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  • 17 septembre 2012 - Par Au fil des mots et de l'histoire

     

     Histoire des troupes étrangères au service de la France (5) dans PAGES D'HISTOIRE Gardes-Suisses-150x150

     

    D’après « Histoire des troupes étrangères au service de la France »
    Eugène Fieffé – 1854

    Histoire des troupes (4)

    Des premiers temps de la monarchie à la mort de Henri IV

    Les Suisses.

    Les troupes de cette nation firent connaissance avec celles de la France l’épée à la main, en 1444. Charles VII se disposait alors à conduire une partie de son armée au secours du duc de Lorraine, qui ne pouvait parvenir à soumettre la ville de Metz, soulevée contre lui, et en avait confié le reste au dauphin pour marcher contre les Suisses, qui étaient en guerre avec Sigismond, duc d’Autriche.

    Les Suisses se firent presque tous tuer à la bataille de Saint-Jacques, qui donna au dauphin l’occasion d’admirer leur courage et leur tactique militaire. Dès ce jour, il se sentit de la sympathie pour cette nation, et fut le premier à proposer un accommodement entre elle et l’Autriche. Il eut même, à ce sujet, une conférence avec les députés de plusieurs cantons. Louis XI, qui, pour nous servir de l’expression d’un poète moderne, perçait déjà sous le dauphin, comprit tout l’intérêt qu’il avait à s’attacher un peuple si brave et si bien placé pour protéger les frontières de la France. Il saisit cette circonstance pour passer un traité avec les députés. On se promit une amitié réciproque, et l’on jura de part et d’autre d’entretenir un libre commerce. Le traité fut signé à Ensishein, le 28 octobre 1444 ; il fut renouvelé en 1453 par le roi, et par Louis, deux ans après son avènement. Mais les Suisses ne l’observèrent pas rigoureusement tout d’abord, car leurs troupes prirent parti dans la guerre du bien public, cette ligue que les ducs de Berry, d’Orléans, de Bourbon et de Nemours avaient formée contre lui, à l’incitation du comte de Charolais, qui allait bientôt se faire connaître sous le nom de Charles le Téméraire.

    Loin de se décourager, Louis XI ne pensa plus qu’à dissoudre cette coalition, et commença par en détacher les Suisses en convenant d’une alliance défensive entre la France et les cantons contre le duc de Bourgogne. « Outre cela, il fut dit que le roi, en témoignage de sa charité envers les cantons, leur donneroit tous les ans la somme de 20000 francs, que les Suisses jouiroient en France de toutes les franchises, immunités et priviléges desquels les sujets du roi jouissent, et que, quand il le voudroit, il lèveroit des soldats en Suisse, à certaines conditions ». Ce traité, qui privait les ennemis du roi d’un puissant secours, déplut fort au duc de Bourgogne, qui, sans plus attendre, déclara la guerre aux Suisses.

    Ceux-ci ne craignirent pas d’affronter le courroux du prince le plus redoutable qu’il y eût alors en Europe, et en moins d’un an, 1476-1477, Charles était battu à Granson, à Morat, et mourait misérablement à Nancy. Trois batailles avaient suffi à ces rudes montagnards, livrés à leur instinct guerrier, pour se faire une réputation militaire supérieure à celle de tous les autres peuples. Aussi disait-on partout qu’ils avaient retrouvé le secret de la vieille tactique des armées grecques.

    On parlait avec terreur des merveilleuses trompes d’Uri et d’Unterwalden, dont les sons avaient glacé d’effroi le duc de Bourgogne, cet homme au cœur de bronze, qui n’avait jamais connu la peur. On parlait avec admiration de cette phalange toute frangée de piques et de hallebardes qui défiait la force et le courage des plus intrépides chevaliers. On prêtait à ces troupes toutes les vertus militaires, et l’on disait qu’à Granson elles avaient regardé d’un œil dédaigneux les trésors que le duc avait laissés dans son camp. On répétait enfin, comme une preuve de leur bravoure et de leur loyauté, qu’à Morat un de leurs chefs avait voulu employer des chevaux de frise pour mieux couvrir les soldats, mais qu’elles avaient généreusement rejeté cette proposition, en disant qu’il fallait attaquer l’ennemi franchement et à la manière de la nation.

    Tels étaient ces hommes dont trois victoires avaient fait des héros.

    Louis XI était trop avisé pour n’avoir point pressenti le résultat de ces événements. N’était-ce pas lui d’ailleurs qui avait encouragé les Suisses à résister au duc de Bourgogne ? Il savait tout le parti qu’on pouvait tirer de ces braves soldats qu’il avait vus à l’œuvre, étant encore dauphin, et il conçut un projet dans lequel ils allaient jouer le rôle de compères.

    On était alors en 1480, et la France était en paix pour un moment. Louis XI, jugeant l’occasion favorable, rassemble dix mille hommes de pied et deux mille cinq cents pionniers choisis parmi les anciens francs-archers, qui avaient été licenciés l’année précédente, et les dernières bandes d’aventuriers. Il dirige cette petite armée sur le Pont-de-1′Arche en Normandie, après y avoir joint quinze cents cavaliers de ses ordonnances.

    Dans le même temps, usant pour la première fois du droit que lui donne le traité conclu avec les cantons, il convoque six mille Suisses, vigoureux fantassins, qui partent de Berne le mercredi après la Saint-Laurent, au mois d’août 1480, et se rendent au camp du Pont-de l’Arche, sous la conduite de Guillaume de Diesbach.

    Louis XI lui-même ne tarda pas à venir au camp, et fit commencer sous ses yeux les exercices. Les vainqueurs de Granson, de Morat et de Nancy servirent d’instructeurs aux hommes de pied français, qui apprirent ainsi les manœuvres usitées dans la meilleure ou plutôt dans la seule infanterie qu’il y eût alors en Europe, et surent désormais combiner leur tactique avec celle de la cavalerie et de l’artillerie. Quand le roi eut trouvé la leçon suffisante, il paya les Suisses généreusement, en retint un certain nombre pour former une compagnie de sa garde, qui prit quinze ans plus tard le nom de Cent-Suisses, et congédia le reste.

    Mais ils furent rappelés pour la plupart sous la régence d’Anne de Beaujeu, qui redoutait les intrigues du duc d’Orléans et du comte de Dunois. Ils se distinguèrent à la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier, où un Suisse fit prisonnier le prince d’Orange. Charles VIII, devenu roi, en prit à son service un nombre encore plus considérable.

    Deux raisons, à la vérité, rendaient leur appui plus nécessaire que jamais : d’abord la guerre avec l’empereur Maximilien, dont le roi de France avait refusé d’épouser la fille, et l’expédition d’Italie, que Charles entreprit en 1494, dans le but de faire valoir les droits qu’il tenait de la maison d’Anjou sur le royaume deNaples. Il y eut alors dans l’armée française plus de vingt-cinq mille Suisses.

    Ils entrèrent avec Charles VIII dans l’ancienne capitale des Césars et dans la ville de Naples. Et lorsque ce prince voulut reprendre le chemin de la France, ce furent les Suisses qui sauvèrent son artillerie et son armée au milieu des sentiers escarpés de l’Apennin.

    Aussi, depuis ce temps, la garde de l’artillerie leur fut toujours confiée, et ils la conservèrent jusqu’à la création du régiment Royal-Artillerie sous Louis XIV.

    Ils contribuèrent puissamment à la victoire de Fornoue, où leurs piques ouvrirent un passage à l’armée française au milieu des bataillons ennemis. Antoine de Bessey, baron de Trichatel, connu sous le nom de Bailli de Dijon, et le comte de Clèves les commandaient.

    Ils ne furent pas moins utiles à Atelle, dans la Basilicate, où Montpensier, à qui le roi avait confié la garde des citadelles du royaume de Naples, s’était laissé envelopper par Ferdinand d’Aragon et Gonzalve de Cordoue. Les lansquenets ayant abandonné Montpensier pour passer, suivant leur coutume, dans l’armée ennemie, les Suisses, au nombre de quinze cents, restèrent fidèles, refusèrent les offres d’argent qui leur furent faites, et, bravant les maladies qui les décimaient, ne revinrent que trois cents, sous la conduite d’un seul capitaine.

    Louis XII, ne voulant pas conserver une armée aussi nombreuse que celle de son prédécesseur, ne garda à son service que neuf mille Suisses, qui furent engagés pour dix ans. Ils conquirent le Milanais et firent la campagne de Gênes. Dans cette dernière expédition, ils refusèrent de monter à l’assaut, prétextant qu’ils n’étaient pas venus pour gravir des rochers. Leurs capitulations, en effet, ne les astreignaient qu’à combattre en rase campagne. Plus tard, ces conditions restrictives se multiplièrent à l’infini, et ils furent dispensés de servir contre les puissances qui employaient aussi des troupes suisses, de porter les armes au delà des mers, des Alpes, du Rhin et des Pyrénées.Tel était leur scrupule à cet égard qu’il fallut plus d’une fois tourner contre eux leur propre artillerie pour en triompher.

    Ils combattirent sous les yeux du roi à la bataille d’Agnadel, en 1509. Mais, l’année suivante, Louis XII ayant refusé d’augmenter la somme qu’il payait annuellement à la confédération des ligues grises, les Suisses abandonnèrent l’alliance de la France, et, oubliant qu’ils venaient de la servir, entrèrent dans la ligue formée contre elle par le pape Jules II. Leur animosité ne s’éteignit pas avec le prince qui l’avait excitée, car ils s’opposèrent au passage de son successeur en Italie.

    Mais François Ier leur fit payer cher leur obstination, et dompta à Marignan ces dompteurs de rois, comme les appelait Brantôme. Néanmoins, en les voyant se former en ordonnance serrée, par bataillon, et abandonner au pas le champ de bataille, la pique au poing, défilant, comme pour une parade, devant l’armée française, qui n’osait inquiéter leur retraite, le roi victorieux s’était senti, comme Louis XI, moins ébloui de son propre triomphe que de la fière attitude de ces valeureux soldats. Il était leur admirateur, il voulut être leur ami. Aussi s’empressa-t-il de renouveler les traités d’alliance et de leur accorder de plus grands priviléges que ses prédécesseurs. Il prit l’engagement de pourvoir à la subsistance des vieux invalides qui serviraient dans son armée, et de donner à la garde suisse la même solde qu’à la garde écossaise.

    François Ier envoya les Suisses combattre en Italie sous les ordres du maréchal de Lautrec. Ce fut dans cette campagne qu’ils accusèrent une vénalité révoltante, et démentirent en un jour le désintéressement dont ils avaient fait preuve sous le comte de Montpensier. Ils continuèrent à servir la France en Italie et se trouvèrent avec l’amiral Bonnivet à l’affaire de la Sesia.

    A Pavie, désespérés de n’avoir pu sauver le roi, ils laissèrent trois mille des leurs sur le champ de bataille. A Cerisolles, ils se couvrirent de gloire, comme l’avait promis Blaise de Montluc, qui, avant le combat, dit dans un mémoire au roi sur son armée de Piémont : « Il y a d’ailleurs treize enseignes des Suisses ; ils vous feront mieux prouesse que nous qui sommes vos subjects, et vous envoyeront les noms de tous leurs hommes pour les envoyer aux Cantons, afin que s’il y en a quelqu’un qui ne fasse son devoir, il soit dégradé des armes ».

    A peine monté sur le trône, Henri II, pour se concilier l’amitié des Cantons, les pria d’être les parrains d’une fille que la reine venait de mettre au monde. L’ambassadeur du canton de Zurich porta la princesse à l’église, et celui de Schwitz eut l’honneur de l’en ramener. A la suite de cette cérémonie, les traités d’alliance furent renouvelés, et il y fut spécifié, entre autres conditions, qu’à l’avenir les levées ne pourraient être au dessous de six mille soldats, ni au dessus de seize mille, à moins que le roi ne se mît lui-même à la tête des troupes. Ces clauses furent observées jusqu’au milieu du dix-septième siècle, époque à laquelle les Cantons s’engagèrent à fournir le nombre d’hommes qui leur seraient demandés.

    Le roi commença par enrôler douze mille Suisses, qui firent la campagne des Évêchés et celle du Piémont, sous les ordres de Guillaume Frœlich, de qui le duc de Guise disait : « Petit de corps, mais gros de cœur » ; il combattit même dans leurs rangs à la bataille de Renty, et, après l’action, il fut si satisfait de la conduite de ses alliés, qu’il nomma chevaliers de ses ordres leur général, deux colonels et plusieurs capitaines.

    L’historien La Popelinière, en parlant de cette bataille, dit que le connétable de Montmorenci retira devers Renty le bataillon des Suisses, lesquels, suivant leur ancienne coutume, envoyèrent demander au roi la gendarmerie pour les soutenir.  Les Suisses avaient conçu une telle idée de la gendarmerie française à la journée de Marignan, qu’après le traité de 1516, lorsqu’ils furent rentrés dans les rangs de nos armées, ils ne voulurent plus marcher au combat ni monter à l’assaut, sans être appuyés par elle. En sorte que durant la période des guerres de François Ier à Henri IV, les gendarmes et les Suisses formèrent presque toujours brigade ensemble.

    Mais le roi leur dit pour réponse que lui-même vouloit vivre et mourir avec eux, et qu’il s’assuroit tant de leur promesse et bonne volonté, qu’il délibéroit ne point les abandonner, résolu de leur montrer que tant en pleine vie que sur le pas de la mort, si elle se présentoit, il les honoreroit comme ses parrains et fidèles alliés de luy et de son royaume.

    Sous ce même roi, les Suisses furent chargés presque exclusivement de soutenir l’honneur militaire de la France dans le Piémont. La prise de Casal, de Volpiano, de Monte-Calvo, la longue défense de Sienne, sous les ordres de Montluc, les couvrirent de gloire. Il est vrai que dans cette dernière circonstance, au dire de Montluc lui-même, les dames siennoises, divisées en compagnies, vinrent les encourager et prendre part aux travaux du siège. On n’est plus surpris après cela qu’ils l’aient fait durer plus de dix mois.

    Dans les guerres de religion qui désolèrent si longtemps la France, les Suisses furent les plus fermes soutiens de la monarchie.

    Nous les verrons, au siège de Rouen, élargir la brèche par laquelle le roi, la reine mère et le parlement entrent dans la ville ; à la bataille de Dreux, assurer la victoire, qui eût échappé à l’armée royale sans leur héroïsme ; sur la route de Meaux à Paris, ils feront un rempart de leur corps à Charles IX et à toute la cour, en les plaçant au milieu d’un bataillon carré que les efforts de la cavalerie protestante ne parviendront pas à enfoncer ; à Saint-Denis, à Jarnac, à Montcontour, partout enfin ils se montreront intrépides. Au combat d’Arques, ils protégeront l’artillerie de Henri IV, et à Ivry, où ils seront dans les deux camps, le généreux Béarnais respectera la retraite de ceux de Mayenne pour rendre hommage à leur bravoure.

    Remarquons en passant qu’à l’époque où les Suisses se trouvaient à la fois dans le parti catholique et le parti protestant, il n’y avait que les premiers, ceux de l’armée royale, qui servissent en vertu de capitulations et fussent avoués par les cantons.

    Tels ont été les Suisses depuis le milieu du quinzième siècle, tels aussi nous les retrouverons plus tard, braves, dévoués, infatigables, réunissant, en un mot, toutes les qualités qui font l’homme de guerre.

    Selon nous, on ne s’est pas suffisamment pénétré en France de l’importance des services que les Suisses nous ont rendus. On n’a voulu voir en eux que des mercenaires mettant leur sang à l’enchère, et rien de plus. C’est une erreur. Des mercenaires n’auraient pas eu le dévouement qu’ils ont si souvent montré. Sans doute, ils ont quelquefois eu le tort, si c’en est un, de tenir à être régulièrement payés, et leur exigence à cet égard a donné lieu à un proverbe connu. Montluc même, qui les appréciait, les a sévèrement condamnés. « Les Suisses servent bien, dit-il ; mais il ne faut pas que l’argent manque, car ils ne se paient pas de paroles ».

    Faut-il donc s’en étonner ? Ne sait-on pas qu’ils n’avaient point, comme les troupes nationales, ni comme les autres troupes étrangères liées au service de la France, la ressource de la maraude pour compenser l’absence ou l’insuffisance de la solde ? Chez eux, le vol d’une poule était puni de mort, et l’on peut croire que s’ils se fussent montrés plus désintéressés, ce n’eût été qu’aux dépens de la discipline.

    A tout prendre, les rois de France n’eurent pas à regretter les sacrifices que ces troupes leur coûtèrent. S’ils répandirent quelques largesses sur elles, celles-ci, en plus d’une occasion, versèrent leur sang pour eux, et, en fin de compte, les rois de France savaient bien qu’ils ne perdaient pas à cet échange. Aussi n’était-il point de petits privilèges qu’ils ne leur accordassent, jusqu’à celui de faire établir boutique par leurs vivandières partout où les Suisses étaient en garnison, « pour fournir à eux seulement toutes les choses nécessaires, sans qu’aucuns magistrats ni officiers majors de places les en puissent empêcher ».

    Ils ne négligeaient rien non plus pour les retenir sous les drapeaux français, et leur faire oublier leur patrie. De là, cet emploi d’un bouffon par compagnie, d’un loustic, dont le nom, emprunté à la langue allemande, est resté dans la nôtre ; de là, l’institution de différents jeux gymnastiques ; de là, ces danses armées qui avaient quelques rapports avec celles de la Grèce antique ; de là, enfin l’interdiction aux musiques militaires de jouer le Ranz des vaches, dont la rude harmonie rappelait aux enfants de la Suisse leurs villages, leurs troupeaux et leurs montagnes.

    D’ailleurs, il faut rendre justice aux Suisses : ils furent les véritables créateurs de l’infanterie, ils servirent de modèles à toutes les nations de l’Europe par leur instruction militaire, et depuis le camp du Pont-de-1′Arche jusqu’au camp d’Ivry, ils donnèrent aux troupes françaises des leçons et des exemples auxquels celles-ci durent plus d’une victoire.

    « La principale force de leur infanterie, dit Zurlauben, consistait dans sa manière de combattre, rangée en trois bataillons de trois et quatre mille hommes, et dans la longueur de ses piques de dix-huit pieds dont elle se couvrait en campagne, formant ce qui s’appelait le hérisson, en sorte que son ordonnance était une citadelle mobile où la gendarmerie française même faisait brèche avec peine. Cette infanterie était dans une armée, ce que sont les os dans le corps humain. Elle était souhaitée, dans les troupes françaises, non seulement pour sa bravoure et pour sa discipline, mais aussi pour sa patience, qui ne se décourageait jamais ».

    Brantôme, qui n’avait pas les raisons de Zurlauben pour s’ériger en admirateur de ces troupes, ne dit-il pas quelque part : « J’ai veu en nos armées, quand nous avions un gros de Suisses, nous nous estimions invincibles, ce nous sembloit ».

    Ces piques redoutables dont il est question à chaque page de leur histoire étaient en effet leur arme principale. Ils portaient encore l’espadon attaché derrière le dos et une épée à la ceinture ; le plus petit nombre se servait de l’arme à feu. En général, à la fin du seizième siècle, ils avaient encore le costume et l’armure qu’on leur avait vus à Granson, la pique et le sabre, les chausses bouffantes et les toques à plumes.

    Donnons un aperçu des principales levées de troupes faites dans les cantons durant cette période :

    Depuis la première capitulation de 1480 jusqu’à 1524, cinquante-quatre mille Suisses servent successivement en France. Dix mille autres, appelés en 1526, demeurent au service de François Ier jusqu’en 1536. Ils forment trois régiments sous le commandement de Claude de Savoie, comte de Tende. Jacques de Rovereaz était colonel d’un de ces régiments.

    De 1537 à 1543, quarante mille Suisses, sous les ordres des colonels Jean Juncker. Henri Kaldshmidt, Jérôme de Lutlernaw, Antoine de Salis, Saint-Julien, se trouvent aux armées du Roussillon, de Picardie et en Italie.

    Le comte de Gruyères conduit, en 1543, cinq mille Gruyériens à l’armée d’Italie. Le colonel Furly amène trois mille Suisses à la même armée l’année suivante. Tous les Suisses appelés depuis au service de France furent enrégimentés.

    Les colonels Jérôme de Lutternaw, de Soleure, et Guillaume Frœlich lèvent chacun un régiment, en 1551, pour servir en Piémont. Ces corps passent en Picardie en 1553 et sont congédiés le 21 septembre de cette année.

    Le colonel Nicolas Irmi, de Bâle, lève un régiment, en 1552, pour l’expédition de Lorraine. Ce régiment passe en Picardie et est congédié le même jour que les précédents.

    Le colonel Inder Halden amène, en 1554, à l’armée de Picardie, un corps suisse qui porte le titre de régiment des Cantons. Il est congédié la même année.

    Enfin à ces régiments s’ajoutent ceux des colonels Hug, Van Pro d’Uri, Hohen Sax, Schawenstein, en 1557 ; Tschudy, Guillaume Frœlich, en 1562 : sièges de Bourges et de Rouen, défense de Paris, bataille de Dreux, siéges d’Orléans et du Havre ; de Louis Pfiffer, levé le 21 juillet 1567 : Meaux, célèbre marche sur Paris, bataille de Saint-Denis ; prend le nom de garde suisse du roi, combat à Jarnac, à La Roche-Abeille, à Montcontour, au siège de Saint-Jean-d’Angely , est congédié en 1576. Ceux de Craffo, Schorno, Heid, qui prend part au siège de La Rochelle, 1573 ; Tammann, Tugginer, Inder Halden, Pettermann, Zurmatten, Frœlich, Tanner, Gaspard Galatti, en 1580 : Barricades de Paris, en 1588 ; défense de Tours, siége de Paris et combat d’Arques, en 1589 ; congédié cette année, sauf la compagnie colonelle pour la garde du roi. Reding, Krepsinger, Schawenstein, grison, levé en 1589 : Bataille d’Ivry ; Erlach, Fischer, Arregger, Grissach et Praromann.

    Indépendamment du régiment de Glaris, dont Galatti était colonel, Henri IV reçut, pour appuyer ses droits à la couronne de France, trois régiments des cantons de Zurich, Berne et Bâle, commandés par Rischer, Tillemann et Rychener.

    A l’exception des Cent-Suisses, la paix de Vervins fit congédier toutes ces troupes. Quatre ans plus tard, le roi conclut un traité avec les cantons pour toute la durée de son règne et de celui de son successeur. Enfin les Suisses s’apprêtaient à seconder les vues de Henri IV, qui projetait l’abaissement de la maison d’Autriche, au moment où il tomba sous le poignard d’un assassin.

    Terminons en disant qu’à cette époque les régiments suisses n’étaient engagés que pour un nombre d’années déterminé, ordinairement quatre ans. Ce temps écoulé, les comptes étaient réglés. Le colonel recevait un collier d’or en témoignage de satisfaction et le régiment retournait dans les cantons, remplacé par un autre si besoin était.

    Le régiment des gardes suisses fut le premier attaché d’une manière permanente au service de la France.

     

    Compagnie des Cent-Suisses.

    Lorsque Louis XI congédia, en 1481, les Suisses qu’il avait fait venir au Pont-de-1′Arche, il eut soin d’en garder cent qu’il attacha à sa personne avec le titre de gardes du corps. La compagnie n’était alors commandée que par des officiers suisses. Le premier était un lieutenant ; le second, un enseigne ; le troisième, un vice-lieutenant. Les gardes reçurent d’abord douze livres par mois de solde, deux habits des couleurs du roi par an et les plumes.

    Charles VIII en fit sa garde ordinaire sous le nom de cent hommes de guerre suisses, et fit expédier des provisions de capitaine surintendant de cette compagnie à un officier français, Louis de Menton, sieur de Lornay, le 27 février 1496. Leur office consistait à précéder le roi lorsqu’il sortait.

    A son retour de Naples, le roi leur donna le pourpoint de soie bleue à ses armes, façonné, ainsi que le reste du vêtement, à l’espagnole, galonné d’or et accompagné de la fraise les jours de cérémonies.

    C’était un corps privilégié, armé, suivant les époques, de hallebardes ou de pertuisanes, de cannes à pomme d’argent ou d’une épée longue et droite. En temps de guerre, ils portaient le hallecret, corselet de fer plus léger que la cuirasse, qui couvrait la poitrine et les épaules.

    Leur étendard représentait saint Michel terrassant un dragon, et, au milieu, un soleil resplendissant de rayons d’or ; le tout se complétant d’une façon bizarre par l’image d’un porc-épic couronné.

    Catherine de Médicis ajouta, pour la sûreté de Charles IX, deux compagnies de trois cents hommes chacune à la compagnie qui existait déjà ; mais elles ne tardèrent pas à être licenciées.

    A la formation de la compagnie des Cent-Suisses, le capitaine seul était Français. Mais c’était pour cet officier une charge très embarrassante. Souvent il ne savait pas l’allemand que parlaient les Suisses, et les Suisses ne savaient jamais le français que parlait leur capitaine. De sorte qu’ils ne pouvaient parvenir à s’entendre.

    Cela dura cependant jusqu’en 1577. Mais, à cette époque, Charles-Robert de La Marck, qui avait la compagnie, fut bien aise de pouvoir faire exécuter ses ordres par ses soldats. Il n’imagina rien de mieux, pour en être compris, que d’avoir un interprète. Ce fut son domestique, un nommé Destivaux, qu’il revêtit de ses fonctions. Il paraît que Destivaux s’en acquitta à merveille, car le capitaine le récompensa six ans plus tard en le nommant vice-lieutenant.

    Cette nomination souleva les protestations de la compagnie, qui se plaignit au roi, non pas parce que le nouvel officier avait été domestique, mais parce qu’il était Français et que l’emploi devait revenir à quelqu’un des Cantons. Par bonheur pour le protégé de Robert de La Marck, Henri III était alors occupé à se faire nommer chef de la Ligue, et sa nomination lui fit oublier celle de Destivaux. A quelque temps de là, il fut même le premier à accorder une faveur de ce genre au sieur Pardaillan, et, dans la crainte que le capitaine ne consentît point à le recevoir, il lui écrivit : « Comte, je le veux, car je l’aime ». Dès ce moment, l’abus fut consacré, et il y eut par la suite, dans chaque grade, moitié Français, moitié Suisses.

    La compagnie des Cent-Suisses fut presque toujours considérée comme un corps de parade plutôt que comme un corps militaire. Il est plus juste de dire qu’elle était à la fois l’un et l’autre, d’accord avec le titre qui lui fut donné à son origine, comme le prouve d’ailleurs le règlement de 1585, signé de Henri III.

     

    Gardes Suisses.

    On sait qu’en 1567 Charles IX échappa aux poursuites du prince de Condé et de l’amiral Coligny, grâce à l’héroïque fermeté des Suisses de Pfiffer, qui placèrent le roi et la cour au milieu d’eux et les conduisirent ainsi de Meaux à Paris. A peine rentré au Louvre, Charles ne put s’empêcher de s’écrier : « Sans mes bons compères, ma vie et ma liberté étoient en grand branle ! » puis, tout pénétré de reconnaissance, il attacha immédiatement le régiment de Pfiffer à sa personne et lui donna le titre de gardes suisses du Roy. Ce corps ne fut pas longtemps maintenu sur pied.

    Henri IV, satisfait de la belle conduite du régiment de Glaris au combat d’Arques, le récompensa, en 1589, comme Charles IX avait fait du régiment de Pfiffer. De Galatti en fut nommé colonel ; mais le traité de Vervins, en 1598, n’en fit conserver que trois compagnies. Ce fut seulement en 1616 qu’il prit le nom de régiment des gardes suisses et fut définitivement organisé.

     

    Nous reviendrons sur ce corps et sur la compagnie des Cent-Suisses. L’un et l’autre occuperont, jusqu’en 1792, une place importante dans notre histoire militaire.

     

    Suite …

     

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