Début du siège de Tuyen-Quan (Tonkin)
23 novembre 1884 – 3 mars 1885
D’après la « Revue du génie militaire » – 1913
Pendant 2 mois et demi dont 36 jours de tranchée ouverte, 600 hommes, sous la conduite d’un chef héroïque, tinrent tête à une petite armée chinoise. Ceux-ci tirèrent 10 000 obus, brûlèrent 1 million de cartouches, creusèrent 8 km de tranchées, 10 galeries de mines et firent 7 explosions.
En raison de l’importance qu’acquirent les travaux d’amélioration de la fortification et du grand rôle que joua la guerre souterraine, cette défense énergique mit en évidence la personnalité d’un modeste héros, le sergent Bobillot, dont le zèle, l’intelligence et l’initiative, ainsi que la part considérable prise dans la défense, rappellent la belle conduite du mineur Saint-Jacques, au siège de Monzon.
La citadelle de Tuyen-Quan formait un carré de 275 m de côté, dont le côté est borde la rive droite de la rivière Claire (affluent du fleuve Rouge). Une porte était percée au milieu de chaque face dans une sorte de demi-lune saillante servant au flanquement de l’escarpé.
L’enceinte était constituée par un mur en maçonnerie de 3,50 m de hauteur, soutenant un remblai de 2,50 m de largeur au sommet. Le rempart était arasé à 1 m en dessous de la crête du mur, qui formait ainsi parapet d’infanterie. Les remparts étaient dominés des deux côtés du fleuve par des hauteurs dangereuses.
La citadelle avait été occupée le 1er juin par la colonne du général Millot. Une petite garnison qu’on y laissa parvint, malgré des conditions sanitaires défectueuses, à résister aux incursions de nombreuses bandes de Pavillons noirs.
En novembre 1884, cette garnison fut relevée par la colonne du lieutenant-colonel Duchesne, et remplacée par :
- 2 compagnies de la légion étrangère (390 hommes) ;
- 1 compagnie de tirailleurs tonkinois (107 hommes) ;
- 31 artilleurs de marine avec 1 officier ;
- 1 détachement du génie du 4e régiment sous les ordres d’un sergent (sergent Bobillot, caporal Cacheux, chasseurs Blanc, Edme, Vedeme, Raymond, Conzi et Dominique) ;
- 3 infirmiers, 3 soldats d’administration.
Au total, la garnison comprenait 610 hommes, dont 10 officiers, 1 médecin militaire, et 1 aide-commissaire de la marine.
A cette garnison, il faut ajouter l’équipage de la Mitrailleuse (25 hommes), petite canonnière qui, ne pouvant naviguer sur la rivière Claire par suite de la baisse des eaux, se trouvait bloquée sous la protection de la place, près de la porte est. Elle assura pendant le siège la protection des corvées d’eau.
L’artillerie de la citadelle était très faible, l’infanterie avait à sa disposition 300 000 cartouches environ ; l’approvisionnement en outils se réduisait à 27 pioches, 40 pelles, 4 haches. Il y avait des vivres pour quatre mois.
Le commandant Dominé avait fait sa carrière dans le Sud-Oranais. Après avoir passé par l’École de guerre et coopéré à l’occupation du M’Zab (1882), il était venu au Tonkin en 1883, et venait d’être promu chef de bataillon. Sous des apparences très douces et très modestes, le commandant Dominé cachait un courage à toute épreuve, un jugement sûr et un esprit inventif.
La place fut déclarée en état de siège le 24 novembre. Le sergent Bobillot fit partie, en qualité de chef du génie, du conseil de défense. « Né à Paris en 1860, Bobillot avait fait d’excellentes études avant de s’engager au 4e régiment du génie. Simple sous-officier, le hasard en fit un chef de service. Il sut être à la hauteur des circonstances, et ses chefs et ses compagnons d’armes ont admiré en lui, non seulement le technicien habile, mais encore et surtout l’homme de dévouement, oublieux de lui-même, et prêt à se donner tout entier pour le salut de tous ».
Bien que la présence d’environ 13 000 Chinois eût été signalée dès le 27 novembre dans un rayon de 20 km, ce fut seulement le 20 décembre, que la place se trouva investie. Plusieurs attaques de vive force furent repoussées (1er janvier, 10 janvier, 19 et 20 janvier), et en présence de leurs insuccès, les assiégeants se décidèrent à entreprendre le siège régulier de la citadelle (21 janvier). Quelques jours plus tard (le 31 janvier), un petit blockhaus établi sur un mamelon à l’ouest de la citadelle dut être abandonné par ses 18 défenseurs qui se réfugièrent à l’intérieur de la citadelle.
Les boyaux de communication des assaillants étaient dirigés plus particulièrement contre le saillant sud-ouest, et tout faisant croire à une attaque souterraine, le gouverneur prit ses dispositions pour les cas d’explosion de mines. La brèche ne devra pas être couronnée immédiatement après l’explosion, on s’empressera de placer des sentinelles sur la brèche, pendant que la troupe restera en position d’attente ; les sentinelles préviendront du moment où les Chinois se porteront à l’assaut, et c’est à ce moment seulement, indiqué par la sonnerie de la charge, que les réserves générales devront s’élancer pour défendre la brèche.
Le 8 février, le sergent Bobillot reconnaît que l’adversaire chemine en galeries souterraines contre le mur. Il l’annonce au gouverneur et le prévient qu’il faut s’attendre bientôt à une explosion. « Il faut, dit-il, marcher aux Chinois, et les faire sauter eux-mêmes. Malheureusement nous n’avons pas de poudre. Eh bien, reprend Bobillot, nous ferons des galeries quand même. Si elles ne servent pas à l’établissement des fourneaux, elles formeront, convenablement élargies, des évents qui diminueront les effets de l’explosion ennemie ».
En conséquence, on écoute constamment pour déterminer la direction du mineur ennemi. Et l’on prend comme règle, de construire deux galeries de recherche à la rencontre de chacune des galeries qui sera signalée du côté de l’attaque.
Le 11 février à 8h30 du matin, l’ennemi travaillait dans la galerie n° 2 en même temps que nous dans la galerie correspondante. Le légionnaire Maury donne à ce moment un coup de pioche qui crève la paroi le séparant du mineur ennemi. Celui-ci, qui était sur ses gardes, fait une décharge de revolver et blesse le légionnaire au pied.
Le trou est bouché au moyen de sacs à terre et une petite palissade est faite pour reconstituer un obstacle. En même temps, le sergent Bobillot cherche à inonder la galerie dé l’adversaire, qui se trouve en contrebas ; ce procédé semble réussir, mais, quelques moments après, on entend de nouveau le travail du mineur.
Le 12 février, à 5h30 du matin, eut lieu la première explosion de l’attaque, à l’extrémité de la galerie 2 « grâce aux contre-galeries qui formaient évents, le mur n’a été que crevé et la brèche n’est pas praticable » (Lieutenant-colonel Dominé, Journal du siège).
Le 13 février, à 3 h du matin, une deuxième explosion ébranle la citadelle, cette fois le mur d’escarpe est renversé sur 15 m de longueur, mais l’assaut est repoussé par le capitaine Moulinay.
Sans se décourager, les Chinois poussent de nouvelles galeries vers le saillant sud-ouest. De notre côté, le détachement du génie reconstitue un retranchement et un obstacle sur la brèche, et une modification heureuse prise sur la proposition du sergent Bobillot dans la composition et l’emploi des équipes de travail, permit d’avoir un meilleur rendement dans le travail effectué.
Les équipes de travailleurs commencèrent dès lors, dans la citadelle, un retranchement intérieur, en prévision de la chute par la mine du saillant sud-ouest.
Le 18 février, à 6h30 du matin, le sergent Bobillot est blessé grièvement en faisant une ronde ; le caporal Cacheux le remplace comme chef de service.
On continue l’exécution des contre-galeries, et le bombardement de la place par les Chinois ne trouble pas les travailleurs outre mesure.
Le 21 février, à 4 h de l’après-midi, le caporal du génie rend compte que l’ennemi travaille activement dans une des galeries, et qu’il faut s’attendre pour le lendemain, à une explosion de mine à droite de la première brèche faite.
Le commandant Dominé renouvelle alors les recommandations déjà faites, et insiste surtout sur ce point qu’il ne faut pas couronner la brèche immédiatement après l’explosion de la mine, mais que le mouvement en avant du défenseur doit correspondre à un mouvement semblable de l’adversaire.
Le 22 février, à 6h15 du matin, les Chinois poussent de grands cris. En prévision d’une explosion prochaine, le capitaine Cattelin, commandant le détachement de la légion, fait descendre du parapet les factionnaires du saillant. En effet, quelques moments après, la mine de la droite de la brèche, annoncée la veille par le caporal du génie, sautait (3e explosion).
Comme l’ordre en avait été donné, la demi-section chargée de couronner la brèche se disposait en arrière dans une position d’attente. Mais tout à coup, les cris des Chinois se font entendre à faible distance et un chapeau chinois paraît sur la brèche. Le capitaine Moulinay, emporté par son ardeur, entraîne la demi-section et garnit la brèche, les travailleurs suivent aussitôt.
Devant ce mouvement, les Chinois qui étaient sortis de la tranchée, y rentrent vivement. Mais le capitaine Moulinay n’était pas sur la brèche depuis quelques minutes, qu’une explosion inattendue (4e explosion) se produisait et nous coûtait 12 tués, parmi lesquels le capitaine Moulinay, et une vingtaine de blessés. Cette deuxième mine, creusée dans un terrain déjà ameubli par les explosions précédentes, n’avait pas été aperçue par les sapeurs.
La section de la légion si cruellement éprouvée est immédiatement remplacée par une autre section, laquelle prend place derrière la brèche. Quelques instants après, une troisième mine (5e explosion), cause une troisième, brèche, mais sans le moindre trouble, une demi-section de la réserve générale se dispose en arrière de la troisième brèche.
En ce moment, l’ennemi fait une tentative d’assaut général, mais il est repoussé, et aussitôt après les détachements reprennent position en arrière des brèches, pendant que les travailleurs réparent le retranchement.
Le 23 février, on consolide les nouvelles défenses des trois brèches, et le 24 février au matin, on repousse à l’arme blanche une nouvelle tentative d’assaut des Chinois.
Le 25 février, une sixième explosion augmente la longueur de la brèche. L’assaut est repoussé, mais le flanquement des faces ouest et sud de la citadelle n’existe plus, et on ne peut empêcher l’adversaire de se rassembler sans être vu, au pied des brèches.
Le 28 février, une septième mine saute vers le milieu de la face sud. Un assaut général est ensuite donné. Pendant 30 minutes le combat se maintient à bout portant sur les brèches, les combattants n’étant séparés que par la palissade de bambous dont elles sont couronnées.
Les Chinois sont repoussés et une deuxième tentative d’assaut échoue encore. A 8 h du soir, la colonne qui vient débloquer Tuyen-Quan annonce son approche par des fusées qui sont très bien vues de la citadelle.
Le 2 mars, on entend la canonnade et la fusillade des troupes de secours.
Le 3 mars, à 2h de l’après-midi, le général Brière de l’Isle, commandant en chef, arrivait à Tuyen-Quan avec la brigade Giovaninelli ; les Chinois étaient disparus depuis la veille.
Le sergent Bobillot fut proposé pour la croix. Mais transporté à l’hôpital à Hanoï, il y mourut le 18 mars avant de l’avoir reçue.
Le sergent Cacheux, qui avait succédé à Bobillot comme chef de service, le caporal Blanc qui avait reçu deux balles à la tête, les sapeurs Vedeme et Edme reçurent la médaille militaire.