D’après la monographie « Histoire des troupes étrangères au service de la France »
Eugène Fieffé – 1854
Des premiers temps de la monarchie à la mort de Henri IV
Les Anglais, Écossais, Irlandais.
On sait qu’un roi de France avait eu, au neuvième siècle, une garde écossaise. Suivant une plainte manuscrite, intitulée Remontrances des Ecossais, saint Louis, lors de son voyage en Terre-Sainte, voulut que vingt-quatre gentilshommes de cette nation eussent la garde de son corps jour et nuit. On les appela archers du corps. Ces gardes peuvent être considérés comme les véritables successeurs de ceux que Charles le Gros avait institués pour remplir les mêmes fonctions auprès de sa personne. A ces vingt-quatre gentilshommes, Charles V ajouta soixante-quinze archers pour la garde du logis et pour les corvées, vedettes et sentinelles. Seulement il eut soin d’accorder aux premiers des prérogatives particulières, telles que « d’assister à la messe, sermon, vêpres et repas ordinaire du roi de France, un à chaque côté de sa chaise » : c’est pourquoi ils furent nommés gardes de la manche.
Charles VI maintint cette institution avec plus de raison qu’il n’en fallait pour la justifier. Les dissensions qui lui avaient arraché plus de la moitié de son royaume, ainsi que l’inconstance et la foi douteuse des nobles qui paraissaient encore ralliés à sa cause, rendaient impolitique et peu sûr de confier sa personne à leur garde. La nation écossaise était l’ennemie héréditaire de l’Angleterre. C’était l’ancienne amie et, à ce qu’il semblait, l’alliée naturelle de la France. Les Écossais étaient pauvres, courageux, fidèles. La population surabondante de leur pays, qui envoyait au dehors plus de hardis aventuriers qu’aucune autre contrée de l’Europe, donnait la certitude de recruter aisément leurs rangs. En outre, leurs hautes prétentions à la noblesse étaient une sorte de titre pour approcher de la personne d’un monarque plus près qu’une autre troupe, en même temps que la petitesse comparative de leur nombre empêchait qu’ils ne pussent se mutiner et s’ériger en maîtres là où ils devaient obéir.
A l’époque où la France fut envahie par les troupes anglaises, les Écossais vinrent, au nombre de sept mille, sous la conduite de Jean Stuart, comte de Boucan, fils du duc d’Albanie, et de Douglas, aider le dauphin Charles à les chasser et à raffermir le trône ébranlé de son père. La bataille se livra en 1421, près de Beaugé, en Anjou, et la victoire resta aux Français. Devenu roi, Charles VII, en souvenir du service que le comte de Boucan avait rendu à la couronne, le nomma connétable l’année suivante, et, afin de donner aussi un témoignage de sa reconnaissance à la nation qui l’avait servi avec un si rare dévouement, il ne tarda pas à créer la compagnie des gens d’armes écossais. En outre, il ajouta aux vingt-quatre gardes de la manche, un premier homme d’armes qui fut leur chef et prit le titre de premier homme d’armes de France. Il donna en même temps le commandement de la compagnie écossaise à Robert de Patilhoc, qu’on appela par la suite le petit roi de Gascogne.
C’était une politique des rois de France de s’assurer l’affection de cette troupe choisie d’étrangers par des privilèges honorifiques et une solde élevée, que le dernier d’entre eux dépensait avec une profusion toute militaire, afin de soutenir le rang qu’il s’arrogeait. Chacun d’eux avait le grade et les honneurs d’un gentilhomme, et leurs fonctions, qui les tenaient près de la personne du roi, relevaient leur dignité à leurs propres yeux, en même temps qu’elles leur donnaient une grande importance aux yeux du peuple. Ils étaient somptueusement armés, équipés et montés, et chacun d’eux avait le droit d’entretenir un écuyer, un valet, un page et deux serviteurs, l’un desquels était appelé le coutelier, du grand coutelas qu’il portait pour dépêcher ceux que son maître avait renversés dans la mêlée.
Avec tous ses suivants, et un équipage à l’avenant, un archer de la garde écossaise était réellement une personne de qualité et d’importance, et, les places vacantes étant généralement données à ceux qui avaient déjà servi comme pages ou valets, on envoyait souvent les cadets des meilleures familles d’Ecosse servir sous quelque ami ou sous quelque parent, jusqu’à ce qu’une chance d’avancement se présentât.
Mais Charles VII ne se contenta pas de cette compagnie. Il en créa une toute française, et Louis XI une seconde. Louis XII accorda, au contraire, des lettres de naturalité à toute la nation écossaise.
De son temps, les vingt-cinq gardes de la manche étaient armés de « brigandines, gorgery, salades chargées d’orfèvrerie la plupart, garde-bras avec acier, arcz, trousses, poignard, espée, dague, et leurs hocquetons d’orfèvrerie moult riches ». Ils portaient des savons blancs avec une couronne au milieu de la pièce. C’étaient, dit Marot, des hommes d’une tournure martiale et d’une haute stature qui firent l’admiration des dames italiennes, lors de l’entrée du roi à Milan.
François Ier créa une troisième compagnie française. Toutefois, en considération de son ancienneté, la compagnie écossaise eut toujours la droite sur les trois autres, comme elle eut aussi les plus grands privilèges et les plus importantes fonctions, « à savoir : la garde des clefs du logis du roi au soir, la garde du chœur de l’église, la garde des bateaux quand le roi passe les rivières, l’honneur pour les gardes de porter à leurs armes la crépine de soie blanche, qui est la couleur coronale en France ; les clefs de toutes les villes où le roi fait son entrée, données à leur capitaine en quartier ou hors de quartier ; le privilège qu’il a, étant hors du quartier, aux cérémonies comme aux sacres, mariages et funérailles des rois, baptêmes ou mariages de leurs enfants, et que cette compagnie, par la mort ou changement de capitaine, ne change jamais de rang, comme le font les autres compagnies ».
Ajoutons, pour mieux définir ces fonctions et ces privilèges, que les Écossais devaient sans cesse accompagner le roi et veiller sur lui aux offices divins, à table et dans les grandes cérémonies. Dans ce dernier cas, ils servaient au nombre de six. Mais dans toutes les autres circonstances, ils faisaient leur service deux à deux pendant la durée d’un mois. Quand le roi mourait, ils étaient chargés de mettre son corps dans le cercueil et de déposer ensuite le cercueil au lieu qui lui était destiné.
Dans les cérémonies, ils étaient armés d’une pertuisane dont le bois était étoilé de clous d’or et le haut frangé ; ils portaient sur leur justaucorps un hoqueton ou corselet à fond blanc.
La compagnie écossaise se montra toujours digne de sa réputation de bravoure et de fidélité.
Au siège de Pontoise, en 1441, les Écossais montèrent à l’assaut sous les yeux du roi. A la bataille de Montlhéry, les gardes de cette nation qui n’avaient pas succombé en défendant Louis XI, se groupèrent autour de ce prince, dont le cheval venait d’être tué, et le portèrent dans leurs bras depuis le camp jusqu’à la ville. Ils donnèrent à ce monarque de nouvelles preuves de leur dévouement sous les murs de Liège.
A Fornoue, à Agnadel, à Ravennes et à Pavie, les Écossais se signalèrent par la même bravoure et le même dévouement. Ce sont eux qui sauvèrent Henri IV lorsqu’il tomba au milieu de l’avant-garde des ennemis en allant reconnaître l’armée du duc de Parme. Ce sont eux enfin qui arrêtèrent le poignard des seize, sans cesse levé sur lui. Aussi Henri IV entra-t-il dans sa bonne ville de Paris entouré de ces braves gens. Ils étaient également à ses côtés lorsqu’il vint pour la première fois frapper à la porte de la basilique de Saint-Denis et demander à l’archevêque de Bourges de le recevoir dans le giron de l’Église catholique, apostolique et romaine. Ils y étaient encore le jour où il fut sacré et couronné à Chartres, le 27 février 1594.
La compagnie écossaise, qui, dans l’origine, n’était composée que de gentilshommes de cette nation, ne fut plus dans la suite écossaise que de nom. Un prince ou un grand officier de la couronne en eut le commandement et les places de gardes ne se donnèrent qu’à des Français. Mais, pour consacrer le souvenir de la fidélité des Écossais, elle conserva la préséance sur les autres compagnies et adopta l’usage de répondre en écossais à l’appel du guet, par le mot « hamir » (I’m here) qui veut dire me voilà !
Enfin, le capitaine était le premier capitaine des gardes du corps. Il commençait toujours l’année et servait le premier quartier. C’était lui qui, au sacre du roi, se tenait le plus près de sa personne, et, la cérémonie achevée, la robe lui appartenait. Cette compagnie fut supprimée comme toutes celles des gardes du corps en 1791. Rétablie en 1814, elle ne fut écossaise que de nom.
On n’a pas oublié que Charles VII créa une compagnie de gens d’armes écossais. Au quinzième siècle, le gendarme avait plus d’un point de ressemblance avec celui de nos jours. Seulement, il fallait qu’il fût de race noble pour avoir le droit de donner sa vie pour le salut du roi et de l’État. Aujourd’hui, c’est son courage, son dévouement et son abnégation qui font ses titres de noblesse.
Du reste, le gendarme ou homme d’armes était un cavalier armé de toutes pièces. C’était principalement à son armure et à celle de son cheval qu’on le distinguait de tout autre cavalier ou archer qui n’était armé qu’à la légère.
Ce fut afin d’assurer la tranquillité de son royaume, où il avait eu tant de peine à l’établir, qu’en 1445 le roi Charles organisa sa gendarmerie en quinze compagnies, qui conservèrent le nom de compagnies des ordonnances. La première était celle des gendarmes écossais. Chaque compagnie était composée de cent lances ou hommes d’armes, et chaque homme d’armes était accompagné de cinq cavaliers comme les archers de la garde écossaise. Cette réunion de gens de guerre s’appelait une lance fournie.
La compagnie des gendarmes écossais fut d’abord exclusivement composée de gentilshommes. Les valets eux-mêmes étaient des jeunes gens de quinze à dix-sept ans, qui faisaient là leur apprentissage, comme plus tard les cadets. L’organisation primitive en fut maintenue pendant près d’un siècle. Sous Louis XII seulement la lance fournie s’éleva jusqu’à huit hommes, au lieu de six. Ce roi rendit, le 20 janvier 1514, une ordonnance qui eut principalement pour but de régler la police et la moralité de ces gendarmes.
Les gendarmes écossais eurent constamment le pas sur la gendarmerie française, et furent longtemps commandés par les fils des rois d’Écosse.
Les rois de France avaient eu si souvent l’occasion d’apprécier la valeur des Anglais, des Écossais et des Irlandais, qu’ils avaient regardé comme une justice d’admettre les trois provinces de la Grande-Bretagne à l’honneur de leur fournir des troupes.
En 1553, quatre enseignes écossaises et deux enseignes anglaises obéissent à un officier du nom de Glaney et font partie de l’armée de Picardie. A la paix de Cateau-Cambresis, qui suivit le mariage du dauphin avec Marie-Stuart, on conserva sur pied deux compagnies d’Écossais, qui firent partie de la garde du roi. Ces compagnies furent versées, en 1561, dans le régiment de Richelieu.
On verra les régiments anglais jouer un rôle important un siècle plus tard, et les régiments écossais et irlandais figurer parmi les corps étrangers au service de France jusqu’à la dernière heure de la monarchie.