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  • 27 septembre 2012 - Par Au fil des mots et de l'histoire

    Les escadrilles des Cigognes (3) dans GUERRE 1914 - 1918 SPA-48-150x150

    D’après « Les archives de la grande guerre » – 1919

    Escadrilles des Cigognes (2)

    Toute la vie du Groupe se concentre, pour les affaires sérieuses, au Bureau de renseignements, pour les affaires frivoles au Bar. L’un et l’autre ont, pour ces raisons différentes, une importance égale. Le premier s’abrite sous une tente S. F. A. aux minuscules fenêtres rectangulaires croisillées, sur châssis de bois semblables à des hublots. Des tables-bureaux de bois blanc posés sur tréteaux, des chaises dont quelques-unes longues, deux appareils téléphoniques, quelques caisses remplies de rapports et de plans en constituent à la fois tout l’ameublement et toute la décoration.

    Le plan directeur de la région permet, à l’heure du communiqué, de suivre les opérations. Des photographies des appareils ennemis de chasse ornent la face opposée, avec cette mention : « Les Escadrilles ennemies ont à l’heure actuelle des insignes distinctifs. Il est donc possible d’identifier par leurs couleurs les unités et de connaître l’ordre de bataille de l’aviation allemande. Des silhouettes d’avions du modèle ci-joint sont envoyées au commandant du G. C. 12, aux commandants d’aéronautique de G. A., d’escadrilles d’armée et d’A. L. ».

    Un tableau de photographies d’avions anglais rappelle aux jeunes pilotes les nécessités du discernement.

    Sur la face intérieure opposée à l’entrée s’étend une immense carte du front français, de la mer à l’Alsace, jalonnée du fil obligatoire. Des statistiques voisinent, sur lesquelles on relève le nombre de pilotes du Groupe tués ou disparus, ainsi que celui des avions abattus. A la date du 14 août 1918, le G.C. 12 comptait 30 tués et 26 disparus, et 652 avions abattus, dont 347 officiels et 305 très probables. Une photographie en pied de Guynemer, tenant à la main une mitrailleuse allemande, domine ces chiffres.

    Une note de service épinglée un peu plus loin prescrit ceci :
    - Téléphoner aux trois secteurs 45 minutes avant les départs de patrouilles ;
    - demander s’ils ont des avions en l’air ou s’ils vont sortir. A quelle heure ? Quelles missions? Types d’avions. Altitude.
    - S’ils n’ont pas d’avions en l’air, qu’ils préviennent :
    1° Quand ils commencent à travailler ;
    2° Quand ils cesseront leur travail.

    Les ordres pour la journée sont également affichés. Ils indiquent les secteurs d’action, les missions à remplir, l’altitude moyenne à atteindre, le roulement de service des escadrilles, avec le nombre d’avions et les heures de sortie, enfin les renseignements reçus sur l’activité de l’ennemi.

    Sur la face de droite, bien au centre, un note relative à l’homologation, obsession et perpétuel souci de l’aviateur de chasse. Un « Attention » de circonstance, suivi de nombreux points d’exclamation, précède cette note :
    Pour que vos avions soit homologués, il faut un compte rendu individuel détaillé du combat indiquant :
    1° Heure précise ;
    2° Verticale du lieu où l’avion est tombé ;
    3° Conditions de chute ;
    4° Type de l’appareil descendu ;
    5° Appareils ayant été remarqués dans le combat.

    Une caricature due à la plume de Gus. Bofabre surmonte ces conditions. Elle s’intitule : « Méfiez-vous des bourreurs de crânes ». Un grand diable d’aviateur, manches retroussées, presse du poing le crâne d’un colonel pot à tabac qui tient son képi à la main. Légende : L’aviateur : Spécialité de coups au but. Le Colonel : Prodigieux !

    Une inscription en marge : Conseil à mes pilotes. Souvenir du commandant Brocard, septembre 1917.

    L’homologation, cette reconnaissance officielle des avions abattus, faute de quoi les plus belles victoires ne comptèrent que devant la conscience des pilotes triomphants, excita souvent, par son impossibilité même, bien des amertumes.

    Le 21 mai 1917, le commandant du Peuty félicitait les nombreux aviateurs au premier rang desquels il citait Dorme qui, avec la certitude de ne pas avoir une homologation officielle, avaient livré loin dans les lignes allemandes de durs combats.

    Et le 28, il interdisait formellement aux pilotes d’atterrir auprès d’un avion abattu dans nos lignes. Au maximum, leur donnait-il l’autorisation de descendre à l’aérodrome le plus voisin.

    « Au risque de commettre une injustice, disait-il, le commandement homologuera difficilement ou même pas du tout l’avion à celui qui aura atterri près du « Boche », risquant de détruire son appareil et témoignant ainsi envers ses camarades de combat d’une méfiance exagérée. De plus, cette façon de faire peut sembler témoigner d’une ignorance du véritable but à atteindre qui est de descendre le « Boche », pour tuer du « Boche », et non de s’attribuer à soi-même plus ou moins de succès. Seuls ont droit à la grande part de reconnaissance et de gloire ceux qui ont donné tout ou partie de leur vie. Les autres montrent seulement par ce qu’ils ont fait qu’ils pourront encore faire davantage, car il reste davantage à faire ».

    Haute et sévère leçon, certes. Mais demander à la fois à un jeune Français, et de risquer toute sa vie, et de sacrifier sa part de gloire personnelle, n’était-ce pas excessif ? Beaucoup le pensèrent. Le geste de Fonck n’en fut que plus généreux qui, un jour, céda à l’un de ses camarades sincèrement convaincu d’avoir descendu un avion ennemi, cet appareil dont il se savait le véritable vainqueur.

    D’autres cartes tapissent encore les parois flottantes du Bureau de renseignements. L’une des plus essentielles est celle des terrains d’aviation ennemis photographiés ou ou repérés par renseignements. La décision quotidienne du G. C. 12 qui mentionne l’escadrille de jour voisine avec un tableau de prévisions météorologiques, une liste des officiers de piste, un modèle des comptes rendus à fournir et une table de tir des cartouches à balles incendiaires Desvignes de 11 millimètres tirées dans la mitrailleuse Vickers.

    Sur la table centrale où s’installent les pilotes désireux de rédiger leurs rapports, des bulletins de renseignements aéronautiques sur l’aviation française et allemande, le Résumé des opérations aériennes du G. Q. G., la Guerre aérienne illustrée, les comptes rendus de patrouilles et un album de photographies prises en avion, circulent de main en main.

    Et comme l’humour et l’esprit combatif, chez nos pilotes de chasse, vont toujours de compagnie, un avis leur est adressé qu’une rumeur maligne a toujours attribué au capitaine-adjoint de Billy :
    « MM. les pilotes sont priés de respecter le matériel du Bureau de renseignements. Ne pas déchirer, crever ou détériorer les cartes, même sous prétexte de puissantes conceptions tactiques ou stratégiques. Ne pas casser crayons et porte-plumes ou renverser les encriers en faisant manoeuvrer habilement les armées sur les cartes ou en étudiant les lois de la chute des corps et les méthodes de bombardement.
    Ce sont certes de petites choses et leur valeur est minime, comparée aux avions qu’ils ont l’honneur de piloter, mais il n’est pas de petites économies. Elles apportent leur modeste tribut à la tâche commune et glorieuse.
    Pilotes, elles fixent votre pensée avant d’armer vos bras ! Par elles vous frappez là où il faut et quand il faut. Par elles vos travaux avancent l’heure de la victoire et resteront impérissables dans les siècles à venir. Ainsi soit-il ».

    Une fatalité singulière voulut que cet avis si judicieux fût toujours lacéré.

    L’éclairage électrique, sous toutes les tentes du camp, est bien entendu de rigueur. Le sol y demeure invariablement de terre battue.

    Le lieutenant Pastrée, dans la conférence mémorable que l’on connaît, classe ainsi les appareils d’aviation, suivant leur ordre d’importance : le lit Picot, le bar, la voiture légère, l’avion.

    « Le lit Picot, dit-il, est monoplan et monoplace. Comme tout appareil sérieux, il trouve son emploi dans des opérations de jour et de nuit. C’est notre plus sûr refuge, notre meilleur ami. Hors de lui, il n’est plus de salut. Cependant, certains pilotes, surtout les pilotes de Farman, lui préfèrent le lit-cage, affaire d’habitude sans doute.

    Le bar est une table oblongue avec des aviateurs devant et des bouteilles derrière. Entre ces deux pôles de l’honneur, s’agite un barman cherchant à concilier une avidité naturelle, le désir de plaire à ses camarades et celui d’aller ravitailler à Paris. Le barman a sur ses camarades d’aviation un avantage : il apprend un métier pour l’après-guerre. Les bars sont américains, bien entendu, et les bouzilleurs les plus invétérés n’y jouent qu’au poker d’as ».

    Au bar du G. C. 12 se tient le Club des Cigognes. L’ameublement en est aussi sommaire que celui du Bureau de renseignements : deux longues tables montées sur tréteaux et des fauteuils pliants de jardin. C’est là que les jeunes « assassins » se groupent pour jouer aux dames et aux petits chevaux et feuilleter des illustrés. Les photographies d’Auger, Dorme, Brocard, Guynemer et de la Tour, demeurés parmi les grandes figures les plus chères au Groupe, ornent seules le Club où les Cigognes savent pratiquer l’art délicat des invitations à l’usage de leurs camarades des autres armes.

    Sous la tente voisine du mess, une cigogne de laine, décorée de la fourragère, pattes et bec rose crevette, ailes mi-blanches, mi-noires, reproduction de celle qui fut offerte au Groupe par Mme Herriot, préside aux agapes des jeunes « escopettiers ». Le fanion en satin de la 3, orné de la Croix de guerre et de la fourragère, est suspendu au-dessus de la table : une cigogne brodée dans un losange, sur fond aux couleurs nationales.

    Quand à la voiture légère, ainsi que son nom l’indique, suivant Pastrée, elle est toujours excessivement chargée. Elle emporte en moyenne trois personnes de plus que sa carrosserie n’a de places, sans compter les cantines et autres bagages.

    « Primitivement destinée à la liaison entre l’escadrille et le front, elle a été pour une plus juste appréciation utilisée à la liaison entre l’escadrille et les derrières ». Les As de l’air y sont généralement les maîtres du volant.

    Dans les randonnées rapides à la ville, le groupement des uniformes disparates, chaque aviateur conservant celui de son arme d’origine, plus encore la façon vraiment unique de les porter, produisent toujours un effet sûr. Il s’y ajoute, pour les Cigognes, le prestige du célèbre insigne d’argent agrafé au-dessus des décorations suivant la mode lancée par la 3. C’est un reflet de gloire qui passe ; et l’on cesse de sourire. La reine des Belges, le Prince de Galles, tinrent à honneur de le recevoir ; et ce fut aussi une des plus grandes joies du commandant Barès de se voir offrir le premier, une Cigogne d’or comme témoignage de gratitude par les quatre valeureuses escadrilles.

    L’obtenir, au début, était pour les pilotes de chasse une récompense fort recherchée qui ne s’enlevait qu’après épreuve sur l’ennemi. C’est le plus haut témoignage d’estime que puissent donner les Cigognes à un étranger.

    Comme elles ont leur insigne et leur homologueur, type inénarrable, roi du side-car, elles ont également leur peintre, personnage historique lui aussi ou du moins qui s’efforce de le devenir en fixant sur de la toile d’appareils « bousillés » les épisodes les plus fameux de la vie du Groupe.

    Une odeur pénétrante d’émaillite décèle sa présence, derrière un rideau sommairement tendu, dans l’angle d’un Bessonneau (L’émaillite est un vernis à base d’éther dont on se sert pour tendre la toile des appareils). Là, ses toiles suspendues, ses frises, ses crayons, ses illustrations sur bois, quelques caisses et sa guitare composent tout son atelier.

    Gévaudan, voilier à la 26, promu au titre de peintre décorateur du G. C. 12 en 1917, en fait les honneurs avec autant de modestie que de dignité ; et c’est à peine s’il laisse entendre, à condition qu’on l’en presse, qu’il est de Cette. Tout lui est bon pour composer ses « œuvres » dont on lui propose d’ailleurs généralement le sujet : la toile anglaise, la plus fine, qui a une odeur de sang de boeuf, comme les fragments d’hélices si fragiles, lorsqu’elles sont en mouvement, qu’une noix légèrement lancée les brise.

    Sur ces fragments, il se plaît à faire courir des guirlandes surchargées d’arabesques portant des noms d’as et entre lesquelles s’envolent les quatre cigognes, qu’on retrouve d’ailleurs partout, en « études de vol » comme en cartes postales et en encadrements de photos, attaquant l’aigle impérial au temps de la Bande noire (ainsi désignait-on Brocard, Guynemer, Dorme, Heurtaux, Deullin et de La Tour) ou terrassant le Boche.

    Un portrait au crayon de Guynemer, fait à Dunkerque en août 1917 pour le capitaine de La Tour, tué depuis à la suite d’une acrobatie, n’est pas indigne de son modèle.

    Tel tableau représente la surprise d’un Albatros descendu en flammes par Naudin, de la 26. D’autres, d’une inspiration plus médicale, sont moins aisés à décrire ; on y voit, par exemple, la voiture du major du Groupe, offerte par l’Aéro-Club, planant dans les airs. Sur le toit, le docteur Castex manie une formidable seringue et envoie une giclée très colorée à un Boche descendu en morceaux.

    Deux brancardiers courent à sa rencontre. L’auto céleste est flanquée de deux ailes de cigogne. Un autre aviateur ennemi fait « Kamarad ».

    Les Cigognes aiment leur major autant qu’elles raillent l’incertitude conjecturale de son art. Une petite fille soignée par lui dans un village de la Somme ayant eu le malheur de trépasser, il fut aussitôt décidé que Gévaudan élèverait sur l’une de ses toiles une statue en pied du « toubib », la main reposant sur un crâne, avec, sur le socle, cette inscription : « Au Savant Caslex, Longpont reconnaissant (1918) (Longpont est le nom de ce village, dans la forêt de Villers-Cotterets, où le G. C. 12 passa un hiver). Dans cette vaste composition, un cortège conduit en terre la fillette ; un pilote, de son avion, lance une couronne tricolore ; un passant salue le savant, un photographe opère, tandis qu’un chien, aussi impertinent qu’une Cigogne, lève la patte sur la grille du monument. La cigogne du Groupe est posée sur le socle.

    On s’imagine bien que la fantaisie des Cigognes tenta de s’exercer sur leurs « zincs ». Le 23 avril 1917, ordre fut donné de peindre immédiatement sur chacun d’eux l’insigne de son escadrille et un numéro d’ordre, en n’employant ni noir, ni bleu foncé pour éviter des confusions.

    La cigogne fut donc uniformément peinte en blanc, l’extrémité des ailes et les plumes gris foncé, le bec et les pattes rouges. Les numéros d’ordre vert clair pour la 3 et la 103, rouge pour la 26 et la 73, parurent à l’arrière du fuselage. Il fut dans les traditions du Groupe de ne jamais reprendre ceux des As tombés au champ d’honneur, tel le 2 de Guynemer.

    Et l’imagination se donna libre vol pour le choix des noms, des inscriptions spéciales et des devises. On y trouve bien des traits révélateurs du caractère ou de l’origine des Cigognes.

    Chacun sait que le « Vieux Charles » de Guynemer, sur lequel il descendit 19 avions, est aux Invalides. Nul ne sait qui lui donna ce nom, puisque Guynemer appelait toujours son avion-canon son Péladou.

    Le commandant de Rose, qui dirigea l’Aéronautique de la Ve armée, portait sur le sien une rose incluse dans un cor de chasse et dessinée par Scott. Son neveu, le capitaine de Sevin, reprit cette charmante idée, digne de guerres moins atroces. L’un de ses camarades, de Witt, lui fit au pochoir, en décembre 1916, d’après le dessin de Scott, un nouveau projet décoratif qui le conduisit, selon son vœu, de victoire en victoire.

    Auger, lui, n’admit sur son avion qu’un seul mot : « Je », et ce fut cet égotisme hautain qui le perdit.

    D’autres emportèrent avec eux, dans les airs, comme les compagnons de Cyrano devant Arras, quelque air ou quelque légende de la terre natale : Belh ceïl de Paü (beau ciel de Pau), proclame le béarnais Lauthé de la 3. Et le sergent Décatoire nous dit, en son patois du nord : T’iro-ti ? Mi, j’iro (Iras-tu ? Moi, j’irai). Le capitaine Battle, qui commanda l’escadrille de Fonck, nous parle en catalan.

    Sur son fuselage, une croix de Jérusalem, hommage spirituel à son chef vénéré de la 77, le capitaine de l’Hernitte, proclame : Maï mourirem (Jamais nous ne mourons). Prophétie audacieuse qu’il eut tout au moins la chance, malgré son intrépidité folle, de réaliser pendant la guerre.

    Le mécanicien de Fonck tint à fixer celle de l’Invincible en peignant un trèfle à quatre feuilles sur le dos du fuselage de ses deux appareils.

    Le sous-lieutenant Roy, qui fut condamné à mort en Russie par les bolchevistes pour avoir tenté de ramener du front sud-ouest les avions français employés dans les escadrilles russes, s’exprime dans la langue de Tolstoï « Ptschki-Vépkhy » (Haut les mains). Les bolchevistes prétendaient que les appareils de la mission française d’aviation en Ukraine serviraient à les combattre. Grâce à l’héroïsme de nos pilotes, ces avions n’en furent pas moins ramenés à Moscou où ils furent brûlés pour ne pas être laissés aux mains des Allemands. Coudouret porte le nom de son cousin « Escoffier », descendu en flammes en Serbie dans un combat aérien.

    Bien des appellations évoquent des souvenirs moins tragiques : « Ma Ninon », pour le capitaine Raymond, longtemps doyen du Groupe ; « Mamie », pour l’officier d’armement Point-Dumont et « Maine », sa fiancée, pour Mabreau qui, par malheur, fut descendu.

    De Tascher, qui fut prisonnier et s’évada en passant le Rhin à la nage et en tuant une sentinelle, s’écrie, plein de courtoisie « Au revoir et merci ». Naudin, époux modèle, s’adresse à sa femme Marthy, souvent auprès de lui, sur le terrain « Reviens quand même », tandis que Puget adapte aux nécessités de la chasse aérienne l’un des airs qu’il a toujours aux lèvres « Il suffit de les prendre au bon moment… » (Tiré de la chanson : Pures comme des anges).

    Dubonnet, parce qu’il est un As, peut se permettre de peindre sur son avion le chat même de sa marque : nul ne lui conteste, au combat, la publicité qu’il lui fait.

    Quelques-uns sont fatalistes : « Pourquoi pas ? » demande Schmitter. « Il le faut », proclame le sergent Vincent. Un ancien « crapouilloteur », le maréchal-des-logis Plessis, en mémoire de ces engins de destruction, baptise son Spad : « crapouillot ». L’adjudant Drouilh donne au sien le titre du roman de d’Annunzio « Forse che se, forse che no. « D’où l’on voit la cime des Vosges », fait observer Antoine qui témoigne en outre de son goût de la musique par une clef de sol et quelques notes.

    Fontaine enfin s’écrie avec humour : « Arrête que je graisse », expression familière à son mécanicien.

    Nous l’imiterons. Que de particularités seraient encore à mentionner dans cette vue d’ensemble de la vie du Groupe. Comment ne pas accorder un souvenir reconnaissant aux valeureux pilotes américains Chapman, Rockavell, Prince, Mac Connel, de l’escadrille La Fayette qui, sous les ordres du capitaine Thénot, compta au groupe de Cachy, avant de passer au G. C. 13, en avril 1917. Lugbery, l’as américain, en faisait partie. Lui et Delage, officier français, avaient comme mascotte un lion : Wisky.

    Le G. C. 12 accueillit encore, au titre étranger, un officier chinois, Tsu, qui y compta trois ou quatre victoires, des officiers russes, Brodowitch et Krutaigne, un Japonais qui y resta plus d’un an, le baron Chigueno, pilote du temps de paix, engagé volontaire, âme sentimentale dont l’avion s’appelait « Ma Ninette », en souvenir d’une amie lyonnaise.

    On s’explique bien cet accord intime du pilote et de son avion, cette vie unique de l’aviateur et de son appareil aux rythmes confondus. Jacques Boulenger en a parfaitement analysé le caractère : « la puissance du moteur, dit-il de l’un de ses personnages, n’était-ce pas sa propre force ? N’était-ce pas sa vie qui animait, autant que le sien, le coeur mécanique ? Une irrégularité dans le battement des cylindres, un arrêt, il les aurait éprouvés dans sa poitrine même. Les moindres remous, les plus légers effets de l’air sur les plans, il croyait les sentir, comme si cette toile et ce bois eussent été sa peau et ses os, comme si ses nerfs eussent animé le bâti insensible. Certes les impulsions que sa main et ses pieds donnaient aux leviers pour maintenir l’équilibre, ce n’étaient point des gestes commandés par la raison, mais des mouvements réflexes.

    Il sentait naître et croître en son âme le sentiment du vent, de la vitesse, le don de l’équilibre, l’instinct du vol, et il songeait avec émotion que ce sens nouveau qui se formait lentement en lui, peut-être, un jour, serait inné chez les hommes ».

    Une longue éducation, comme en toute chose, y sera nécessaire. Pour dominer dans l’espace, fait justement observer Jacques Duval, il faut d’abord s’y adapter.

    Source image

     

     

  • 2 commentaires à “Les escadrilles des Cigognes (3)”

    • gabillé on 14 février 2016

      Bonjour, le dessin en illustration de votre article est l’oeuvre de mon ami Benjamin Freudenthal.
      Si vous avez la possibilité de noter son nom en mention. http://www.flyandrive.com/index.php/galerie-de-l-artiste/galerie-aviation/categorie/biplan
      Bien cordialement

    • Laurette Pasquié on 27 octobre 2018

      Merci pour ce récit , ce documentaire ,ce témoignage plein de vérités , d’humour et si proche de la vie quotidienne de ces soldats courageux , dévoués et sacrifiés pour leur patrie et pour la liberté des peuples. Une grande fierté s’en dégage et nous rappelle notre devoir ,pour perpétuer leur mémoire et leur rendre hommage , de toujours se montrer à la hauteur et jurer : »Plus jamais ça »! Pas comme une enième marche blanche mais comme une promesse d’agir ! Reposez en paix soldats de l’Honneur ,vos descendants reprendront le flambeau dès qu’il en sera nécessaire et l’honoreront avec orgueil ! Les Cigognes et Notre Dame de Lorette vous salue bien!

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