La bataille de Solferino
D’après « Relation historique et critique de la campagne d’Italie en 1859 » – Ferdinand Lecomte – 1860
Indications générales
La bataille de Solferino n’offre pas les péripéties dramatiques de mainte autre affaire même moins importante. C’est une action simple, en somme, se répartissant en cinq à six actions spéciales. C’est-à-dire que, dès les premières heures du combat, presque toutes les troupes d’une et d’autre part se trouvaient en face de l’ennemi et plus ou moins engagées. Le développement des faits ne ressemble pas aux complications, par exemple, de Castiglione, en 1796, de Marengo, d’Eylau, ou même de Magenta, où l’arrivée d’un corps impatiemment attendu devait changer en succès une perspective plus ou moins prononcée de défaite.
On peut diviser la bataille de Solferino en deux périodes principales, soit en deux moments.
Le premier moment est celui des combats résultant immédiatement de la rencontre fortuite, avant qu’une direction supérieure soit intervenue pour modifier les ordres de marche et pour donner de l’ensemble aux attaques séparées.
Le second moment est celui qui commence lorsque l’action devient générale et concertée. Il peut se diviser lui-même en deux périodes : celle de l’offensive française au centre et celle de l’offensive autrichienne à la gauche.
Les Sardes et le 8e corps autrichien font, en quelque sorte, une bataille à part (Les Sardes donnent à l’action du 24 juin le nom de bataille de Solferino et de San-martino).
En résumé, on peut décrire les événements de la journée par quelques mots, en disant :
Les deux armées, à peu près d’égale force et sur un front presque égal, s’avancent l’une contre l’autre sans se douter de leurs situations réciproques ; elles se rencontrent sur la ligne San-Martino, Solferino, Guidizzolo, Medole.
L’armée autrichienne continue à poursuivre l’exécution de son plan combiné d’avance contre la droite française ; elle laisse ses masses à la gauche et se borne à rassembler un peu plus ses forces, tentative de concentration qui lui réussit fort mal.
L’armée alliée, aux premiers coups de feu, se resserre instinctivement sur son centre, et l’empereur n’a qu’à accélérer et renforcer ce mouvement, qui s’exécute avec assez de précision, quoique un peu lentement. Trois corps français attaquent simultanément la position de Solferino et San-Cassiano, et percent le centre du front autrichien, qui, bien qu’occupé aussi par trois corps, n’est défendu que successivement par eux.
En même temps, les quatre corps autrichiens affectés à l’aile gauche échouent contre deux corps français, parce qu’ils ne parviennent pas à réunir leurs efforts et à agir en commun. Un corps, qui devait porter un coup décisif, ne parvient pas même au champ de bataille.
A la droite autrichienne, le 8e corps, qui agit seul et qui n’a mission que d’arrêter la marche de l’ennemi, réussit mieux à remplir sa tâche. Il retient les Sardes jusqu’à la nuit ; mais cet avantage relatif ne peut exercer d’influence sur le résultat de la journée dès que les Autrichiens ont manqué leur attaque de gauche et laissé percer leur centre. Aussi la prise de Cavriana les force à se retirer définitivement du champ de la lutte et à repasser le Mincio.
Après cet aperçu sommaire sur la bataille, il sera plus facile à nos lecteurs de suivre le fil des actions particulières.
Premier moment
Le 24, de grand matin, les alliés se mirent en marche. D’après l’ordre général donné par l’empereur, le 23 au soir :
L’armée du roi devait se porter sur Pozzolengo ;
Le maréchal Baraguey d’Hilliers sur Solferino ;
Le maréchal duc de Magenta sur Cavriana ;
Le général Niel sur Guidizzolo ;
Le maréchal Canrobert sur Medole ;
La garde impériale devait se diriger sur Castiglione ;
Les deux divisions de cavalerie de la ligne devaient se porter dans la plaine entre Solferino et Medole.
Action du centre (1er et 2e corps)
Le 1er corps (Baraguey d’Hilliers) se mit en marche, à l’heure indiquée, d’Esenta dans la direction de Solferino. Sa 2e division (Ladmirault), avec quatre pièces d’artillerie, partit à deux heures du matin par le chemin de la montagne.
A trois heures du matin, les divisions Forey et Bazaine, avec leur artillerie, l’artillerie de réserve et les bagages partirent par le chemin de la plaine, qui longe, au pied des collines, la chaussée de Mantoue.
Le 2e corps (Mac-Mahon) déboucha de Castiglione à trois heures du matin et s’avança en une seule colonne sur la grande route de Mantoue, ayant quelques centaines de pas d’avance sur le gros de Baraguey d’Hilliers, ainsi que sur Niel, qui marchaient sur ses flancs.
Vers cinq heures du matin, les têtes de colonne des deux premiers corps, formant le centre de l’armée, rencontrèrent les avant-postes ennemis et s’engagèrent sur trois ou quatre points presque en même temps.
Les avant-gardes du 1er corps, formées du 74e de ligne, commencèrent à tirailler sur les coteaux du mont Valscura, où se trouvaient les postes du bataillon frontières Ogulin, de la brigade Bils du 5e corps (Stadion). Ceux-ci se replièrent sur les grand’gardes au Grole, où la résistance devint plus vive. Néanmoins deux bataillons du 74e s’avancèrent résolument et emportèrent ce petit village.
Plus à gauche, la 2e division avait aussi rencontré l’ennemi sur les mamelons boisés qui se trouvent entre Barche de Castiglione et Barche de Solferino, où le régiment Kinsky occupait une position faisant suite vers le nord à celle du mont Fenile. Ralliant alors sa division dans la vallée, le général Ladmirault la disposa prudemment en trois colonnes. Il confia celle de droite, composée de deux compagnies de chasseurs et de quatre bataillons, au général Douay ; celle de gauche, de même force, au général Négrier, et se réserva pour lui-même la colonne du centre, forte de quatre compagnies de chasseurs, quatre bataillons et l’artillerie.
Le général Forey ayant organisé aussi ses colonnes, les deux divisions s’avancèrent l’une contre le mont Fenile, l’autre contre les gradins de Barche. La brigade Bils ne fit pas sur ce point une forte résistance. Les deux positions furent enlevées sans beaucoup de peine par l’infanterie. Le mont Fenile fut occupé par le 84e de ligne, et l’artillerie vint aussitôt s’y établir. La 6e batterie du 8e régiment ouvrit de là un feu qui protégea les mouvements ultérieurs en avant, et la 1ère brigade (général Dieu) put se mettre à la poursuite de l’ennemi qui se retirait de crête en crête vers Solferino, où se trouvait le gros du 5e corps. L’artillerie de Forey, prenant aussi des positions favorables, put enfin diriger son tir contre la tour de Solferino et contre un mamelon garni de cyprès, d’où les Autrichiens canonnaient vivement les colonnes de la brigade Dieu. Là, les Français durent s’arrêter, car ils se trouvaient cette fois en face de forces plus respectables : la brigade Puchner était accourue au soutien de Bils. En outre, le général Dieu, gravement blessé, avait dû remettre son commandement au colonel Cambriels, du 84e.
A gauche, les choses se passaient à peu près de même pour la 2e division. Les mamelons de Barche de Solferino furent enlevés promptement ; l’artillerie put se mettre en position et faciliter la tâche de l’infanterie. Mais, arrivé en vue des hauteurs de Solferino même et exposé aux feux croisés du mamelon aux cyprès et d’un cimetière crénelé, placé en face de l’autre côté du vallon, Ladmirault dut également faire halte. Lui aussi fut blessé, mais il reprit son commandement après s’être fait panser.
Plus à droite, le 2e corps n’avait également pas tardé à rencontrer l’ennemi. Les chasseurs à cheval du général Gaudin de Villaine le signalèrent vers quatre heures du matin à 6 ou 7 kilomètres en avant de Castiglione. Les grand’gardes du 3e corps (Schwarzenberg) étaient groupées autour de la ferme Casa-Morino sur la route même, à moitié chemin à peu près de Castiglione à Guidizzolo. Vers cinq heures, la fusillade s’engagea dans cette localité entre les tirailleurs des deux armées.
Le maréchal Mac-Mahon, en se portant de sa personne sur l’éminence dite Monte-Medolano pour reconnaître le terrain ainsi que les forces de l’ennemi, put s’assurer qu’il aurait affaire à des masses avec lesquelles il fallait compter. Il voyait devant lui, du côté de Cavriana, un mouvement de troupes autrichiennes couronnant successivement toutes les hauteurs qui s’étendent entre Cavriana et Solferino. En outre, à cette même heure (cinq heures), le canon, grondant sur la gauche, annonçait que Baraguey d’Hilliers était déjà aux prises.
La situation demandait réflexion.
Marcher au canon du côté de Solferino fut sans doute le premier sentiment du chef qui avait montré tant de résolution à Magenta. Mais la même appréciation stratégique qui, le 4 juin, l’avait fait opérer si énergiquement quand il était isolé, lui commandait d’autres mesures dès qui’l faisait partie d’une opération d’ensemble. Avant d’abandonner, de son initiative, la place qui lui était assignée dans l’ordre général de marche, le duc de Magenta devait penser à combler le vide qui s’ensuivrait. Sans cela, cette lacune pourrait être utilisée par l’ennemi, débouchant entre le 2e corps et Niel, pour couper en deux l’armée alliée.
Mac-Mahon fit donc halte et s’empressa de s’enquérir de la situation du 4e corps, qui ne devait pas tarder d’arriver à hauteur de Medole, sur la droite, mais dont on ne voyait pas encore les colonnes.
Le maréchal ayant envoyé son chef d’état-major, général Lebrun, dans cette direction, il ne lui restait qu’à attendre, et il attendit en effet environ deux heures. Ces heures durent être assez pénibles pour le 2e corps, car, pendant ce temps, les mouvements de troupes ennemies augmentaient aussi continuellement devant lui et le combat semblait s’animer de plus en plus du côté de Solferino.
Surpris par la fusillade des tirailleurs, les bivouacs autrichiens avaient pris les armes ; les troupes s’étaient formées et étaient parties à la hâte, devançant de quelques heures le moment du départ fixé la veille et n’ayant, pour la plupart, pris aucune nourriture. Le 1er corps (Clam-Gallas), qui était entre Volta et Cavriana, serra sur le 5e à Solferino, suivi du 7e campé à Foresto. Le 3e et le 9e se concentrèrent en avant de Guidizzolo, et le 11e s’avança de Castel-Grimaldo.
Vers sept heures, le commandant du 2e corps français fut avisé que le général Niel arrivait devant Medole, et qu’il se porterait à gauche aussitôt qu’il aurait pu s’emparer de cette localité et s’assurer à son tour que le maréchal Canrobert obliquerait aussi à gauche.
Mais, jusqu’au moment où s’effectuerait la jonction annoncée, les forces de Schwarzenberg pouvaient devenir plus nombreuses et plus menaçantes. Il convenait de ne pas les laisser à leur aise choisir leurs positions. Aussi Mac-Mahon fit attaquer vers huit heures et demie, la Casa-Morino, qui offrait une bonne position pour tenir la plaine de Guidizzolo et pour augmenter la force du front du 2e corps, porté à hauteur de cette ferme.
Les dispositions suivantes furent ensuite prises.
La 2e division, qui marchait en tête du corps d’armée, fut déployée en avant de la ferme, perpendiculairement à la route de Mantoue, sa droite à cette route. A sa hauteur, et prolongeant la ligne de bataille, fut placée la 1ère brigade de la 1ère division, sa gauche à la même route, sa droite se dirigeant vers Medole, par où devait venir le 4e corps. La 2e brigade de la 1ère division, formant la réserve du corps d’armée, fut établie en arrière de Casa-Morino, vers la ferme de Barcaccia, pour tenir tête aux colonnes de cavalerie qui, de San-Cassiano, menaçaient de faire une trouée entre le 1er et le 2e corps.
La cavalerie de réserve, formée du 7e régiment de chasseurs, couvrit de ce même côté la gauche de la 2e division. Les deux divisions de cavalerie Partouneaux et Desvaux, qui étaient annoncées, devaient se porter à la droite et établir la communication avec le 4e corps, en couvrant l’espace étendu de plaine qui sépare Medole de Monte-Medolano.
Ces sages dispositions ne furent rien moins que superflues. A peine étaient-elles prises qu’une forte colonne autrichienne, venant de Guidizzolo par la route de Mantoue, s’avança sur Casa-Morino. Le lieutenant-feld-maréchal Schwarzenberg avait lancé, croyons-nous, sa 1ère division, appuyée à droite de troupes du 1er corps et précédée d’une trentaine de bouches à feu. Celles-ci vinrent résolument se mettre en batterie à un millier de mètres du front français.
La vaillante artillerie du maréchal Mac-Mahon ne pouvait pas rester en dette de politesse. Ses quatre batteries divisionnaires se portèrent au galop sur la ligne des tirailleurs, et bientôt une canonnade très vive s’engagea, remplissant d’une épaisse fumée l’intervalle des lignes ennemies. De graves pertes furent essuyées de part et d’autre dans ce combat prolongé d’artillerie, lutte plutôt d’amour-propre que de profits réels, et pendant laquelle l’infanterie était inactive. Les Autrichiens eurent plusieurs pièces démontées ; deux de leurs caissons sautèrent.
Les Français, outre un grand nombre d’hommes et d’attelages hors de combat, subirent une perte bien sensible, à savoir celle du général Auger, couché à terre par un boulet qui lui emporta tout le bras gauche. Cependant le feu des Autrichiens fut le premier à se ralentir ; leurs pièces se reportèrent bientôt en arrière, ne lâchant plus que quelques rares bordées sur les tirailleurs qui les suivaient.
Dans ces entrefaites, les divisions de cavalerie Partouneaux et Desvaux entraient en ligne à la droite et balayaient ce terrain des détachements du 9e corps autrichien, qui déjà cherchaient à y pénétrer. Avec autant d’à propos que de hardiesse, les batteries à cheval de ces divisions se portèrent promptement en avant du front et ouvrirent un feu d’écharpe très efficace sur l’artillerie autrichienne, aux prises avec le 2e corps.
Le commandant autrichien ayant envoyé un bataillon et quelques tirailleurs pour faire taire cette artillerie si meurtrière, les escadrons de Partouneaux, puis de Desvaux eurent alors l’occasion d’exécuter plusieurs charges heureuses, auxquelles la cavalerie autrichienne essaya vainement de résister ; celle-ci était, du reste, très inférieure en nombre et disséminée en outre de la manière la plus déplorable.
Dans une de ces charges, le général Desvaux enveloppa un bataillon ennemi et le rejeta sur les tirailleurs du 2e corps, qui le firent prisonnier.
Tandis que ces beaux débuts de la cavalerie rassuraient le maréchal Mac-Mahon sur ses communications avec le 4e corps, celles avec le 1er corps, obligé de se concentrer vers le mont Fenile, étaient à leur tour gravement compromises.
La division de cavalerie Mensdorf s’était avancée de Tezze, et une colonne d’environ deux régiments cherchait à tourner la gauche du duc de Magenta. Les bataillons de gauche de la 2e division (11e bataillon de chasseurs, 72e de ligne) se formèrent aussitôt en carré, pendant que le colonel Savaresse, à la tête de deux escadrons du 4e chasseurs et de quatre escadrons du 7e chasseurs, soutenait héroïquement les charges de la cavalerie autrichienne. Celle-ci, ne pouvant espérer de passer outre, dut se replier, et sa retraite n’eut pas lieu sans désordre ni sans de rudes échecs occasionnés par les charges des chasseurs français, par le feu des bataillons et par celui de l’artillerie.
C’est ainsi que, par un emploi combiné des trois armes, le maréchal Mac-Mahon put obtenir pendant plusieurs heures le succès relatif de tenir l’ennemi à distance, quoique celui-ci comptât des troupes de deux corps (Schwarzenberg et Clam-Gallas). En revanche, l’artillerie et la cavalerie autrichienne étaient fort inférieures à celles des Français.
Jusque-là, en somme, aucun résultat sérieux n’avait été obtenu sur ce point. De part et d’autre, on avait canonné, tiraillé, chargé, en conservant presque toujours le même terrain et sans que rien de décisif se fût accompli.
Vers onze heures enfin, le maréchal Mac-Mahon fut avisé que le 4e corps était en mesure de se relier au 2e, et il prit aussitôt ses dispositions pour marcher dans la direction de Solferino, où le combat se soutenait avec animation.
Six heures avaient ainsi été employées par le 2e corps à attendre que l’ordre de marche primitivement fixé pût se transformer en disposition de combat. Mais, comme on l’a vu, ces heures, quoique pénibles et meurtrières, ne furent point perdues.
Laissons maintenant marcher le 2e corps au second moment de la bataille, où nous le retrouverons, et voyons ce qui s’était passé un peu plus au sud.
Action de la droite alliée (4e et 3e corps)
Le 4e corps (Niel) se mit en route, de Carpenedolo à Medole, à trois heures du matin, sur une seule colonne. En tête marchaient la division Vinoy, les batteries et le parc de réserve, et en queue la division de Failly. Deux escadrons de chasseurs du 10e régiment éclairaient la marche sous les ordres du général de Rochefort. La colonne s’étendait ainsi sur un long espace et avançait lentement, ne pouvant cheminer à droite et à gauche de la route à cause des cultures et des fossés. Les deux divisions de cavalerie Partouneaux et Desvaux avaient été adjointes au 4e corps pour couvrir sa gauche, et marchaient par la route de Mantoue, derrière le 2e corps.
Vers six heures du matin, les escadrons du général de Rochefort rencontrèrent des uhlans autrichiens de la division Zedwitz (brigade Lauingen) à 2 kilomètres en avant de Medole, qui, après quelques charges réciproques, se replièrent sur le village. Medole était occupé par deux bataillons d’infanterie du régiment archiduc François-Charles (9e corps), qui paraissaient vouloir s’y défendre sérieusement. Mais le général de Luzy, arrivant avec toute sa division, fit entourer le village des deux côtés de la route par des bataillons d’infanterie sous les ordres des généraux Lenoble et Douay, et fit canonner, au centre, les premières maisons qu’occupaient les tirailleurs autrichiens.
Bientôt après, les mouvements de flanc étant bien prononcés, le général de Luzy donna le signal de l’attaque au centre, fit battre la charge et s’avança lui-même à la tête d’une forte colonne d’infanterie. Une lutte acharnée eut lieu ; mais à sept heures Medole était au pouvoir du 4e corps. Les Autrichiens se retirèrent vers Guidizzolo, abandonnant quelques prisonniers et deux canons.
De Medole, la brigade Douay suivit les arrière-gardes du régiment François-Charles sur Rebecco et Guidizzolo, tandis que trois autres bataillons de la division de Luzy se jetaient à droite, dans la direction de Ceresara, où se montraient des détachements de cavalerie. La brigade Douay se trouva bientôt en face de forces supérieures devant Rebecco et dut arrêter sa marche pour attendre les autres divisions plus en arrière. La division Vinoy ayant débouché de Medole, le général Niel la porta en avant vers la route de la plaine, où l’avaient déjà précédée huit pièces de la division de Luzy. De nombreux engagements de tirailleurs eurent lieu dans les fourrés et autour d’une ferme nommée Casa-Nova, sur la droite de la grande route de Goïto, à 2 kilomètres de Guidizzolo. Plusieurs fois, cette maison fut prise et reprise avec acharnement et pendant toute la journée on se battit dans ses alentours.
De ce terrain découvert, le général Niel put voir la situation des troupes de Mac-Mahon, ainsi que les forces autrichiennes qu’elles avaient devant elles. Il forma, en conséquence, ses deux divisions en bataille et obliquement, de manière à se relier avec le 2e corps. Mais son artillerie et ses parcs, ainsi que la division de Failly qui piétonnait derrière les voitures, n’avaient pas encore débouché de Medole. Le général Niel dut subir un temps d’arrêt assez long avant de pouvoir aller plus avant. L’artillerie, au fur et à mesure qu’elle débouchait du village, fut envoyée à la gauche et les deux divisions de cavalerie vinrent prendre place derrière elle, plus à la gauche encore. Moyennant ces dispositions, Niel pouvait attendre l’arrivée de la division de Failly, ainsi que des troupes du maréchal Canrobert, averties du mouvement général vers la gauche et de l’urgence qu’il y avait aussi pour le 3e corps à le suivre.
Le 3e corps (Canrobert) était parti de Mezzane à 2 heures et demie du matin, se dirigeant sur Medole. Il avait passé la Chiese à Visano, où le génie piémontais avait jeté un pont pendant la nuit, sous la protection de la brigade Jannin, de la division Renault. Le chemin était difficile ; en outre le 3e corps, à l’extrême droite, avait la mission d’éclairer et de couvrir le flanc de l’armée, de sorte qu’il ne chemina que lentement et en fouillant tous les chemins de traverse. En tête marchait la brigade Jannin ; puis venaient la brigade Picard, la division Trochu et la division Bourbaki.
Il était sept heures quand les premières colonnes de Jannin, qui avaient cependant passablement d’avance sur le reste du corps, arrivèrent devant Castel-Goffredo. Cette petite ville, fermée de murailles, était occupée par quelques détachements de hussards de la brigade Vopaterny (division Zedwitz), garnison qu’on trouvera, sans doute, assez mal appropriée à la défense d’une place. Les portes étaient fermées et barricadées. Le général Jannin tourna la ville du côté du sud pour y pénétrer par la porte de Mantoue. Le général Renault se plaça à la tête de troupes qui devaient attaquer de front, et la porte du côté d’Acqua-Fredda fut abattue à coups de hache par le génie. Les hussards du 2e régiment, composant l’escorte du maréchal, sous le commandant Lecomte, chargèrent les hussards autrichiens dans les rues mêmes de la ville.
Continuant sa route, la tête de colonne du 3e corps arriva vers neuf heures un quart à Médole et, bientôt après, le maréchal Canrobert apprit dans ce village que le 4e corps, qui était un peu plus en avant, était engagé avec l’ennemi. Son aile droite, entre autres, formée de la division de Luzy, avait à soutenir des attaques sérieuses et menaçait d’être tournée. Aussi elle demandait au 3e corps de venir l’appuyer. Le général Niel croyait aussi devoir faire une demande semblable pour son centre.
Mais les instructions du maréchal Canrobert, qui lui prescrivaient de porter toute son attention sur la droite, ne lui permettaient pas de diriger, sans mûr examen, son corps vers la gauche. En outre, au moment même où le commandant du 4e corps réclamait l’appui du maréchal Canrobert, celui-ci recevait une lettre de l’empereur l’avisant qu’un corps de 25 à 30 000 Autrichiens était sorti de Mantoue la veille, et que ses avant-postes étaient au village d’Acqua-Negra. Ces renseignements pouvaient être corroborés par le témoignage du général de Luzy lui-même, qui avait vu une colonne considérable passer de sa gauche vers sa droite, ainsi que par des renseignements venant de gens du pays et par une longue traînée de poussière, que le maréchal Canrobert remarquait dans la direction d’Assola, en mouvement vers Acqua-Fredda.
Néanmoins, pour faire face aux exigences de la situation, le maréchal envoya aussitôt le général Renault avec cinq bataillons à l’appui du général de Luzy, sur la route de Ceresara.
A dix heures et demie du matin, ces bataillons prenaient position à la droite du 4e corps, ce qui fit sans doute que le général Niel, comme nous l’avons vu, put annoncer avant onze heures au maréchal Mac-Mahon qu’il était en mesure de suivre le mouvement du 2e corps vers la gauche.
Action de la gauche alliée (Sardes)
Il est temps que nous examinions aussi ce qui se passait sur l’extrême gauche alliée où s’avançait l’armée du roi, chargée en quelque sorte, dans cette journée, d’une opération indépendante.
Quatre divisions, la 1ère (Durando), la 2e (Fanti), la 3e (Mollard), la 5e (Cucchiari) devaient prendre possession des massifs de Pozzolengo et des environs de Peschiera, tandis que la 4e division (Cialdini) et les chasseurs de Garibaldi avaient été, on le sait, affectés à la surveillance des passages des Alpes.
A cet effet, les 1ère, 5e et 3e divisions s’avancèrent chacune séparément par des chemins de montagne, le 24 au matin, la 2e restant pour le moment en réserve à Lonato. La 1ère, qui occupait la droite, fit partir sa 1ère brigade (grenadiers) à 4 heures du matin de Lonato pour Castel-Venzago ; la 2e brigade (Savoie) devait suivre trois heures plus tard.
Arrivée entre Venzago et Madona-della-Scoperta, la 1ère brigade se fit précéder d’une reconnaissance sous les ordres du colonel Casanova, qui devait explorer le chemin de Pozzolengo. Bientôt celle-ci rencontra les avant-postes autrichiens de la brigade Reichlin, autour de Madona et de la ferme de Casellin-Nuovo. Les feux commencèrent aussitôt entre le 3e bataillon de bersagliers et les tirailleurs autrichiens. Le 1er régiment de grenadiers, soutenu par deux sections de la 10e batterie et par un escadron de chevau-légers Alexandrie, s’avança à la baïonnette et fit d’abord replier l’ennemi sur les coteaux de Madona. Mais là les Autrichiens trouvèrent du secours qui leur permit de faire front et même de prendre à leur tour l’offensive. L’aile droite du 5e corps, porté en avant de Solferino, venait prendre part à l’action.
De son côté, le général Durando, qui s’était porté sur le mont Tiracollo pour observer le terrain, était averti par son chef d’état-major de ce qui se passait autour de Madona. Il donna aussitôt l’ordre d’acheminer sur Venzago la brigade de Savoie et lui-même l’y précéda. A Venzago, il reçut avis d’un officier d’ordonnance de Sa Majesté que l’empereur insistait pour que les Sardes marchassent sur Solferino. En conséquence, le général Durando fit aussitôt avancer le reste de la brigade de grenadiers au secours de son avant-garde, arrêtée sur la route même qui menait à Solferino.
Ceux-ci s’élancèrent avec ardeur dans la mêlée, mais les Autrichiens avaient l’avantage des positions, et leurs colonnes augmentaient aussi en forces à chaque instant. Le 2e régiment de grenadiers, les 11e et 12e batteries, accourant à la hâte, ne purent guère que relever les troupes déjà engagées, et les aider à se maintenir dans la défensive. Quelques maisons de Madona furent prises et reprises plusieurs fois, mais en fin de compte les grenadiers de Sardaigne, déjà cruellement décimés par cette lutte prolongée, durent rétrograder jusqu’en arrière des fermes Casellin-Nuovo, San-Carlo-Vecchio et Porte-Rosse, afin d’y attendre le renfort de la brigade de Savoie, dont le général Durando faisait hâter la marche. Il était près de midi quand cette brigade entra en ligne et changea la tournure du combat.
Plus à gauche, les 5e et 3e divisions, qui opérèrent aux côtés l’une de l’autre toute la journée, avaient une tâche difficile et périlleuse, puisqu’elles devaient s’avancer vers Pozzolengo, resserrées entre la montagne et le lac.
De grand matin, la 5e division (Cucchiari) détacha de son camp, entre Lonato et Desenzano, une reconnaissance sous les ordres du chef d’état-major lieutenant-colonel Cadorna, qui fut suivie par la division elle-même dès six heures et demie. Avec deux bataillons, un escadron de chevau-légers et une section d’artillerie, le lieutenant-colonel Cadorna s’avança par Desenzano, par la voie ferrée, puis par la voie Lugana, dans la direction de Pozzolengo, avec circonspection et en faisant battre tous les fourrés des alentours.
De son côté, la 3e division avait aussi envoyé de Desenzano quatre reconnaissances dans la direction de Peschiera. Les deux de gauche, fournies par la brigade Pinerolo, marchaient le long de la route du lac ; les deux de droite, de la brigade Cuneo, suivaient la voie ferrée ; celle de l’extrême droite, dirigée par le capitaine d’état-major de Vecchi, avec laquelle se trouvait le commandant de la division, marchait en queue de la colonne de la 5e division commandée par le lieutenant-colonel Cadorna. Arrivée au delà de la route Lugana, la reconnaissance du capitaine de Vecchi tourna à droite dans la direction de Pozzolengo, et s’arrêta pour se rallier vers Corbu-Dessous, tandis que la seconde reconnaissance s’avançait sur la voie ferrée jusqu’à Feniletto.
Nulle part dans ces divers trajets les éclaireurs des 5e et 3e divisions n’avaient signalé l’ennemi, quoiqu’en revanche le canon grondât de plus en plus fort du côté de Madona.
Mais arrivés sur les hauteurs de Pozzolengo, les bersagliers du lieutenant-colonel Cadorna se trouvèrent tout à coup en face des avant-postes de Benedeck, solidement établis autour de la ferme de Ponticello. Vers sept heures et demie, les premiers coups de feu furent échangés sur ce point et y ouvrirent un combat qui ne dura pas moins de treize à quatorze heures.
Les bersagliers du 8e bataillon firent d’abord replier les avant-postes des chasseurs tyroliens, mais ceux-ci, renforcés, s’avancèrent à leur tour, et le bataillon de bersagliers, quoique vigoureusement soutenu par celui du 11e de ligne, dut rétrograder. La reconnaissance avait, au reste, atteint son but en constatant que l’ennemi était en forces à Pozzolengo, et la retraite fut ordonnée. Elle s’opéra d’abord lentement par les deux bataillons défendant le terrain pas à pas, et qui furent bien secondés par des feux en retraite de l’artillerie.
Mais les Autrichiens n’avaient pas tardé à reconnaître la situation critique de leurs adversaires, engagés dans les montagnes avec un sac à dos ; aussi cherchèrent-ils sagement à faire effort contre la droite des troupes sardes pour les couper de leur ligne de retraite sur Desenzano.
Deux bataillons tyroliens furent lancés par un ravin du val de Sole dans la direction de San-Donino, ce qui força le lieutenant-colonel Cadorna de se replier rapidement, afin d’échapper à un danger sérieux, qui eût menacé également les reconnaissances de la 3e division, encore plus étendues sur la gauche. A San-Martino, les troupes de la 5e division rallièrent quelques détachements de la 3e et purent prendre position pour se réorganiser. L’arrivée successive de deux bataillons des éclaireurs de Mollard permit même aux Sardes de reprendre un moment l’offensive sur ce point, et d’y arrêter l’ennemi assez de temps pour que les troupes lancées sur l’extrême gauche, du côté de Peschiera, pussent se replier vers Rivoltella.
Pendant ce temps, les généraux Cucchiari et Mollard, informés de la situation des choses, accouraient avec le gros de leurs divisions, et, tout en croyant n’avoir qu’à soutenir la retraite de reconnaissances un peu compromises, ils allaient se trouver engagés dans une grande bataille.
Vers neuf heures arriva, en premier lieu, la brigade Cuneo, de la 3e division, qui attaqua aussitôt les hauteurs de San-Martino.
Ainsi, aux environs de dix heures du matin, le combat était commencé sur tout le front des alliés, depuis le lac de Garda à Castel-Goffredo. Nous examinerons maintenant comment tous ces engagements se relièrent en une action d’ensemble.
Second moment
Nous allons reprendre le cours des événements de la journée, à l’heure où nous l’avons laissé et en procédant avec le même ordre, c’est-à-dire en commençant par le centre, point décisif de l’attaque réussie des Français ; en passant ensuite à la gauche autrichienne, point décisif de son offensive échouée, et en terminant par la gauche alliée, champ d’action spécial où de part et d’autre les parties peuvent prétendre à un succès relatif.
Action du centre (1er corps, la garde, 2e corps français ; 5e, 1er et 7e corps autrichiens)
L’empereur Napoléon, qui se trouvait le 24 au matin à Montechiaro, se rendit en toute hâte à Castiglione aux premiers coups de canon. L’infanterie de la garde partit aussi à cinq heures de Montechiaro, et à la même heure l’artillerie quittait Castenedolo pour Castiglione. La cavalerie ne devait partir de Castenedolo qu’à neuf heures.
Il était sept heures environ quand l’empereur put, d’une éminence située près de Castiglione, juger de ce qui se passait devant lui. Le mouvement de troupes qu’on décou vrait dans la plaine, et le bruit du canon qu’on entendait dans la montagne disaient assez que partout les alliés se trouvaient sérieusement en face de l’ennemi. Les premiers rapports des corps donnaient d’ailleurs les mêmes indications et annonçaient sur tous les points des forces adverses considérables.
Restait à savoir sur quelle partie de leur front les Autrichiens étaient les plus nombreux et les plus menaçants, et où ils se proposaient de faire un effort décisif. Un tel renseignement ne pouvait guère être obtenu au début de la journée, et cependant il eût été important de l’avoir pour ordonner les changements convenables aux instructions de la veille.
L’empereur avait, dans cette incertitude, un triple problème à résoudre : Faut-il rallier l’armée sur le centre, sur la droite ou sur la gauche ? De la réponse dépendraient, suivant sa nature, des conséquences très diverses quant aux mouvements à ordonner et aux résultats à espérer. En outre, la solution devait intervenir promptement. Dans des cas pareils, le temps est un trésor, et à tout prix il fallait rassembler ces cinq corps isolés. Mais vers lequel d’entre eux marcheront tous les autres ?… Grande question, qui portait en elle les destins de la journée !
Nous ne nous figurons pas de situation humaine plus solennelle que celle d’un souverain appelé à donner un ordre dans de telles circonstances. Soutenir avec calme l’épreuve d’une responsabilité aussi imposante et savoir en sortir par une résolution conforme aux bons principes nous paraît, sinon la marque infaillible du génie stratégique, car on peut être heureux une fois, au moins celle d’une grande force de caractère.
C’est ce qu’on peut dire de l’empereur Napoléon à Solferino. Il résolut, selon nous, le problème de la meilleure manière. A tous égards la concentration sur le centre était ce qu’il y avait de mieux à faire.
Rétrograder n’était pas possible. Laisser les corps dans leur isolement respectif eût été, avec un adversaire tant soit peu habile, les livrer à une défaite à peu près certaine. Concentrer les forces sur une des ailes exigeait, vu l’étendue du front, trois à quatre heures au moins et des marches de flanc devant l’ennemi.
La concentration sur la droite avait, en outre, l’inconvénient d’abandonner aux Autrichiens des hauteurs qui offraient de bonnes positions tactiques contre la plaine, et qu’il aurait fallu reprendre plus tard avec de lourds sacrifices.
La concentration sur la gauche eût jeté l’armée dans un terrain difficile et l’eût mise, soit par l’abandon de la plaine aux Autrichiens, soit par le voisinage du lac et des montagnes, dans une situation stratégique très périlleuse.
La concentration en avant du centre, c’est-à-dire dans la zone s’étendant sur les dernières hauteurs et sur le commencement de la plaine, n’avait pas tous ces inconvénients. C’était le moyen à la fois le plus prompt, le plus simple et le plus juste d’échapper à un grand échec ou d’obtenir quelque succès.
Les ailes n’avaient, au plus, que la moitié du front à parcourir et pouvaient se rapprocher en avançant obliquement sans être astreintes à de longues marches de flanc. Trois corps français, plus deux divisions sardes, devaient déjà se trouver à proximité de ce terrain, en vertu de leurs ordres de la veille.
Les hauteurs de Solferino et de Cavriana formaient de bonnes positions tactiques en elles-mêmes, sans compter qu’elles n’étaient d’ailleurs pas éloignées de la route de Mantoue, qu’il importait de couvrir.
Enfin il y avait lieu de présumer que les Autrichiens ne seraient pas très-forts au centre, puisqu’ils étaient signalés tout le long d’un front très-étendu, et puisqu’on savait même qu’un de leurs corps opérait un mouvement tournant jusqu’à l’Oglio.
C’est sans doute après avoir rapidement pesé ces diverses considérations de logistique, de tactique et de stratégie que l’empereur fit converger le gros de ses forces vers le centre, en désignant les hauteurs de Solferino et de Cavriana comme le but de leurs efforts.
La garde, qui débouchait de Castiglione par la route de Guidizzolo, eut ordre de se diriger à gauche pour appuyer le premier corps, et l’empereur, s’étant porté vers le corps de Mac-Mahon dans la plaine, lui enjoignit aussi de marcher, aussitôt qu’il le pourrait, dans la direction de San-Cassiano. Le général Niel et le maréchal Canrobert reçurent avis d’obliquer vers leur gauche (ce dernier avec la restriction connue) et, en attendant qu’ils aient pu donner la main à la droite de Mac-Mahon, la cavalerie de la garde dut hâter sa marche et venir prendre place dans l’intervalle pour les relier entre eux. Le roi Victor-Emmanuel reçut aussi l’ordre de faire converger à droite ses divisions vers la gauche du premier corps sur Solferino.
Ces dispositions étaient aussi simples que justes, mais l’exécution rencontra maintes difficultés.
Nous avons déjà vu et nous verrons encore que le 2e corps fut longtemps retenu en place avant de pouvoir s’avancer sur San-Cassiano, et que les divisions sardes ne purent également pas se réunir sur le centre.
Après avoir donné ses instructions au duc de Magenta, l’empereur se rendit sur les hauteurs au centre de la ligne de bataille, où le maréchal Baraguey d’Hilliers luttait daris un terrain des plus difficiles contre les troupes de Stadion.
Le 1er corps français était arrivé sous le feu des plus fortes positions autrichiennes, c’est-à-dire devant la tour de Solferino, le mamelon aux cyprès, le cimetière et le château, qui étaient en état de défense et bien munis d’artiHerie. Tout le 5e corps s’y était rassemblé, renforcé des têtes de colonnes de Clam-Gallas.
La division Ladmirault, lancée d’abord dans la direction du cimetière, fut repoussée à plusieurs reprises et avec de nombreuses pertes ; son chef, frappé d’une seconde balle, dut remettre son commandement au général de Négrier. L’énergique résistance des Autrichiens força le maréchal à engager aussi la division Bazaine à l’appui de la division Ladmirault. Le 1er régiment de zouaves se lança en avant avec son ardeur habituelle, suivi bientôt du 34e de ligne, puis du 37e. Mais ce fut en vain ; les cadavres s’entassaient sans résultat sur cet espace rétréci de terrain, battu de tous côtés. Les murs du cimetière, flanqués des feux du mamelon aux cyprès, bravaient tous les efforts ; les Autrichiens purent même bientôt opérer des mouvements offensifs, devant lesquels il fallut céder. Les braves de Marignan reculaient, laissant le sol jonché de leurs corps.
Pendant ce temps, la division Forey s’avançait, sous les yeux de l’empereur, contre le mamelon aux cyprès. Soutetenue par le feu des batteries divisionnaires, la brigade d’Alton, appuyant à droite, se porta résolument en avant. La brigade était déployée par bataillon, à demi-distance en colonne par peloton et accompagnée de quatre pièces de la réserve. Assaillie par un violent feu de front et d’écharpe, elle dut aussi se replier.
Cependant les batteries françaises avaient pu prendre une position un peu plus avancée et plus favorable, et à ce même moment l’empereur ordonnait à la garde d’entrer aussi en ligne. La brigade Manèque, des voltigeurs, saluée de vigoureuses acclamations, vint se déployer aux côtés et en arrière de la 1ère division. La division de grenadiers se plaça à 500 mètres en arrière des voltigeurs, en colonne double par division à distance de déploiement. Pour seconder une nouvelle attaque du mamelon de la tour, deux bataillons de voltigeurs durent tourner du côté de la plaine. Ce mouvement s’exécuta avec élan et précision. Aux cris de « Vive l’empereur ! » et au son de tous les tambours et clairons, les troupes de Forey et de Camou assaillirent de front et de flanc la position si bien défendue.
L’artillerie de la garde vint y aider à point donné, en renforçant la canonnade du 1er corps, ce qui fit bientôt taire les batteries autrichiennes les plus avancées. Il s’ensuivit une lutte opiniâtre et acharnée d’infanterie sur les coteaux du mamelon. Plus d’une fois les Autrichiens chargèrent avec fureur les assaillants et les obligèrent à rétrograder ; mais ceux-ci, remontant courageusement, continuaient à gagner du terrain vers le sommet.
Cette offensive devait naturellement faciliter celle opérée plus à gauche par le maréchal Baraguey d’Hilliers. Lui aussi faisait des progrès. Le silence des batteries du mamelon aux cyprès lui avait permis de faire avancer une batterie du 10e régiment jusqu’à 200 mètres du cimetière. Concentrant encore le tir d’autres pièces des divisions sur ce point, ainsi que sur les murs du château et sur les premières maisons, il fit ouvrir des brèches qui délogèrent une partie des défenseurs et qui devaient ouvrir les voies aux attaques ultérieures. Le bataillon Lafaille, du 78e, parvint à emporter le cimetière, et, après ce premier succès, les deux divisions Bazaine et Ladmirault, battant la charge, se précipitèrent à l’assaut du village et du château, qui furent enfin enlevés.
Au même instant, la division Forey et les voltigeurs arrivaient de trois côtés au sommet de la tour et du mamelon aux cyprès et y plantaient leurs drapeaux victorieux. Il était près de trois heures.
Le 5e corps autrichien faisant avancer sa dernière réserve, régiment Reischach, essaya encore un retour offensif désespéré, comptant sur l’appui du 1er corps. Mais mal secondé par les troupes de Clam-Gallas, arrêtées dans leur marche, le 5e corps avait affaire à trop forte partie. Il dut se résigner à rétrograder, entraînant aussi le 1er corps. La retraite fut couverte par d’énergiques attaques du régiment Reischach, qui causèrent des vides sensibles dans les rangs des voltigeurs de la garde entre autres. Le 7e corps autrichien arrivait au moment même, c’est-à-dire trop tard pour sauver Solferino ; mais il pouvait contribuer à soutenir la retraite.
L’empereur Napoléon dut porter en avant la division des grenadiers qui, secondant les voltigeurs, acheva la prise de possession de Solferino. Vu les attaques du côté de la plaine, le 5e corps fut rejeté dans les montagnes et prit sa direction de retraite sur Pozzolengo, tandis que le 1er se retira sur Cavriana.
Un premier et important succès venait ainsi d’être acquis par les Français. La faute que commettaient les Autrichiens par leur retraite excentrique, leur en promettait d’autres encore.
Malgré cette chaude action sur son front, Baraguey d’Hilliers n’avait pas négligé d’entretenir ses communications avec la droite des Sardes. En faisant placer à propos une batterie, il avait même préservé ceux-ci d’un mouvement tournant dont les menaçait une colonne autrichienne.
Au delà du village et du vallon de Solferino s’élèvent, en face de la tour, de nouvelles rampes en hémicycle, favorablement disposées pour une bonne défense. Les Autrichiens, en se retirant, garnirent ces crêtes de troupes et d’artillerie ; il était important de ne pas leur laisser le temps de s’y concentrer. Aussi les voltigeurs du général Manèque et une partie des grenadiers furent promptement lancés contre ces positions et parvinrent encore à s’en emparer.
La division Forey fut portée aussi par les crêtes dans la direction de Cavriana, tandis que la division Bazaine et une partie de la garde marchèrent sur ce village par la plaine. L’artillerie de la garde et celle du 1er corps, sous le commandement des généraux de Sévelinges et Forgeot, purent prendre, pendant ce temps, des positions successives sur les crêtes d’où elles firent beaucoup de mal aux colonnes en retraite. Toujours en combattant contre les arrière-gardes autrichiennes, la brigade Manèque arriva ainsi, vers quatre heures du soir, à quelque distance de Cavriana, position assez forte, munie de vieilles fortifications et d’un château, et où l’ennemi pouvait par conséquent renouveler la lutte qu’il avait soutenue d’une manière si acharnée à Solferino.
Une faible partie du 5e corps, le 1er et le 7e corps, ce dernier encore intact, y avaient pris position. En revanche, la tâche du 1er corps français et de la garde allait être facilitée par le concours du corps de Mac-Mahon, du côté de la plaine.
Pendant que l’empereur dirigeait sur Cavriana le 1er corps et la garde à la fois par la montagne et par San-Cassiano, le duc de Magenta s’approchait aussi de ce même point.
Nous avons laissé le 2e corps au moment où, assuré sur sa droite par le mouvement oblique de Niel et par l’arrivée des divisions de cavalerie, il se mettait en devoir de converger par sa gauche sur Solferino.
Il était environ deux heures et demie quand la division la Motterouge, tenant l’aile gauche du corps, se mit en marche vers les hauteurs. Elle rencontra bientôt les voltigeurs de la garde ; tout le 2e corps faisant, dans chaque bataillon, tête de colonne à droite, se porta en avant, d’abord sur San-Cassiano, puis sur les autres positions que l’ennemi occupait dans la plaine.
Le 7e corps autrichien, ralliant les débris du 1er et du 5e, avait pris, sous les yeux de l’empereur François-Joseph, des positions concentrées autour de Cavriana, avec des postes dans toutes les fermes en avant. San Cassiano même n’était pas pourvu de nombreux défenseurs. Après quelques coups de fusil, ces troupes se replièrent devant les tirailleurs algériens et devant le 45e de ligne, qui avaient tourné le village à droite et à gauche. Les tirailleurs appuyèrent ensuite à gauche pour se porter sur le contre-fort principal qui relie San-Cassiano à Cavriana, et qui était fortement occupé. Le premier mamelon, sur lequel se trouvait une espèce de redoute, fut enlevé par les tirailleurs ; mais trouvant ensuite devant eux des forces considérables, ils ne purent aller plus loin pour le moment et durent s’arrêter pour attendre de l’appui. Des colonnes de la garde, arrivant à pas rapides, se montraient un peu plus en arrière sur la gauche.
En même temps qu’il progressait ainsi sur les hauteurs, le maréchal Mac-Mahon n’était pas sans quelques craintes pour ses communications avec le général Niel, car l’ennemi cherchait de nouveau à pénétrer dans l’intervalle entre les deux corps. Fort heureusement, la cavalerie de la garde, qui était arrivée au 2e corps vers deux heures et demie et qui, formée en trois échelons, flanquait l’extrême droite, fournit des charges très régulières qui firent reculer l’attaque autrichienne.
Mais cette action avait occasionné un temps d’arrêt dans la marche contre Cavriana, que les Autrichiens avaient sagement utilisé. Voyant par l’attaque des tirailleurs algériens sur quel point l’orage allait éclater, ils avaient fait avancer l’artillerie de réserve et les régiments Empereur, Gruber, avec un bataillon de chasseurs tyroliens.
Ce dernier marcha contre les tirailleurs et les chassa de la redoute. Le 45e et le 72e envoyés à l’appui des Algériens, furent également ramenés en grand désordre, et poursuivis assez avant dans la plaine par la brigade Gablentz. Il fallut que Mac-Mahon fît avancer promptement la réserve, formée des 65e et 70e de ligne pour arrêter les progrès des Autrichiens.
Cependant la brigade Niol, des grenadiers de la garde, ayant pu joindre la division la Motterouge, le 2e corps reprit l’offensive, enleva successivement tous les mamelons jusqu’à Cavriana, et parvint finalement à s’emparer de Cavriana. Les tirailleurs algériens entrèrent dans la ville en même temps que les voltigeurs de la brigade Manèque y pénétraient par le chemin de Solferino.
La division Decaen avait suivi le mouvement en s’avançant, dans la plaine à droite, à la même hauteur que la Motterouge, et en chassant l’ennemi des fermes où il avait mis des postes. Plus à droite encore, la cavalerie de la garde obtint des succès marqués sur la cavalerie Mensdorf, et fournit entre autres l’occasion au 11e chasseurs à pied de s’embusquer et de décimer un régiment de hussards qui avait été rejeté de son côté.
Vers quatre heures et demie, Cavriana était pris ; les Autrichiens étaient en pleine retraite sur Volta, et malgré la vigoureuse défense d’arrière-garde faite par deux brigades Zobel, ils auraient été poursuivis vivement si un orage effroyable n’avait, à cet instant, suspendu forcément toute lutte. Le ciel même semblait s’interposer entre les combattants.
Après l’orage les Autrichiens étaient déjà un peu éloignés ; ils furent néanmoins suivis sur les hauteurs qui entourent Cavriana et traqués de là par l’artillerie, qui leur fit subir de graves pertes. Vers six heures et demie, leur retraite s’opérait dans toutes les directions. Le centre du front autrichien était complètement au pouvoir des Français.
De vifs engagements avaient eu lieu, pendant ce temps, aux deux ailes.
Action de la droite alliée (4e et 3e corps français, 3e, 9e, 118e corps autrichiens)
A l’aile droite alliée, nous avons laissé le général Niel avec ses deux premières divisions, formé en bataille en avant du village de Medole, et attendant avec impatience, pour pouvoir se porter plus à gauche, l’arrivée de sa 3e division (de Failly), ainsi que l’appui demandé au maréchal Canrobert.
Quoique la division Vinoy se fût emparée de la ferme Casa-Nova, il restait toujours un espace libre entre le 2e et le 4e corps. Voyant ce vide, le commandant du 9e corps autrichien tenta d’y pénétrer avec de l’infanterie et de la cavalerie ; mais l’artillerie placée sur ce point par le général Niel arrêta cette attaque. Le général Soleille mit successivement en batterie 42 pièces des divisions et de la réserve qui finirent par concentrer tout leur tir sur les colonnes autrichiennes. Grâce à cet énergique feu, le mouvement offensif de celles-ci fut momentanément suspendu ; leur cavalerie se retira plus en arrière, laissant la place à l’artillerie, qui vint se mesurer contre celle du général Soleille. Cette dernière garda une supériorité marquante.
Sous cet appui, la division Vinoy s’efforçait de suivre le mouvement à gauche commencé par le 2e corps et pivotait, pour cela, autour de la Casa-Nova ; mais elle ne pouvait s’éloigner beaucoup de cette position assaillie de nouveau, ainsi que le village de Rebecco, par des forces imposantes.
Toute la 1ère armée autrichienne se rassemblait et s’apprêtait en effet à déboucher par la route de Guidizzolo. Le 3e corps (Schwarzenberg) s’avança sur la grande route contre la Casa-Nova, le 5e jusqu’à Rebecco, recevant tous deux, devant ces positions, des renforts du 11e corps, qui accourait en toute hâte de Castel-Grimaldo. Renforcé de la brigade Baltin, le 3e corps fit des progrès contre la gauche de Niel et pénétra jusqu’à la Quagliara. En revanche le 5e, quoique renforcé de la division Blomberg, échouait contre Rebecco.
Pendant ce temps, le général de Failly était aussi entré en ligne ; sa 1ère brigade, O’Farell, vers le hameau de Baëte, entre Rebecco et Casa-Nova, la brigade Saurin en réserve.
Les troupes du 4e corps étaient dès lors disposées comme suit de la droite à la gauche : au village de Rebecco la division de Luzy ; à Baëte la 1ère brigade de la division de Failly ; à gauche, vers la Casa-Nova et se reliant avec Mac-Mahon, la division Vinoy déployée, sept batteries d’artillerie et les deux divisions de cavalerie Partouneaux et Desvaux. Un peu plus en arrière, au centre de la ligne, la 2e brigade de la division de Failly en réserve.
Moyennant ces dispositions, le général Niel parvint non seulement à tenir à distance l’ennemi, mais encore à suivre le mouvement du maréchal Mac-Mahon. Il espérait bien plus encore : lorsque le 2e corps serait en possession de Cavriana, dit-il dans son rapport, et aussitôt que le 3e serait arrivé à Medole, il se proposait de porter le 4e sur Guidizzolo, de s’emparer de l’embranchement des routes, et de couper ainsi « la retraite soit sur Goïto, soit sur Volta aux masses ennemies qui occupaient la plaine ».
Plus loin nous verrons ce qu’il pouvait y avoir de fondé dans ces espérances. Quoiqu’il en soit, il fallait, pour opérer ce mouvement, que Niel fût rassuré sur sa droite, où les Autrichiens se montraient également en forces. Or, le maréchal Canrobert, qui avait une mission déterminée et fort importante, ne crut pas pouvoir, en ce moment, prêter au général Niel tout l’appui que celui-ci désirait.
Obligé d’entrer ici dans le débat qui s’est élevé entre les deux honorables maréchaux, débat regrettable à certains égards, mais intéressant par la lumière qu’il fournit sur les opérations, nous exposerons les faits tels qu’ils nous apparaissent d’après les documents publiés et en intervenant le moins possible dans la question personnelle.
Nous avons vu que le maréchal Canrobert, avec les premières troupes de son corps appartenant à la division Renault, était arrivé vers neuf heures un quart à Medole, où il avait appris que le 4e corps était engagé devant lui. La division de Luzy, formant la droite du 4e corps et la plus rapprochée de Medole, était à environ trois quarts de lieue de ce village, près de la route de Ceresara. On doit se rappeler que cette division et la division Vinoy qui se plaça à sa gauche avaient un front très étendu, cherchant à se relier avec MacMahon. Les généraux Niel et de Luzy demandant au maréchal Canrobert des renforts, ce dernier se mit en devoir, sans perdre une minute, de satisfaire à ces demandes. Il fit aussitôt rassembler par le général Renault les troupes le plus à sa portée, c’est-à-dire cinq bataillons du 41e et du 56e de ligne, qu’il achemina à la hâte et après leur avoir fait poser les sacs, sur la route de Ceresara.
A dix heures et demie, ces cinq bataillons, ainsi que nous l’avons déjà dit, se trouvaient en position à 2 kilomètres en avant de Medole, le 41e à cheval sur la Seriola Marchiale ; le 56e, placé en retour, faisant face à Castel-Goffredo ; une section d’artillerie se mit en batterie sur la route à la hauteur des tirailleurs. Ces troupes, renforcées successivement par tout le reste de la division Renault, sauf deux bataillons du 23e, furent un véritable appui pour la droite du 4e corps, et celle-ci put bientôt se rapprocher de sa gauche.
Toutefois cet appui donné par Canrobert n’était pas précisément, à ce moment-là, une déviation à ses instructions, car Ceresara est sur la droite de Medole et même de Castel-Goffredo. En portant sa gauche dans cette direction, le maréchal Canrobert ne manquait pas à la surveillance spéciale dont il était chargé. S’il se trouvait pouvoir en même temps soutenir le 4e corps, obligé de venir vers Ceresara quoique ayant pour but sa jonction avec Mac-Mahon et Guidizzolo, les choses n’allaient que pour le mieux. Mais pendant que le reste de la division Renault était successivement dirigé vers son chef, le maréchal recevait de l’empereur l’avis important dont nous avons parlé, ordonnant un mouvement général vers la gauche, tout en avisant aussi d’une manière pressante le chef du 3e corps de veiller aux Autrichiens sortis de Mantoue. Il en résulta sans doute que, lorsque le 4e corps fit son mouvement vers la gauche, la division Renault ne le suivit qu’avec prudence. Elle avait une double tâche à remplir, bien marquée par le double front de ses bataillons, et elle ne pouvait pas s’astreindre au seul but du 4e corps. Resterait à savoir exactement d’heure en heure, les positions que prit la division Renault depuis sa première, à dix heures et demie, jusqu’à cinq heures du soir, et la distance à laquelle elle resta, pendant ce temps, du 4e corps ; on pourrait juger alors si les reproches élevés à son endroit sont réellement fondés.
Il faudrait savoir en outre quelles furent les instructions données au commandant de cette division, et s’assurer qu’il n’y a pas eu de malentendu entre Canrobert, Niel et Renault quant à la subordination hiérarchique et à la destination de ce dernier. Puisque cette division était mise à la disposition du général Niel, c’était à celui-ci, semble-t-il, à la faire mouvoir à son gré, et il paraît même que c’est bien ainsi que l’entendait le maréchal Canrobert.
Dans tous les cas, il est certain qu’une partie au moins de la division Renault suivit de près le 4e corps, et que cette colonne, composée d’un bataillon du 56e, du 90e, de deux compagnies du 8e bataillon de chasseurs et d’une section d’artillerie, arriva à hauteur de Rebecco en temps assez opportun pour être utile. Une partie de la division Vinoy (73e de ligne) fut dégagée par elle d’un mouvement tournant de l’ennemi, et vers cinq heures ces troupes du 3e corps occupaient le village de Rebecco.
D’autre part, le maréchal Canrobert avait envoyé au commandant du 4e corps le général Trochu, avec la brigade Bataille, qui posa aussi les sacs pour aller plus vite.
Le général Niel, sachant qu’il serait appuyé au moins par trois brigades de Canrobert chercha à s’avancer contre Guidizzolo. Mais les Autrichiens, soit qu’ils eussent pressenti ce projet et reconnu le danger dont son exécution les menaçait, soit qu’ils ne fissent que donner suite à leur première combinaison, se préparaient à bien recevoir le général Niel. Les lenteurs auxquelles le chef du 4e corps français était condamné en attendant les renforts de son voisin de droite favorisaient les dispositions des Autrichiens.
L’empereur François-Joseph, fortement pressé dans les environs de Cavriana, ne pouvait plus avoir d’espoir que dans sa gauche. Mais si celle-ci, composée de quatre corps plus une réserve de cavalerie, dont quelques régiments seulement avaient été engagés, obtenait un succès et pénétrait, suivant les prévisions de la veille, jusqu’à Castiglione, tout pouvait être réparé. L’avantage des Français au centre ne devait leur être que plus fatal, car ils n’auraient été que mieux acculés au lac et aux montagnes.
Aussi, vers trois heures, le feldzeugmeister Wimpffen reçut de l’empereur l’ordre de faire un suprême effort avec toute son armée. Les 3e et 9e corps furent alors concentrés de nouveau en avant de Guidizzolo, le 3e à la droite, le 9e à la gauche, tous deux en première ligne ; le 11e corps en seconde ligne. La cavalerie était impatiemment attendue, car elle aurait eu devant elle un terrain propice. Pour le moment, elle n’était malheureusement représentée que par quelques escadrons ; la brigade Vopaterny courait sur l’extrême gauche, et la brigade de Lauingen, après ses échauffourées de Medole, s’était retirée d’un si grand trot qu’on ne l’avait pas revue. Elle était allée jusqu’à Goïto.
Le général Zedwitz eut beau envoyer adjudants sur adjudants à son brigadier et courir lui-même sur ses traces, il ne put pas le ramener en temps utile au combat, car les chevaux, qui n’avaient pas été fourragés depuis trente heures, étaient harassés. Cette lacune était d’autant plus défavorable à Wimpffen qu’il avait devant lui toutes les masses de la cavalerie française. Néanmoins il donna le signal de l’attaque.
C’est à peu près au même moment que le 4e corps français était lancé contre Guidizzolo ; les tirailleurs de Niel vinrent donc donner contre de fortes masses aussi en marche, et furent repoussés ainsi que leurs soutiens. Une lutte des plus vives s’ouvrit alors sur le terrain s’étendant de Guidizzolo à la ligne Rebecco, Baëte et Casa-Nova. Tout cet espace fut bientôt jonché de cadavres. Refoulées avec de grandes pertes sur les maisons de ces hameaux, les troupes du 4e corps français s’y défendirent vaillamment. Ordinairement décimées par le tir nourri et régulier des Autrichiens, elles prenaient leur revanche en chargeant à la baïonnette chaque fois que les lignes de feux les serraient de trop près. Cinq compagnies du 6e bataillon, barricadées dans la Casa-Nova, y firent des prodiges. La cavalerie de Partouneaux et de Desvaux s’y distingua également.
Le maréchal Canrobert était accouru sur les lieux, et, voyant le danger qui menaçait à la fois son collègue et la grande communication de Castiglione, il fit accélérer le plus possible la concentration de Renault et l’arrivée de Trochu. Cette demi-brigade entrait en ligne à quatre heures ; il était temps, car les troupes du 4e corps avaient été déjà toutes engagées, sauf deux bataillons de la division de Failly. Le général Trochu vint prendre la place de ces faibles réserves, tandis que le général Niel lançait celles-ci en avant, jointes à quatre bataillons déjà épuisés de la division de Luzy. Secondées par la cavalerie, ces troupes arrivèrent jusqu’aux premières maisons de Guidizzolo, le 30e de ligne en tête, mais là elles furent à leur tour arrêtées et ramenées brusquement en arrière par un retour offensif de la brigade Greschke.
La division Renault avait, dans ces entrefaites, atteint les abords de Rebecco, pressant la gauche des Autrichiens, et en outre le maréchal Canrobert, rassuré par une reconnaissance du colonel Besson sur les dangers qui pouvaient menacer la droite de l’armée, avait promis l’arrivée de la division Bourbaki avant la nuit. Aussi le général Niel voulut tenter encore un dernier effort sur Guidizzolo, et il mit cette fois en tête la brigade Bataille, qu’il avait gardée en réserve. Le général Trochu forma, sous les yeux du maréchal Canrobert, ses bataillons en colonnes serrées et les conduisit à l’ennemi en échiquier, l’aile droite en avant, avec autant d’ordre et de sang-froid que sur la place d’armes. La brigade enleva une compagnie d’infanterie et deux pièces de canon, et arriva jusqu’à demi-distance de la Casa-Nova à Guidizzolo.
Le 19e bataillon de chasseurs s’élançait vigoureusement à l’assaut des maisons lorsque l’orage dont nous avons parlé, éclata dans toute sa force et arrêta aussi le combat. Au reste, lors de cette action de la brigade Bataille, la dernière sur ce point, les Autrichiens étaient déjà décidés à la retraite générale. Ceux-ci, une fois l’orage calmé, ne firent plus de tentatives sérieuses d’offensive. Ils continuèrent à occuper Guidizzolo jusqu’à dix heures du soir, évacuant tous leurs blessés, pendant que, d’autre part, le 4e corps se rassemblait sur la ligne de Rebecco-Casa-Nova. Les pertes de ce dernier avaient été nombreuses car, sur toute l’étendue d’un champ de bataille de près de deux lieues, il avait été obligé de lutter contre des forces considérables. Près de 5 000 hommes lui avaient été mis hors de combat. Néanmoins les trophées n’étaient pas hors de proportion avec ces sacrifices. Un drapeau enlevé par le 76e, sept pièces de canon, 2 000 prisonniers furent la première récompense de la bravoure déployée par le 4e corps dans cette journée.
Quant au mouvement annoncé du 2e corps autrichien contre l’extrême droite alliée, qui avait paralysé le maréchal Canrobert, il n’aboutit pas.
Le prince de Lichtenstein était bien, en effet, sorti de Mantoue avec la division Jellachich et s’était avancé jusqu’à Marcaria, au delà de l’Oglio. Mais là, apprenant l’arrivée d’un corps allié venant de Piadena et Crémone, et pensant que c’était le corps du prince Napoléon, la division autrichienne s’arrêta pour l’observer. Elle avait été induite à ces craintes prématurées par l’arrivée de la division d’Autemarre à Piadena. La brigade de cavalerie Vopaterny, chargée de relier le mouvement tournant à la gauche de l’armée, lança dans diverses directions de forts détachements de uhlans, appuyés par de l’artillerie légère, qui avaient bien pu faire croire au maréchal Canrobert, conjointement aux autres indices, à la réalisation du projet contre lequel il était en garde.
Action de la gauche alliée (Sardes contre le 8e corps autrichien)
Nous avons laissé les avant-gardes des trois divisions sardes engagées dans deux actions bien distinctes, à savoir : la 1ère division (Durando) près de Madona-della-Scoperta, la 3e (Mollard) et la 5e division (Cucchiari) vers San-Martino. La 2e (Fanti) était en réserve à Lonato.
Vers midi, Durando, rétrogradé jusqu’à Casellin-Nuovo et San-Carlo-Vecchio, y reçut, avons-nous dit, le secours de la brigade Savoie. Il en employa les premières troupes, c’est-à-dire le 4e bataillon de bersagliers et le 1er bataillon du 2e régiment Savoie, à relever les grenadiers les plus serrés par l’ennemi. Une attaque impétueuse de ces deux bataillons, appuyée par le feu de la demi-batterie n° 12, arrêta un moment la marche des Autrichiens. Mais ceux-ci, après s’être ralliés, reprirent l’offensive et forcèrent encore à la retraite les têtes de colonne de la brigade Savoie. Celles-ci ne purent attaquer de nouveau qu’après avoir reçu les secours des 2e et 3e bataillons du 2e régiment et de la 11e batterie. Le 4e bataillon du 2e régiment et le 1er régiment entier étaient encore en arrière, pouvant servir de réserve.
Bientôt toute cette troupe dut se réunir pour résister à un double mouvement des Autrichiens, puis elle se lança en avant, appuyée encore par le feu des batteries de la 2e division (Fanti) qui apparaissait à gauche sur les hauteurs de Monte-Finazza. L’ennemi, assailli de front par le 2e régiment Savoie et les grenadiers, de flanc, à droite, par le 1er régiment, céda définitivement cette fois les gradins de Madona. Il battit en retraite dans deux directions différentes, c’est-à dire vers Pozzolengo et Rondotto d’un côté, et vers Castellaro de l’autre.
C’était aux environs de cinq heures. Car, à ce moment, nous disent les rapports officiels, éclata l’orage signalé déjà sur les autres points. Un peu après, le général la Marmora vint, de la part de Sa Majesté, prendre le commandement des deux premières divisions pour les diriger au secours des 3e et 5e, en convergeant vers Pozzolengo, opération très sage, et que les généraux Fanti et Durando étaient déjà en voie d’exécuter de leur propre chef.
Le roi Victor-Emmanuel avait d’abord, le matin, voulu porter la 1ère division dans la direction de Solferino pour donner la main à Baraguey d’Hilliers, mais nous savons comment cette division fut arrêtée forcément entre CastelVenzago et Madona-della-Scoperta.
Dans le même but, le roi avait mandé la division Fanti, laissée en réserve entre Lonato et San-Paolo. Celle-ci avait reçu, à onze heures du matin, l’ordre de quitter son camp et de se diriger en toute hâte sur Solferino. Mais, au bout d’une heure et demie de marche, un contre-ordre lui parvint pour la faire obliquer à gauche, à l’appui des divisions sardes, engagées elles-mêmes, on l’a vu, sur deux points différents et se trouvant dans une situation plus périlleuse encore que les Français.
En conséquence, le général Fanti fit tourner à gauche la brigade Aoste avec la 15B batterie, pour l’envoyer renforcer les 3e et 5e divisions à San-Martino, tandis que lui-même, avec la brigade Piémont, se dirigea vers la 1re division, à laquelle nous venons de voir qu’il put prêter son concours pour le dernier effort contre Madona.
La jonction de Fanti et Durando étant opérée, et ensuite des ordres apportés par le général la Marmora, les trois brigades grenadiers de Sardaigne, Savoie et Piémont se dirigèrent, toujours en combattant, vers Pozzolengo. Elles réussirent à refouler des secours envoyés par Benedeck sur Madona-della-Scoperta.
Mais, pendant ce temps, de rudes engagements avaient lieu plus à gauche, du côté de San-Martino. Sur ce point, nous avons laissé les choses au moment où les reconnaissances des 5e et 3e divisions, refoulées de Pozzolengo, essayaient de tenir vers l’église de San-Martino et d’y attendre les renforts du gros de leurs divisions.
A neuf heures environ, la brigade Cuneo, accourant la première, entra en ligne par la voie ferrée, laissant vers Rivoltella la seconde brigade (Pinerolo). La brigade Cuneo prit d’abord position dans les champs, à droite de la route Lugana, près de la Cassine-Neuve, le 7e régiment en première ligne, en colonne, le 8e en deuxième ligne. Elle s’avança bientôt contre San-Martino, réussit à s’établir dans les maisons à mi-côte, puis enfin à atteindre les hauteurs où elle entoura quelques canons ennemis. Mais cet effort avait coûté beaucoup de monde et disséminé les troupes. Les Autrichiens firent à leur tour une vigoureuse attaque à la baïonnette et précipitèrent la brigade Cuneo au pied des hauteurs, jusqu’à la voie ferrée. Dans cette affaire, le général major Cornaldi fut blessé et le colonel Beretta, du 7e, tué.
Ce ne fut qu’avec peine, et grâce au courage des chevau-légers Saluces et de quelques détachements du 7e de ligne et du 8e bersagliers (5e division), ainsi que des premières pièces d’artillerie de la 5e division, que les Sardes purent se maintenir dans leur position de la voie ferrée contre les tirailleurs tyroliens, qui les y poursuivaient.
Il était important de tenir ce point pour assurer un facile débouché aux troupes de renfort qui allaient arriver de Lonato et de Rivoltella. A dix heures environ, apparut le gros de la 5e division ; précédée de son artillerie, elle s’élança immédiatement à l’assaut de San-Martino, en tenant aussi la droite et la gauche de la route Lugana. Les bataillons des 11e et 12e régiments (Casale) attaquèrent les premiers et montrèrent beaucoup d’ardeur. Stimulés par leur chef, le général major Pettinengo, ils s’emparèrent d’abord des positions à gauche de la route, savoir de l’église de San-Martino et du Roccolo, sans se laisser arrêter par le feu violent des batteries et de la mousqueterie autrichienne.
A droite de la route, trois bataillons du 12e et le 10e bersagliers enlevaient les fermes Canova, Armia, Selvetto, Monata, Controcania, que les Autrichiens avaient garnies de tirailleurs. Mais, des deux côtés, les Sardes, après quelques succès, furent encore rejetés en arrière et ne se rallièrent que par le secours de la brigade Acqui, s’avançant de seconde ligne. Celle-ci marcha à son tour en avant, précédée du 5e bersagliers. Le 17e de ligne, se divisant en deux colonnes, vint se placer à la droite et à la gauche du 11e. San-Martino, le Roccolo, la Controcania furent repris par les Sardes pour la cinquième fois, vers midi et demi. Mais ce succès ne fut encore que passager.
Les Autrichiens, forts d’au moins quatre à cinq brigades, avaient en ce moment le quadruple avantage du nombre, des positions, d’une forte artillerie et de l’unité du commandement.
Tandis que les Sardes se confondaient en attaques morcelées et sans soutiens, Benedeck savait employer avec à propos ses réserves, tout en agissant sur les flancs de ses adversaires. En même temps qu’il menaçait leur droite par ses tirailleurs et faisait ainsi éprouver aux Sardes des craintes pour leur retraite sur Desenzano, qui les forçaient à dégarnir leur gauche de trois bataillons du 12e, Benedeck avait fait masser trente pièces d’artillerie dans une bonne position, sur son extrême droite. Ces batteries, prenant d’écharpe la gauche sarde, y firent de larges trouées. Vu le terrain coupé et encombré, l’artillerie piémontaise, entre autres son gros calibre (9e batterie), ne put pas parvenir à se placer et à contrebalancer le tir ennemi.
Aussi la retraite dut être ordonnée. Elle s’effectua avec de grandes pertes, sous la protection du 18e de ligne et du 10e bersagliers (3e division), qui durent s’engager vigoureusement dans trois positions successives. Ce ne fut qu’à Rivoltella que les troupes de la 5e division, harassées de fatigue, purent être réorganisées. Elles prirent alors une position d’expectative dans et derrière ce village, où elles restèrent jusque vers quatre heures et demie.
Une portion de la brigade Cuneo, de la 3e division, avait été entraînée en désordre dans le mouvement de retraite de la 5e. Mais une autre partie cependant s’était maintenue autour de la voie ferrée, avec le secours de la brigade Pinerolo, arrivée pendant ce temps de ses positions en avant de Rivoltella. Celle-ci avait traversé la voie ferrée entre la Cassine-Nocente et la Cassine-Pigne, puis s’était avancée à la hauteur de la Cassine-Brugnoli, le 13e en première ligne, le 14e en seconde. Mais, lorsqu’elle attaqua, il était déjà trop tard pour rétablir l’équilibre ; la division Cucchiari était en pleine retraite. La brigade Pinerolo dut aussi se replier, et elle prit position à l’ouest de la Cassine-Brugnoli, couvrant la voie ferrée. Il y eut alors une pause générale de part et d’autre, pause qui ne s’explique de la part de Benedeck que par les pertes qu’il avait aussi faites et par sa préoccupation de ce qui se passait alors à Madona et à Solferino.
Vers trois heures après midi, le général Mollard reçut de Sa Majesté l’ordre de tenir ferme dans ses positions, avec l’avis encourageant que le secours de la brigade Aoste ne tarderait pas à arriver et que la 5e division serait rappelée en ligne. Une nouvelle attaque pouvait encore avoir lieu et obtenir plus de succès, si elle était mieux combinée. Car jusqu’ici le mal était provenu, ainsi que le remarque le général Mollard dans son rapport, d’un certain défaut d’ensemble dans les assauts courageux et persistants des troupes sardes.
Vers quatre heures, la brigade Aoste, après avoir eu à combattre sur sa route, débouchait par la voie ferrée et ralliait la 3e division au milieu de vives acclamations de joie. Elle alla prendre position sous San-Martino et Roccolo à l’extrême gauche, le 5e régiment en première, le 6e en seconde ligne, et reçut ordre de converger à droite au signal de l’attaque. La brigade Pinerolo prit position à droite de la précédente, le 14e en première, le 13e en seconde ligne, et reçut l’ordre de converger à gauche au signal de l’attaque. Les deux brigades feraient ainsi un effort sur le même point, l’église de San-Martino. Un détachement d’un bataillon du 14e, de deux compagnies du 2e bersagliers et d’une section d’artillerie, fut chargé de tourner la forte position par San-Michel, San-Girolamo, le Monte-Mamo, San-Donino, le val de Sole, pour inquiéter la gauche ennemie.
De la 5e division, aucune troupe n’était là. Néanmoins l’arrivée de la brigade Aoste et les ordres du roi avaient semé dans tous les rangs une vaillante ardeur, et le général Mollard allait, sous cette impression, faire une nouvelle attaque sans qu’il pût être certain d’un appui efficace de la 5e division. Heureusement pour lui éclata en ce moment l’orage qui partout, et ici aussi, ralentit les mouvements des combattants. Les colonnes déjà en marche s’arrêtèrent quelques instants. Néanmoins, aussitôt que ce fut matériellement possible, elles s’avancèrent de nouveau contre l’ennemi qui les reçut presque à bout portant par un feu très meurtrier.
Après maints efforts, les Sardes purent enfin prendre possession de quelques maisons à mi-côte qui leur servirent de point d’appui. L’artillerie des 6e, 15e et 5e batteries y fut aussitôt conduite, et put ouvrir de là un feu très utile sur les maisons et les jardins de San-Martino. Mais cet avantage coûta cher. Un grand nombre d’hommes tombèrent ; le général Cerale, commandant la brigade Aoste, fut blessé, les colonels Caminati, du 13e et Balegno, du 14e, furent mortellement frappés.
Pendant ce temps, la brigade Cuneo avait suivi le mouvement avec le 7e de ligne, et avait porté le 8e sur la voie ferrée, face vers Peschiera, pour couvrir la gauche. La division Cucchiari était aussi revenue en ligne et ses deux brigades s’étaient résolument, quoique périlleusement, placées à l’extrême gauche de la brigade Aoste, cherchant à tourner la droite ennemie et à menacer ses communications avec Pozzolengo. Dans ces conditions eut lieu enfin une attaque générale, la première de la journée, avec cinq brigades à la fois, sans compter que le général Fanti, avec la brigade Piémont, arrivait en ce moment, par la route de Madona à Pozzolengo, à hauteur de San-Martino, et put de son artillerie prendre à revers les Autrichiens.
Cette fois, l’assaut ordonné réussit, et la 5e division entre autres, y vengea pleinement son précédent échec. Les Autrichiens du 8e corps connaissaient d’ailleurs le résultat de la bataille de Solferino et ils savaient qu’ils devaient se replier. Néanmoins ils défendirent vigoureusement encore une dernière fois la position de San-Martino. Mais, vers le coucher du soleil, ils durent l’abandonner définitivement à la brigade Aoste, au 14e régiment et aux troupes de la 5e division qui y pénétraient de tous côtés et qui y prirent cinq canons.
Les artilleurs sardes, et surtout les batteries 5e, 6e et 15e, s’y mirent promptement en position, battant les hauteurs qui s’étendent sur une ligne parallèle à celle de San-Martino et où les Autrichiens avaient placé de fortes arrière-gardes. Une charge d’un escadron Montferrat termina le combat sur ce point, et à la nuit les Autrichiens laissaient tout le plateau aux Piémontais.
Devant le village de Pozzolengo, la division Durando et la brigade Piémont, arrivant de Madona-della-Scoperta, firent aussi leur jonction avec celles qui venaient de combattre à San-Martino. Les premières avaient eu, elles aussi, à lutter dans la montagne contre plusieurs détachements et postes autrichiens, entre autres du régiment Prohaska, et à vaincre de grandes difficultés de terrain. Leur présence devant Pozzolengo complétait le succès et assurait aux Sardes la possession du plateau.
La perte totale des quatre divisions piémontaises dans cette sanglante journée fut de près de 6000 hommes hors de combat. Celle des Autrichiens, qui avaient tout l’avantage des positions, fut bien moindre.
De part et d’autre, sur ce point de la grande bataille du 24 juin, on se félicita de la victoire, et, dans le fond, les deux parties purent le faire avec autant de raison l’une que l’autre, car chacune d’elles avait atteint son but.
Benedeck avait réussi à retenir les Sardes un jour entier, et c’était tout ce qu’il pouvait espérer à l’aile droite, pendant que la gauche de l’armée autrichienne devait frapper le coup décisif.
Les Sardes avaient pris possession, quoique un peu tard, du plateau de Pozzolengo, et c’était là aussi le but principal des ordres donnés la veille. Ces ordres, ils les exécutèrent au prix de lourds sacrifices il est vrai, mais cela ne fit que mieux ressortir le courage et la ténacité de ces troupes, revenant cinq et six fois à l’assaut des mêmes positions.
Retraite des Autrichiens au-delà du Mincio
Nous avons vu que c’est au moment de l’orage, c’est-à-dire à peu près vers cinq heures, que se dessina le mouvement général de retraite du centre et de la gauche de l’armée autrichienne. A la droite, Benedeck tint environ deux heures de plus, soit par suite de ses succès de la journée, soit qu’il ne fût informé qu’alors de la situation des choses au centre.
Repoussé de San-Martino, Benedeck fit occuper encore Pozzolengo et ses abords jusqu’à dix heures du soir, couvrant ainsi la retraite de son corps et celle du 5e, qui se replièrent sur Salionze pendant la nuit. Les Piémontais ne firent pas de poursuite et prirent leurs bivouacs entre San-Martino et Pozzolengo, vers dix heures du soir seulement.
Au centre, la retraite fut couverte par la division du prince de Hesse à Volta et par la brigade Gablentz sur les hauteurs de Bosco-Scuro derrière Cavriana. A dix heures, ces positions furent évacuées : la brigade Gablentz se retira sur Volta et de là sur Ferri. Les 7e et 1er corps repassèrent le Mincio à Ferri et Valeggio, laissant quelques arrière-gardes au défilé de Borghetto. Les Français ne poursuivirent pas au delà de Bosco-Scuro et bivouaquèrent autour de Cavriana. L’empereur Napoléon prit le logement même qu’avait quitté le matin l’empereur d’Autriche.
A gauche, il n’y eut également pas de poursuite. Les Français dressèrent leurs tentes sur le champ de bataille autour de Rebecco. Une brigade du 11e corps, sous la direction du lieutenant-feld-maréchal Weigl lui-même, occupa Guidizzolo jusqu’à dix heures du soir, pendant l’évacuation des blessés et des trains, puis se retira sur Goïto. Elle fut soutenue par la brigade de cavalerie Lauingen, arrivée enfin entre les routes de Guidizzolo et de Ceresara aux derniers instants de la lutte. Les 3e, 9e et 11e corps se retirèrent par Ferri et Goïto. La division du 2e rentra à Mantoue par le plus court chemin.
Le 24 au soir, le quartier général de la 1ère armée était à Goïto et celui de la 2e à Valeggio. Dans la matinée du 25, les dernières troupes de la 1ère armée passèrent le Mincio et les arrière-gardes firent sauter le pont de Goïto. Le 25, le quartier général de l’empereur François-Joseph était à Villafranca, et le 27 à Vérone. Les Français, ce même jour, prenaient possession du Mincio.
Les pertes s’élevèrent aux chiffres approximatifs suivants :
- Autrichiens : Officiers : 50 tués, 489 blessés - Troupe : 2261 tués, 10160 blessés, 8500 disparus. Total des hommes hors de combat : environ 21500.
- Français : Officiers : 150 tués, 270 blessés – Troupe : tués et blessés, 12000 ; 3000 disparus. Total des hommes hors de combat : environ 13000.
- Sardes : Officiers : 49 tués, 167 blessés – Troupe : 642 tués, 3405 blessés ; 1200 disparus. Total des hommes hors de combat : environ 5500.
Total des alliés hors de combat : 18500.
Telle est cette grande bataille, l’une des plus importantes de notre siècle à tous égards.
Nous n’élevons point la prétention d’avoir pu la rendre dans tous ses détails, ni d’avoir donné un récit exempt de lacunes et peut-être même d’inexactitudes plus ou moins graves. N’ayant eu à notre disposition, en fait de documents, que ceux publiés par les états-majors, lesquels se réduisent, pour les Français, aux rapports des corps, et pour les Autrichiens au rapport général, il nous a été impossible d’éclaircir et de développer certains points autant que nous l’eussions désiré.