La bataille de Saint-Privat – Gravelotte
D’après « Histoire de la guerre de 1870-1871 et des origines de la troisième République »
Paul Bondois – 1893
La journée du 17, occupée uniquement à choisir des positions, avait profité aux Prussiens. Les deux armées allemandes avaient jeté au nord de Mars-la-Tour huit corps d’armée, soit cent quatre-vingt-mille fantassins, vingt-cinq mille chevaux, sept cents canons.
Au lieu de se lancer à la poursuite des Français, dès le lendemain de la balaille du 16, ils avaient continué systématiquement et sans désordre leur mouvement tournant pour occuper la route de Briey et se porter sur Sainte-Marie-aux-Chênes, au delà de Saint-Privat-la-Montagne.
L’inaction du maréchal Bazaine leur permit de continuer leur marche jusqu’à midi, dans la journée du 18, et lorsqu’ils attaquèrent les positions françaises, de Gravelotte à Roncourt, l’armée du Rhin n’avait plus simplement à tenir ouverte sa dernière issue, mais à la rouvrir au milieu d’une masse d’hommes d’une profondeur inouïe.
Le maréchal Bazaine ne croyait pas à une attaque sérieuse. Pendant toute la journée, il resta au quartier général, au fort de Plappeville, sans assister à la bataille. Il n’admettait pas que les Prussiens pussent jeter si rapidement à son extrême droite des forces suffisantes pour obstruer la route de Montmédy au nord. En effet, dès midi, l’effort des Prussiens avait aussi porté au sud sur Gravelotte et Rozerieulles, et les corps de Frossard et de Le Boeuf avaient résisté victorieusement.
Mais le maréchal de Moltke s’établit avec le roi à Sainte-Marie-aux-Chênes, et, concentra toute son énergie sur la position de Saint-Privat-la-Montagne, défendue par le maréchal Canrobert. Là, pendant deux heures, de cinq à sept heures du soir, le maréchal repoussa les attaques les plus furieuses des Allemands, les culbutant au bas de la colline qu’il occupait, décimant, sous les yeux mêmes de Guillaume, l’un des régiments de la garde prussienne, celui de la reine, commandant à pied, aux premières lignes de ses soldats, et forçant M. de Moltke lui-même à se mettre à la tête des fusiliers poméraniens, pour empêcher une panique provoquée par la déroute d’une partie de sa cavalerie.
Le maréchal espérait toujours le secours de la garde impériale, restée en réserve, et le général Bourbaki, inquiet de ne pas recevoir d’ordres, était étonné de l’inaction où il était retenu. Mais Bazaine refusait de l’envoyer sur Saint-Privat, et continuait à ne pas considérer l’affaire comme sérieuse.
Or, à sept heures, le maréchal de Moltke, inquiet des conséquences que pouvait entraîner la résistance obstinée de Canrobert, avait réuni quatre-vingt-dix mille hommes sur Saint-Privat, et amené, par une longue marche tournante le 12e corps (Saxons) à Roncourt, au nord-est de la position occupée par le 6e corps français. Deux cent quarante canons ouvrirent immédiatement un feu terrible sur les vingt-cinq mille héroïques soldats, qui, depuis deux heures, supportaient le principal effort du mouvement ennemi.
Comme il arriva si souvent dans cette malheureuse guerre, les munitions manquèrent au 6e corps. Le maréchal Canrobert resta cependant à son poste, et lorsque les Saxons se présentèrent au nord-est, combinant leur attaque décisive avec celle des Prussiens, ils durent livrer un combat terrible pour s’emparer de Saint-Privat. Alors le maréchal fut obligé de battre en retraite, entraînant avec lui le corps de Ladmirault.
Bazaine prévenu, ne put retenir l’expression de son étonnement. A la place d’une bataille d’avant-garde, il avait éprouvé une défaite définitive. Il n’en pouvait croire les rapports ; il donna l’ordre à la brigade Picard, de la garde impériale, de se porter en avant.
Mais il était trop tard. Le mouvement enfin ordonné ne put qu’empêcher les Prussiens de dépasser Amanvillers. Ils avaient d’ailleurs perdu vingt mille hommes ; les Français dix-huit mille, dont deux mille prisonniers à cette bataille de Saint-Privat ou de Gravelotte.
Mais rien n’empêchait plus le maréchal de Moltke de porter son extrême gauche sur les Maxes, jusqu’à la Moselle, et, par Mey, Borny, Montigny, Amanvilliers, Saint-Privat d’interposer un cercle de deux cent cinquante mille hommes entre la seule armée organisée de la France et le reste du pays.
Cette conclusion des batailles sous Metz devait avoir cet autre résultat désastreux, c’est que Mac-Mahon restait exposé à l’armée victorieuse du Prince royal, désormais débarrassé de toute inquiétude du côté de Bazaine.