D’après « Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer »
C. Mullié
Claude Perrin, duc de Bellune, dit le maréchal Victor, né le 7 décembre 1764 à Lamarche (Vosges), entra au service comme soldat dans le 4e régiment d’artillerie le 16 octobre 1781. Il y demeura jusqu’au 1er mars 1791, époque à laquelle il obtint son congé absolu, moyennant la somme fixée par les ordonnances, et s’établit à Valence (Drôme).
Il fit partie de la Garde nationale de cette ville comme grenadier, et, le 21 février 1792, il fut nommé adjudant sous-officier par le 3e bataillon des volontaires de la Drôme, dans lequel il servit en cette qualité jusqu’au 4 août, époque de sa promotion au grade d’adjudant-major capitaine dans le 5e bataillon des Bouches-du-Rhône. Chef de bataillon au même corps le 15 septembre suivant, il alla rejoindre l’armée d’Italie, avec laquelle il fit les campagnes de 1792 et 1793. Il était avec son bataillon fort de 600 hommes environ au village de Coaraza, dans le comté de Nice, lorsque 3 000 Piémontais et un régiment d’émigrés vinrent l’attaquer avec fureur. Il se défendit courageusement, et, à la suite d’un combat de plusieurs heures, il força l’ennemi de se retirer après avoir éprouvé des pertes considérables. Ce fait d’armes remarquable fut mis à l’ordre de l’armée.
Après ces deux campagnes, Victor fut envoyé au siège de Toulon, où, à son arrivée, on lui donna le commandement d’un bataillon de chasseurs à la tête duquel il rendit d’importants services. Dans la nuit du 10 au 11 frimaire an II, avec 800 hommes, il enleva les redoutes et les retranchements qui couronnent la montagne du Pharon et passa au fil de l’épée la plus grande partie des troupes qui les défendaient. Le 11, il soutint avec succès un combat de six heures contre 6 000 hommes, et, malgré son infériorité numérique, il conserva le poste qui lui avait été confié.
Sa conduite dans cette journée fut appréciée par les représentants du peuple Salicetti et Gasparin, qui le nommèrent adjudant-général chef de brigade sur le champ de bataille. Il fut immédiatement chargé du commandement des troupes formant la division de droite de l’armée de siège, et ce fut lui qui prépara et disposa l’attaque de la fameuse redoute anglaise l’Eguillette, dite le Petit-Gibraltar. Il marcha à la tête des grenadiers le 28 frimaire an II, y pénétra avec eux et s’en rendit maître quoique blessé grièvement de deux coups de feu. La prise de ce poste important, défendu avec la plus grande intrépidité par les Anglais, contribua beaucoup à celle de Toulon. Après la reddition de cette place, les représentants Salicetti, Barras, Fréron et Ricord, le nommèrent provisoirement général de brigade, par arrêté du 30 du même mois. A peine guéri de ses blessures, il fut employé à l’armée des Pyrénées-Orientales, où il fit les guerres des ans II et III.
Chargé d’une fausse attaque sur Espolla, par le col de Bagnols, le 27 brumaire an III, il la dirigea avec une grande habileté et concourut à la prise des retranchements de cette place et de ceux de Saint-Clément. Il assista aux sièges et aux diverses attaques du fort Saint-Elme et de Collioure, et fut ensuite chargé de la surveillance des travaux à faire à ces deux places, de l’établissement des batteries des côtes et de la garde des frontières d’Espolla et de Roses. Il commandait une brigade au siège de cette dernière ville, et se trouva à sa capitulation le 13 nivôse an III.
Confirmé dans son grade de général de brigade, par arrêté du gouvernement du 25 prairial de la même année, il passa à l’armée d’Italie en l’an IV et y fit la guerre jusqu’en l’an IX.
Le 10 vendémiaire an IV, l’avant-garde ennemie avait pris position sur un mamelon, en face de Borghetto, et avait commencé à s’y retrancher pour y élever des batteries de gros calibre. Le général Masséna, qui s’en était aperçu, ordonna au général Victor, commandant la 1ère subdivision de droite, de chasser l’ennemi de ses positions et de détruire ses ouvrages. Dans la nuit du 10 au 11, Victor fit entourer le mamelon par deux colonnes, tandis que 100 grenadiers et 200 chasseurs, placés en observation, devaient empêcher les secours d’arriver. Le mamelon fut enlevé, nos soldats sautèrent dans les retranchements et tuèrent tout ce qui s’y trouvait. Quelques hommes seulement se sauvèrent à la faveur de la nuit. Les retranchements furent abattus, et on ramena quelques prisonniers.
Les 1er, 2 et 3 frimaire suivant, il contribua à la défaite des Autrichiens et des Piémontais à Loano et sur le Tanaro ; le 25 germinal, à celle du général Provéra, au château de Cossaria, et le 27 du même mois, à la déroute du général Wukassowick à Dégo.
Le 19 thermidor, au combat de Peschiéra, le général Victor, à la tête de la 18e demi-brigade, culbuta l’ennemi sur tous les points et lui enleva 12 pièces de canon.
Le 18 fructidor an IV, au combat de San-Marco, avec la même demi-brigade, il perça la ligne ennemie par le grand chemin ; la résistance fut longue et opiniâtre ; pendant ce temps, le général Vaubois attaquait le camp de Mori. Après deux heures d’un combat acharné, l’ennemi plie partout ; le général Victor entre alors, au pas de charge, dans la grande rue de Roveredo, et les Autrichiens évacuent la place, en laissant grande quantité de morts et de prisonniers.
Le 25 du même mois, il fut envoyé avec sa brigade, pour compléter sur la rive droite de l’Adige l’investissement de Porto-Legnano, que le général Augereau cernait déjà sur la rive gauche et qui capitula le 27. A l’affaire qui eut lieu le 29, le général Victor culbuta les troupes qui couvraient Saint-Georges et entra dans ce faubourg pêle-mêle avec elles. Cette circonstance donna lieu à un beau fait d’armes. Un bataillon de la 18e fut chargé par deux escadrons de cavalerie autrichienne ; non seulement nos braves soldats soutinrent avec beaucoup de résolution cette charge impétueuse, mais ils poussèrent à leur tour les cavaliers avec tant de vigueur que tous ceux qui ne furent pas tués ou blessés mirent bas les armes et se rendirent prisonniers. A l’affaire de Cerea, l’armée française était vigoureusement pressée par le général Wurmser. Victor, avec un bataillon de grenadiers, rétablit le combat, dégagea l’armée, repoussa les ennemis, fit un grand nombre de prisonniers et reprit les canons qui nous avaient été enlevés.
Le 27 pluviôse an V, il partagea la gloire de l’armée et le succès qu’elle obtint à la bataille de Saint-Georges, où il fut blessé, et il contribua puissamment, à la tête des 18e et 57e demi-brigades, au gain de celle de la Favorite, où il fit mettre bas les armes à la division Provéra, forte de 7 000 hommes. Le général en chef Bonaparte, satisfait de la conduite de Victor dans ces deux actions, le nomma provisoirement général de division sur le champ de bataille, et il en rendit compte au Directoire qui confirma cette nation par son arrêté du 20 ventôse suivant.
Immédiatement après l’affaire de la Favorite, le général Victor marcha sur Bologne avec un corps de troupes que suivit bientôt une réserve de grenadiers sous les ordres du général Lannes. Il s’empara d’Imola et se porta ensuite sur le Senio où s’étaient retranchés 3 à 4 000 hommes des troupes du pape. L’engagement ne fut pas de longue durée ; les Romains furent culbutés et mis en déroute au premier choc. On leur tua 4 à 500 hommes, et on leur enleva huit drapeaux, 14 pièces de canon et plusieurs caissons chargés de munitions. L’ennemi qui s’était réfugié dans Faënza, en ouvrit les portes aux Français dès qu’ils se présentèrent. Le général Victor continua sans obstacles sa marche sur Ancône. Il parut devant cette place le 21 pluviôse an V, et s’en empara sans coup férir. On y trouva 120 bouches à feu et plus de 4 000 fusils.
Lors de l’insurrection des États de Venise, il alla se réunir au général Kiltmaine qui était à Vérone. Il se porta ensuite sur Vicence, et le 9 floréal ses troupes campèrent devant Trévise et Padoue. Lorsque l’armée se trouva réunie dans les provinces de terre ferme, Victor rétrograda sur l’Adige et prit position le long de cette rivière.
Après le traité de paix conclu à Campo-Formio, le 26 vendémiaire an VI, le général Victor rentra en France. Il fut employé à l’armée d’Angleterre le 23 nivôse, passa au commandement de la 2e division militaire (Nantes) le 27 ventôse, et retourna à l’armée d’Italie le 14 floréal de la même année.
Vers cette époque, le général Bonaparte, commandant en chef de l’armée expéditionnaire d’Orient, lui écrivait de Toulon : « Lorsque vous recevrez cette lettre, je serai à l’extrémité de la Méditerranée. Vous deviez venir avec moi, mais le gouvernement a cru vos services utiles ailleurs. Quelque part que je sois, comptez sur mon amitié, etc… ». Bonaparte tint parole. Quant au général Victor, on verra plus tard comment il sut accepter et reconnaître ses bienfaits.
Victor prit part à la conquête du Piémont, se trouva avec sa division aux batailles de Sainte-Lucie le 6 germinal an VII, de Villa-Franca le 16 du même mois, d’Alexandrie le 23 floréal, et enfin aux sanglants combats de la Trébia les 29, 30 prairial et 1er messidor de la même année, où il fut blessé. Le lendemain, 2 messidor, la division Victor défendit, avec une grande énergie, le poste de Sainte-Marguerite qui fut attaqué, le 22 vendémiaire an VIII, par les Autrichiens, et il les contraignit à se retirer après leur avoir fait éprouver des pertes considérables. Le 13 brumaire suivant, à Fossano, il balança pendant longtemps la victoire, et ne se retira du champ de bataille que sur l’ordre formel du général en chef. Il n’évacua également Valdigi, où il se maintenait avec succès, que sur l’invitation réitérée qui lui en fut faite par le même général.
Appelé le 27 ventôse au commandement d’une division de l’armée de réserve, il contribua aux succès remportés sur le Tésin et sur le Pô pendant lea mois de floréal et de prairial. Le 20 de ce dernier mois, il détermina le succès de la bataille de Montebello, et le 25, à Marengo. Placé en première ligne, il soutint pendant quatre heures les efforts de l’armée autrichienne, et contribua à la prise du village de Marengo.
Il reçut un sabre d’honneur le 17 messidor suivant. L’arrêté qui lui décerna cette récompense nationale était ainsi conçu : « Les Consuls de la République, voulant donner une preuve toute particulière de la satisfaction du peuple français au général de division Victor, commandant la gauche de l’armée à la bataille de Marengo, lequel s’est conduit avec autant de bravoure que d’intelligence, arrêtent ce qui suit : Le ministre de la guerre fera donner au général Victor uu sabre sur lequel seront inscrits ces mots : Bataille de Marengo, commandée en personne par le premier Consul. Donné par le gouvernement de la République au général Victor ».
Le 6 thermidor de la même année, il fut nommé lieutenant du général en chef de l’armée de Batavie, et exerça ces fonctions jusqu’au 21 thermidor an X, époque à laquelle il devint capitaine général de la Louisiane. Il conserva ce titre jusqu’au 17 prairial an XI, et fut alors appelé au commandement en chef de l’armée de Batavie. Compris comme légionnaire de droit dans la 5e cohorte, il fut mis en disponibilité le 3 floréal an XII, fut créé grand officier de la Légion d’Honneur le 25 prairial suivant, et nommé président du collège électoral du département de Maine-et-Loire.
Envoyé comme ministre plénipotentiaire auprès du roi de Danemark le 30 pluviôse an XIII, il reçut la décoration de grand cordon de la Légion d’Honneur le 15 ventôse de la même année.
En 1806, lors de la rupture avec la Prusse, il partit de Copenhague vers la fin de septembre pour rejoindre la grande armée, et fut nommé chef de l’état-major général du 5e corps, commandé par le général Lannes. Le 10 octobre, il était au combat de Saalfeld, et le 14, à Iéna, il reçut un biscaïen qui lui fit une contusion assez forte pour l’obliger de garder le lit pendant jours. Ce fut lui qui signa, comme fondé de pouvoirs du maréchal Lannes, la capitulation de la forteresse de Spandau le 25 du même mois, et le 26 décembre suivant, il donna de nouvelles preuves de sa bravoure.
L’Empereur ayant organisé un 10e corps d’armée le 3 janvier 1807, en confia le commandement au général Victor, qui se mit aussitôt en marche pour aller faire le siége de Colberg et de Dantzig. Mais pendant qu’il se rendait à Stettin, en voiture avec son aide-de-camp et un domestique, il fut enlevé par un parti de 25 chasseurs ennemis qui battaient le pays. Échangé presque aussitôt par les soins de l’Empereur Napoléon, il fut chargé au mois de mai du siége de Grandentz, et le 14 juin suivant, en l’absence du maréchal Bernadotte, il commanda le 1er corps de la grande armée à la bataille de Friedland. Il détermina le succès de cette journée, et pour l’en récompenser, l’Empereur rendit le décret suivant : « Napoléon, empereur des Français et roi d’Italie, voulant donner au général de division Victor un témoignage éclatant de notre satisfaction pour les services qu’il nous a rendus, et notamment à la bataille de Friedland, nous avons décrété et décrétons ce qui suit : Le général Victor est nommé maréchal de l’Empire. Donné en notre camp impérial de Kœnigsberg, le 13 juillet 1807. Signé, Napoléon ».
Chargé du gouvernement de la Prusse après la paix de Tilsit, il fut créé duc de Bellune en juillet 1808. Appelé au mois d’août suivant au commandement en chef du 1er corps destiné à opérer en Espagne, il se dirigea aussitôt sur Bayonne avec les troupes sous ses ordres. A son passage à Paris, le 22 septembre, avec une colonne du 1er corps, le préfet de la Seine, à la tête du Conseil municipal, vint à sa rencontre jusqu’à la larrière de Pantin. Après une allocution dans laquelle il énumérait les services éclatants de la grande armée, ce magistrat remit au 1er corps des couronnes d’or offertes par la ville de Paris.
Le maréchal duc de Bellune répondit en ces termes : « Monsieur le Préfet, messieurs les maires de la ville de Paris, les couronnes triomphales que vous venez d’offrir au 1er corps de la grande armée, au nom de la ville de Paris, orneront désormais ses aigles victorieuses. Les officiers, sous-officiers et soldats qui le composent ne verront jamais ces témoignages distingués de la considération et de la reconnaissance publique qu’ils ont tâché de mériter, sans se promettre de justifier le sentiment qui les a donnés. L’occasion s’en présentera bientôt, et là, comme sur les rives du Danube et de la Vistule, les soldats de la grande armée se montreront dignes de leur nom et des honneurs qu’ils reçoivent aujourd’hui. Ils acquerront, n’en doutez pas, de nouveaux droits à l’estime du grand peuple et à la bienveillance paternelle de notre auguste souverain, Napoléon le Grand. Vive l’Empereur ! ». Ce cri fut répété de toutes parts. Alors au son d’une musique brillante et au milieu des plus vives acclamations, le préfet fixa sur les aigles les couronnes d’or votées par la capitale. Les troupes entrèrent ensuite dans Paris et se rendirent au jardin de Tivoli, où un banquet leur avait été préparé.
Le 1er corps d’armée poursuivit sa marche sur Bayonne, où il arriva du 20 au 30 octobre. Il entra par brigades sur le territoire espagnol les 22, 23, 25, 27 et 29 du même mois, et se trouva entièrement réuni à Vittoria et aux environs dans les cinq premiers jours de novembre.
Les 10 et 11 de ce mois, le duc de Bellune attaqua le général Blake à Espinosa de los Monteros et le battit complètement. Les Espagnols perdirent dans cette journée plus de 20 000 hommes, tués ou faits prisonniers, tous leurs bagages, 60 pièces de canon et leurs munitions. Blake se retira dans le plus grand désordre et atteignit Reinosa dans la journée du 12, où il rallia environ 7 000 fuyards, tristes débris d’une armée forte de 50 000 hommes, dix jours auparavant.
Le 30 du même mois, le 1er corps fut chargé de l’attaque du défilé de Sommo-Sierra, qui fut emporté malgré les efforts et la vigoureuse défense de l’ennemi, qui perdit dans cette affaire toute son artillerie et un grand nombre de soldats. C’est dans cette journée qu’eut lieu la mémorable charge des lanciers polonais de la Garde impériale, qui contribuèrent puissamment à la victoire. Ce fait d’armes est l’un des plus beaux que présentent nos annales militaires.
Le 2 décembre de la même année, le duc de Bellune concourut à l’attaque de Madrid et après la prise de cette place, il se dirigea sur Tolède. Le 18 janvier 1809, il mit en déroute, près d’Uclès, l’armée du duc de l’Infantado, qui s’était portée à sa rencontre, et à laquelle il fit perdre plus de 10 000 hommes et 40 pièces de canon.
Lorsque Napoléon eut décidé l’entrée des troupes françaises en Portugal, le 1er corps fut envoyé sur les frontières de l’Estramadure. Le 15 mars, il passa le Tage à Talavera de la Reina et à Puente de l’Arzobispo. Le 16, il marcha sur l’armée de Cuesta et la rencontra, le 17, retranchée sur l’Ybor. L’ennemi fut forcé trois fois successivement dans ses diverses positions pendant la journée. La fatigue des troupes empêcha d’aller au delà du dernier champ de bataille. Le 18, la division Leval suivit les Espagnols sur Valdecannar et les y força encore. L’ennemi fut poussé de rocher en rocher jusqu’au col de Miravette, et l’armée de Cuesta, s’étant débandée, fut vivement poursuivie. Le 28, le duc de Bellune attaqua et battit complétement, près de Medelin, le général Cuesta qui était parvenu à rallier son armée. Les Espagnols laissèrent près de 10 000 hommes sur le champ de bataille et perdirent neuf drapeaux, 19 pièces de canon et 7 000 prisonniers.
Malgré ce succès décisif, le maréchal Victor ne put prendre part à l’invasion du Portugal ; l’arrivée de nombreuses troupes anglo-portugaises rendait sa présence indispensable sur la ligne de la Guadiana au Tage. Son avant-garde ayant été attaquée, le 22 juillet, en avant de Talavera de la Reina, elle dut évacuer cette position pour ne point se compromettre dans une lutte trop disproportionnée. Le 1er corps se retira donc sur Tolède et fit sa jonction, le 25, avec les troupes que le roi Joseph avait amenées à Madrid. L’armée française présentait alors sur ce point une force d’environ 40 000 hommes, tandis que celles des Anglais, des Portugais et des Espagnols réunis, sous le commandement de sir Arthur Wellesley (depuis duc de Wellington), n’étaient pas de moins de 80 000 combattants.
Le 27 juillet, à la pointe du jour, parti de Santa Olalla, le roi Joseph mit ses colonnes en mouvement. L’ennemi occupait le terrain qui s’étend depuis Talavera de la Reina jusqu’au delà des coteaux de Medelin, et qui embrasse un développement de 3 kilomètres environ. Les Français arrivèrent vers une heure sur les hauteurs de Salinas, à la gauche d’Alberche. Le 1er corps passa cette rivière à gué et surprit la division du général Mackenzie, postée à la tour de Salinas, et qui fut obligée de se replier précipitamment. L’attaque du duc de Bellune avait été si soudaine que sir Arthur Wellesley, qui se trouvait dans cette position d’où il observait les mouvements de ses adversaires, fut sur le point d’être fait prisonnier.
Le maréchal attaqua vigoureusement la colline de Medelin, clef de la position, et qui était occupée par le général Hill, mais il ne put s’en emparer malgré les efforts des divisions Ruffin et Villatte. Le lendemain 28, il renouvela ses tentatives. Le combat fut long et opiniâtre, et le succès longtemps indécis ; mais enfin, foudroyés par l’artillerie que les Anglais avaient amenée sur ce point pendant la nuit, les Français furent obligés de revenir à leur première position. Cette journée, connue sous le nom de bataille de Talavera de la Reina, où le duc de Bellune se signala et où chaque armée conserva ses positions, coûta aux Anglo-Espagnols 7 500 hommes tués ou blessés ; la perte des Français fut à peu près égale.
Le 29, l’armée impériale repassa l’Alberche, et Joseph, n’espérant plus vaincre une armée dont l’effectif était double de la sienne, opéra sa retraite sur Madrid. L’Empereur, reconnaissant des services rendus par le duc de Bellune, déjà richement doté par lui, ne l’oublia pas dans la distribution qu’il fit à ses généraux, en juillet 1809, des domaines du Hanovre. Il fit don à ce maréchal des terres de Harpstedt et d’Heiligenrode, d’un revenu de 23045 fr. 87 cent. de rentes.
Après la victoire d’Ocaña, remportée par les Français le 18 novembre, le maréchal pénétra en Andalousie et traversa sans obstacles la Sierra depuis Almaden. Après envoyé quelques reconnaissances sur Santa-Eufemia et Belalcazar, il marcha sans artillerie et sans bagages sur Andigar, où il se réunit aux autres corps. Poursuivant son mouvement en avant, il entra le 23 dans Cordoue et s’y arrêta pendant quelques jours. De là, il se porta sur Séville, arriva en vue de ses murailles vers la fin de janvier 1810, y entra le 1er février et prit aussitôt la route de l’île de Léon dont il atteignit les environs et forma le blocus le 5 du même mois. Il commença ensuite le siège de Cadix, et pendant trente mois il fit échouer toutes les tentatives de l’ennemi.
La junte de Cadix, ayant conçu le projet d’éloigner de cette place les forces dont se composait la ligne assiégeante, et même d’obliger les Français à se retirer entièrement, prépara les moyens d’exécution qu’elle crut propres à assurer le succès de cette entreprise. Des troupes partirent de Cadix et allèrent débarquer à Algésiras où elles se réunirent à celles commandées par don Antonio Begines de los Rios. Toutes ces troupes, formant un effectif d’environ 20 000 hommes, et 24 pièces de canon, mirent à la voile le 26 janvier 1811 et arrivèrent le lendemain 27, à Tarifa, d’où elles se portèrent, le 28, sur Chiclana. Mais leur marche fut retardée par les obstacles de toute nature qu’elles rencontrèrent et surtout par le mauvais état des routes qui ne permit le passage de l’artillerie qu’avec la plus grande difficulté. Le maréchal Victor n’eut pas plutôt avis de ce mouvement qu’il se porta vers l’ennemi avec environ 6 000 hommes.
Le 5 mars, les Anglo-Espagnols se présentèrent sur la route de Chiclana. Dissimulant son infériorité numérique par l’habileté de ses manœuvres, le maréchal Victor culbuta l’avant-garde ennemie et l’accula à la mer. Peu d’instants après, une action sanglante s’engagea sur le côteau de la Cabeza del Puerco, autrement dit de la Barrosa ; l’ennemi y perdit 1 500 hommes tués ou blessés, et fut obligé de rentrer à Santi-Pietri, laissant entre les mains des Français trois drapeaux et quatre pièces de canon. Le duc de Bellune ne vit pas la fin du siège de Cadix, il fut appelé à faire partie de la grande armée le 3 avril 1812, et prit le commandement du 9e corps.
Au mois d’août suivant, le 9e corps fort de 30 000 hommes, et destiné à former la réserve, partit de Tilsit pour se rendre à Wilna. Lors de la retraite de Moscou, il enleva, le 14 novembre, la position de Moliany et s’y maintint malgré les efforts d’un corps de 45000 Russes. Le 25, il reçut l’ordre de suivre le mouvement du duc de Reggio sur le pont de Studzianca (Bérésina), de couvrir la retraite en formant l’arrièregarde et de contenir l’armée russe de la Dwina qui le suivait. Pendant toute cette désastreuse retraite, le duc de Bellune ne cessa de donner des preuves de courage, de sang-froid et de dévouement.
Revenu en France avec les débris de nos glorieuses phalanges, le duc de Bellune fut nommé commandant en chef du 2e corps de l’armée d’Allemagne le 12 mars 1813. Il combattit vaillamment à Lutzen, à Wachau, où il repoussa jusqu’à six fois les attaques opiniâtres des troupes ennemies, et à Leipzig où il se couvrit de gloire. Après cette campagne, il prit le commandement d’un corps destiné à protéger les frontières de l’Est contre l’invasion étrangère. Mais, trop faible pour s’opposer efficacement aux masses qui se présentaient, il dut se replier successivement sur la Moselle, sur la Meuse, sur l’Ornain et sur la Marne. Il coopéra de tous ses moyens aux succès de la journée de Brienne, le 29 janvier 1814, et commanda le centre de l’armée, le 1er février suivant, à la bataille de la Rothière, où 36000 Français luttèrent avec courage contre 106000 hommes de l’armée de Silésie.
Le 17 février, à Mormant, il mit en déroute le corps du comte Pahlen, et battit le général bavarois Lamotte, près de Valjouan. Il fit dans cette journée 3000 prisonniers et enleva 16 pièces de canon. Dans sa marche sur Montereau, il s’arrêta à Salins pour y prendre quelques heures de repos, et ce retard fit manquer, dit-on, l’occupation des ponts, et lui attira de vifs reproches de la part de l’Empereur. L’amour-propre du maréchal en fut profondément blessé, et on prétend que c’est à ce motif seul que sont dus l’empressement qu’il mit à accueillir les Bourbons et la conduite étrange qu’il tint plus tard envers son bienfaiteur. Le 7 mars à la bataille de Craonne, il fut atteint d’un coup de feu qui le mit hors de combat.
Après l’abdication de l’Empereur, le duc de Bellune fut nommé chevalier de Saint-Louis, le 2 juin 1814, et Louis XVIII lui confia le gouvernement de la 2e division militaire le 6 décembre de la même année.
Lors de la rentrée en France de l’Empereur, ce maréchal se rendit dans son gouvernement, et, le 10 mars 1815, il était à Sedan où il publia l’ordre du jour suivant :
« L’ordonnance du roi et la proclamation de Sa Majesté du 6 de ce mois annoncent aux Français le nouvel attentat de Bonaparte à la paix et au bonheur dont ils jouissent sous le gouvernement paternel de leur souverain légitime et justement chéri ; mais elles annoncent en même temps le châtiment prochain de ce nouveau crime.
Déjà nos troupes sont à la poursuite de son auteur, et tout fait espérer qu’il touche au terme de sa funeste existence. Cependant si cette espérance était un instant déçue, si les desseins perfides de Bonaparte trouvaient des partisans assez nombreux pour en seconder l’exécution, quel est l’homme d’honneur qui hésiterait à les combattre ? Tous les Français sont donc prêts, s’il le faut, à repousser leur ennemi : car c’est l’homme qui a tyrannisé, désolé et trahi la France pendant douze ans qu’il faudrait poursuivre, ainsi que les satellites qui l’assisteraient dans ses brigandages.
C’est l’honneur national, le roi, la charte constitutionnelle, la patrie enfin qu’il faudrait défendre. Soldats, vos sentiments me sont connus, et si nous sommes appelés à concourir à la destruction des factieux, nous remplirons nos devoirs, nos serments, et notre auguste et bon roi sera satisfait. Au quartier-général, à Sedan, le 10 mars 1815. Signé, Le Maréchal Duc De Bellune ».
Le maréchal partit ensuite pour Châlons-surMarne, où il arriva le 16. De là, il se dirigea sur Paris où il passa les journées des 17 et 18, et c’est de là qu’il adressa, le 18, aux colonels de son corps d’armée, une circulaire ainsi conçue :
« Monsieur le Colonel, la voix de notre auguste monarque a été entendue ; la majeure partie des peuples du royaume s’arment pour défendre la patrie, le trône et les lois. Je suis l’heureux témoin de l’enthousiasme des habitants et des troupes de la capitale en faveur de cette cause sacrée. Tout me donne la douce espérance que bientôt la France sera pour jamais délivrée de son ennemi, et qu’elle jouira, sous la protection de la charte constitutionnelle et de son souverain légitime, du bonheur qu’elle mérite et de la considération que les autres nations ne peuvent lui refuser.
Cependant des émissaires, soudoyés par Bonaparte, parcourent les campagnes pour en séduire les crédules habitants et pour nous jeter encore dans toutes les calamités d’une révolution pire que celle qui a coûté tant de sang à notre chère patrie. La perfidie de leurs suggestions doit s’entendre jusque sur les troupes. Ils vont tenter d’égarer les soldats ; que ceux-ci se défient de leurs odieuses manœuvres et se préservent de l’horreur d’y prendre part.
Rappelez-leur qu’ils ne sont point les soldats d’un parti, mais bien ceux de la France menacée qu’ils doivent défendre. Leurs familles attendent d’eux toute leur sécurité. La France entière compte sur leur fidélité ; elle réclame leurs services, ils ne seront pas sourds à cette voix imposante.
Recueillez donc MM. les officiers et les sous-officiers de votre régiment, faites-leur connaître la position affreuse où Bonaparte veut encore nous réduire pour satisfaire ses passions violentes aux dépens de la fortune, de la tranquillité et du sang des Français. Dites-leur surtout une grande vérité, c’est que si les troupes chargées de défendre leur pays s’écartaient de leur devoir, et si, oubliant ce qu’elles doivent à la patrie et à leur roi, elles commettaient la lâcheté de se livrer aux rebelles, elles verraient sous peu les troupes étrangères sur notre territoire, toutes les horreurs d’une guerre dont elles seraient la cause et la perte honteuse et irréparable de l’honneur national.
La guerre qui nous est suscitée, monsieur le colonel, est celle de la trahison contre la fidélité, de l’iniquité contre la justice, de la honte contre l’honneur. Les troupes françaises ont le choix de l’une ou de l’autre cause, mais je ne leur ferai point l’injure de leur indiquer celle qu’elles doivent embrasser. Paris, le 18 mars 1815. Signé, le maréchal duc De Bellune ».
Parti de Paris le 19, le maréchal arriva le 20 à Châlons, où il trouva toutes les troupes de son commandement réunies. Les bruits de l’arrivée de l’Empereur à Paris l’engagèrent à porter une partie de son corps d’armée sur la rive droite de la Marne, dans les diverses directions de Paris. Mais les troupes, informées de la marche triomphale de l’Empereur, prirent successivement les couleurs nationales et manifestèrent hautement leur peu de sympathie pour le gouvernement des Bourbons.
Le duc de Bellune, voyant son autorité méconnue et craignant d’être arrêté, prit la fuite et alla rejoindre le roi. Il rentra au mois de juillet et fut nommé Pair le 17 août, puis major général de la Garde royale, et le 12 octobre, président de la commission chargée d’examiner la conduite des officiers de tous grades qui avaient servi pendant l’usurpation.
Le 10 janvier 1816, le duc de Bellune fut pourvu du gouvernement de la 16e division militaire, fut commandeur de l’ordre de Saint-Louis, et grand-croix après le mariage du duc de Berri, dont il signa le contrat, puis enfin chevalier commandeur de l’ordre du Saint-Esprit.
Ministre de la guerre le 14 septembre 1821, il prépara la campagne d’Espagne de 1823, et fut nommé major général de l’armée d’Espagne le 17 mars. Mais le duc d’Angoulême ne voulut point l’agréer. Il reprit alors son portefeuille, entra dans le conseil privé, fut commandant en chef du camp de Reims au sacre de Charles X, et membre du conseil supérieur de la guerre en 1828. Il prêta serment en 1830 au nouveau gouvernement, mais se tint éloigné des affaires.
Il est mort en 1841.