ne nous a pas conservé le nom.

    Helly qui avait, disait-on, violé sa parole pendant qu’il était prisonnier en Angleterre, saisit cette occasion de repousser l’accusation, et offrit le combat singulier entre les deux camps, à qui voudrait relever son gant. Le roi répondit que le moment n’était pas propre aux duels, ajoutant qu’il retournât dans les rangs pour combattre.

    - Sire, répliqua Helly, je n’ai point d’ordre à recevoir de vous ; Charles est notre souverain, nous lui obéissons, et pour lui nous vous combattrons tant que nous le jugerons convenable.

    - Arrière donc, reprit le roi, et prends soin de ne te pas trouver devant nous ! Puis faisant un pas, il s’écria Bannières en avant ! et en même temps sire Thomas Erpingham jeta son bâton en l’air en disant : Now strike ! C’était le signal.

    Les soldats s’agenouillant mirent un peu de terre dans leur bouche, puis se relevant, ils poussèrent de grands cris et marchèrent vers l’ennemi.

    A vingt pas de notre avant-garde, les Anglais s’arrêtèrent et recommencèrent leurs cris, répétés par les hommes cachés dans Trumecourt, qui s’élancèrent alors sur notre flanc gauche. Les Français, que d’Albret et quelques autres princes avaient harangués, se rangèrent sous leurs bannières, le casque en tête, à l’approche de l’ennemi, dont les trompettes sonnaient la charge. Le dessein des Anglais était de brusquer l’action et d’arracher la victoire, s’il était possible, avant l’arrivée du duc de Bretagne, qui amenait six mille cavaliers.

    Les archers de Henri V firent une décharge terrible. Les Français baissèrent les visières de leurs casques, et avancèrent hardiment contre la ligne anglaise qui recula de quelques pas. Ils avaient raccourci de moitié le bois de leurs lances. Malgré cette précaution, resserrés dans un terrain très étroit, ils étaient pressés de telle sorte, que tous les historiens, même les écrivains anglais, conviennent que nos soldats ne pouvaient lever même le bras pour frapper l’ennemi, excepté quelques-uns du premier rang. A peine en comptait-on aux ailes cent quarante en état d’agir avec quelque avantage.

    Qu’on juge de la position de ces guerriers bouillants du désir de combattre, et forcés de recevoir les traits nombreux et les blessures des Anglais sans pouvoir même se venger ! Aussi l’avant-garde fut bientôt éclaircie par les flèches sans nombre que lançaient les soldats anglais retranchés derrière une palissade de pieux, qui, bien que plantés à la hâte, les garantissaient des traits de nos archers.

    Ainsi fut renversée notre avant-garde. En ce moment arriva Antoine, duc de Brabant, qui dès longtemps avait offert le secours de ses gens d’armes. Prévenu au dernier moment, il avait pris à la hâte six mille hommes. A la nouvelle de la bataille, il laissa son monde derrière lui, et accourut n’ayant pas même d’armures, avec douze de ses serviteurs. Il arracha la bannière d’un de ses trompettes, perça un trou dans le milieu, et passant la tête au travers, se fit ainsi une cotte d’armes. Il se rua alors entre l’avant-garde et la bataille. Mais sa valeur inconsidérée ne lui valut qu’une mort plus prompte.

    La première division des Anglais, harassée de fatigue, se retira alors derrière la seconde pour reprendre un instant haleine. Ces troupes fraîches parvinrent à rompre notre corps de bataille, déjà entamé.

    Cependant, dix-huit Français forment l’héroïque projet de pénétrer jusqu’au roi d’Angleterre. Nobles héros dont la célébrité s’est oubliée au milieu de tant d’autres célébrités ! Déjà l’intrépide Guillaume de Saveuse s’était avancé sur l’avant-garde anglaise, pensant que ses compagnons d’armes le suivaient, et, bientôt jeté à bas de son cheval, il avait péri percé de coups, après avoir fait reculer sous son choc toute la ligne ennemie.

    Dix-huit chevaliers français, voyant donc que l’armée française en désordre ne pouvait résister, malgré d’héroïques courages se déployant çà et là, jurèrent de parvenir jusqu’à Henri V, ou de trouver la mort dans le combat. Ils avaient pour chefs deux hommes dont l’histoire ingrate n’a même pas retenu les noms. C’étaient Louvelet de Masinguehein et Gaviot de Bournonville. A un signal donné, tous s’élancent sur l’ennemi, les rangs s’ouvrent devant eux, tout tombe sous leurs coups. Mais ils sont bientôt victimes de leur héroïque bravoure ; la mort les décime. Un seul cependant parvint jusqu’au roi, et d’un coup de massue le fit tomber sur les genoux, mais il périt avant d’accomplir son dessein.

    Sur ces entrefaites, les quatre cents hommes cachés derrière le bois viennent nous surprendre en flanc ; cette attaque inopinée jette encore plus le désordre dans nos rangs. Le duc d’Alençon, qui avait déjà montré son indicible courage, veut, lui aussi, parvenir jusqu’au roi d’Angleterre. Couvert de sang, le sabre en main, il renverse comme la foudre tout sous son passage. Enfin, il se fraye un chemin à travers la mort et arrive au roi. Le duc d’Yorck tombe sous un de ses coups. Henri veut le secourir. « Je suis d’Alençon, lui crie le héros, je te défie ». Et aussitôt, d’un coup de son épée, il lui brise la moitié de la couronne qui dominait son casque. Un second coup allait sauver la France, mais d’un revers Henri l’étend à ses pieds. « Je me rends à vous, crie Alençon ». C’était en vain ; les gardes du roi lui arrachèrent inhumainement la vie.

    Notre arrière-garde aurait encore pu soutenir le combat, mais, entraînée par l’exemple, elle prit bientôt la fuite. Cependant, les comtes de Marle et de Fauquembergue, et les seigneurs de Lauroy et de Chin, avec six cents hommes, chargèrent de nouveau les Anglais, en déployant un rare courage. Mais ils furent écrasés par le nombre. Beaucoup d’autres Français, aussi, s’assemblèrent par petites troupes, et assaillirent l’ennemi.

    Mais la victoire avait fixé son vol, il était trop tard. Elle s’était reposée sur les drapeaux d’Albion. Toutefois, cette victoire des Anglais a été salie par le crime. Toujours le fleuron de sang apparaîtra dans cette couronne de triomphe. Certes, nous aimons mieux voir la France vaincue sans lâcheté, que victorieuse avec des trophées où la première arme est la hache du bourreau.

    Les bagages du roi d’Angleterre étaient gardés par dix lances et vingt archers. Robert de Bournonville, Rifflart de Clamasse et Ysambert d’Azincourt, accompagnés de quelques-uns de leurs vassaux et goujats, s’emparèrent de ce camp de réserve. A cette nouvelle, le roi d’Angleterre, craignant qu’on ne voulût l’attaquer de nouveau, fit crier à haute voix et à son de trompe que chaque Anglais occît ses prisonniers sous peine de la hart. Cet ordre barbare fut lâchement exécuté. Et ce fut pitié, dit un historien présent à cette sanguinaire boucherie, de voir ces nobles et preux chevaliers, sans armes, être dépouillés de leurs casques et impitoyablement massacrés.

    Quant aux pillards, ils s’emparèrent d’un grand nombre de chevaux, de plusieurs coffres où étaient les pierreries de la couronne, les habits dont on se servait au couronnement des rois d’Angleterre, une grande croix d’or où il y avait, disait-on, deux morceaux de la vraie croix, chacun d’un demi-pied de long, et les sceaux de la chancellerie. Le seigneur de Gaucourt, qui avait été fait prisonnier au siège de Harfleur, fit, pour ménager sa délivrance, tant de perquisitions, qu’il retrouva la plupart de ces objets, qui furent rendus à Henri V.

    Cette dernière assertion, que l’historien Daniel donne comme une chose ignorée jusqu’à lui et dont il n’indique même pas les sources, est contredite par les autres historiens. Nous croyons que le roi d’Angleterre ne put, en effet, retrouver ses bagages égarés. On tâcha ainsi de s’indemniser de la défaite. Cela est si vrai, d’ailleurs, qu’Isambert d’Azincourt et Robert de Bournonville furent depuis détenus prisonniers, par ordre du duc Jean de Bourgogne, quoiqu’ils eussent donné au comte de Charolais, son fils, pour s’assurer de sa protection, une épée garnie d’or et de pierreries, qui venait de Henri V. Ce qui confirme cette opinion, c’est qu’un manuscrit fort curieux, qu’on attribue à Jean de Trumecourt, rapporte que les seigneurs français empêchèrent, pour se venger, les paysans de rendre leur butin.

    Le combat avait duré trois heures. Les fuyards, à une lieue du champ de bataille, aperçurent le maréchal de Lorgni avec six cents hommes du prince Louis de Sicile, et le duc de Bretagne avec six mille combattans, qui venaient au secours de notre armée. A la nouvelle de la défaite, ils rebroussèrent chemin à grand regret.

    Le désastreux combat d’Azincourt nous coûta neuf mille hommes, cinq princes du sang, le duc d’Alençon, le comte de Nevers, le duc de Brabant, tous deux frères du duc de Bourgogne, le prince de Bourbon et le connétable d’Albret. De plus, cent vingt seigneurs bannerets, beaucoup de personnages titrés, cinq mille hommes d’armes, presque tous gentilshommes, et dix-huit cents soldats.

    Les Anglais emmenèrent plus de cent bannières et quinze cents prisonniers. Les plus remarquables étaient le duc d’Orléans, père de Louis XII, Jean duc de Bourbon, Louis de Bourbon, comte de Vendôme, Charles d’Artois, et le comte de Richemont, frère du duc de Bretagne.

    Henri V laissa deux mille cinq cents morts sur le champ de bataille. Parmi eux étaient le duc d’Yorck, son oncle, et le comte d’Oxfort. Quand il eut fait examiner le lieu du combat et dépouiller les morts, il appela le héraut d’armes français Montjoie, et lui demanda à qui la victoire devait être attribuée. Quand Montjoie eut répondu que c’était à l’Angleterre, Henri V demanda le nom du châtel qu’il voyait assez près de lui. On lui répondit qu’il s’appelait Azincourt. « Comme toutes les batailles, dit-il, doivent porter le nom du lieu le plus prochain du champ où elles ont eu lieu, que dès à présent et à jamais celle-ci porte le nom de bataille d’Azincourt ».

    Ensuite, comme la journée allait finir, le roi Henri fit enlever ses nombreux blessés, et s’en retourna, avec son armée, coucher à Maisoncelle. Durant la nuit, un certain nombre de Français se traînèrent, malgré leurs blessures, dans un petit bois voisin ou dans les villages des environs, où plusieurs trouvèrent la fin de leurs souffrances. Le lendemain, dès que le jour commença à poindre, Henri revint sur le champ de bataille, et il fit impitoyablement massacrer ou emmener à sa suite ceux qui respiraient encore.

    A côté de ces mourants égorgés, après ce crime hideux, Henri fit célébrer un service pompeux d’actions de grâce. Ensuite les Anglais firent bouillir les corps d’Yorck et d’Oxfort pour avoir leurs os. Quant aux dépouilles qu’on ne put emporter, on les déposa dans une grange où l’on mit le feu.

    Puis l’armée, harassée de fatigue, manquant de munitions, regagna à grand’peine l’Angleterre, après que Henri V eut renvoyé une partie des prisonniers français sur parole. A Calais, tout le clergé, se courbant lâchement devant le vainqueur, alla en pompe au-devant de Henri V, et bénit les vaisseaux qui le transportèrent dans son royaume.

    Après ce départ, beaucoup de Français visitèrent le lieu du combat. Pendant les cinq jours qui suivirent la bataille, on enleva, pour les enterrer, un grand nombre de seigneurs, parmi lesquels il faut citer les ducs de Brabant, de Bar et d’Alençon, les comtes de Vaudemont, de Fauquembergue, le seigneur de Dampierre, amiral, et enfin messire Charles d’Albret, connétable de France, qui fut enseveli à Hesdin, dans l’église des Frères-Mineurs. Les autres furent emmenés dans leurs seigneuries.

    Pendant qu’on relevait ainsi les principaux morts, le comte de Charolais, qui avait été retenu au château d’Aire pendant le combat, par ordre de son père le duc de Bourgogne, entra, à la nouvelle de la défaite, dans le plus sombre désespoir. Il pleura trois jours entiers de n’avoir pas assisté à la bataille. Cinquante ans après, on raconte qu’il entretenait encore ses serviteurs des regrets qui le tourmentaient de n’avoir pu combattre à d’Azincourt, eût-il dû y laisser la vie. Navré de la perte de ses deux oncles, le duc de Brabant et le comte de Nevers, il fit enterrer tous les morts à ses frais. Il chargea l’abbé de Buisseauville et le bailli d’Aire de présider à cette triste commission. On mesura, en carré, vingt-cinq verges de terre, on y creusa trois fosses de la largeur de deux hommes, et on y déposa, tout compte fait, cinq mille huit cents hommes. Cette terre, et les fossés entourés d’une forte haie d’épine, furent bénis et convertis en cimetière par l’évêque de Guines.

    Et, maintenant, qu’est devenu ce champ où les Français trouvèrent la sépulture après le combat ? On nous l’a montré au milieu de la plaine étroite d’Atincourt, inaperçu au milieu de tant d’autres champs. On le cultive comme les autres, on n’a même pas respecté l’asile de la mort.

    Si la tradition et quelques pieds d’épine contemporains du siècle de la bataille ne restaient comme un dernier témoignage, le voyageur ne pourrait plus apporter le touchant tribut de ses regrets pour la défaite, de son admiration pour la valeur.

    Avant 1793, la haie existait encore en entier. Une chapelle s’élevait au milieu du lieu de repos, et tous les vingt-cinq ans, nous a-t-on dit, on célébrait un service, le 25 octobre, en mémoire des Français morts à Azincourt. Mais la grande commotion politique, qui remuait tout le sol de la vieille Europe, dut ébranler jusqu’au modeste monument qui couvrait le cimetière français. Les débris de l’antique chapelle servent aujourd’hui d’étable dans la cour d’un fermier de Ruisseauville.

    Après la chute de Bonaparte, pendant l’occupation étrangère, les Anglais qui habitaient les environs d’Azincourt firent faire des fouilles dans le champ où nos soldats avaient été enterrés. On creusa profondément, et l’on retrouva beaucoup de restes d’armures et un grand nombre d’ossements. Exaltés, sans doute, par le souvenir d’un triomphe récent, les Anglais firent construire un grand cercueil de forme circulaire, où ils déposèrent l’ossuaire trouvé dans leurs fouilles. Ils voulaient emporter dans leur patrie ces restes sacrés, comme un monument de victoire. Mais l’autorité, qui pliait trop souvent à cette époque devant les exigences de l’invasion, eut cette fois la force de s’opposer courageusement à cet acte arbitraire, à cette violation des tombes. Nous ignorons de quelle main est parti l’ordre d’empêcher de faire cet outrage aux morts. Gloire du moins lui en soit rendue ! On permit toutefois aux Anglais d’emporter les débris d’armes trouvés dans cette terre qu’ils avaient fait passer au crible. Mais le cercueil fut déposé dans le cimetière de l’église d’Azincourt. Nulle pierre n’indique l’endroit où reposent ces Français.

     

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