D’après un article du lieutenant-colonel Grasset, extrait
de la « Revue militaire française publiée avec le concours de l’État-major de l’armée » – Décembre 1925
B - La Région Fortifiée de Verdun (R. F. V.).
Verdun, secteur calme.
a) Le déclassement. En janvier 1916, Verdun n’avait plus d’un camp retranché que le nom et l’aspect général sur les cartes, avec ses forts et ses batteries soigneusement relevés en gros traits rouges. En réalité, en vertu du décret du 5 août 1915, son artillerie, comme d’ailleurs celle de toutes les grandes places fortes françaises ou allemandes, Toul, Épinal, Belfort, Langres, Metz-Thionville ou Strasbourg, avait servi à armer d’autres secteurs du front.
Même, le 5 août 1915, le Haut Commandement avait disposé de la garnison de Verdun, ainsi que des approvisionnements en vivres et en munitions qui se trouvaient dans la place et dans ses zones de réquisition.
Le général Herr, gouverneur de Verdun, placé sous le commandement du général Dubail, commandant le groupe des armées de l’Est, a reçu, le 10 août, l’ordre de mettre le front de la R. F. V. en harmonie avec celui des armées.
Aux termes des instructions reçues, il faut en particulier :
- - Fixer le tracé et l’ergarisation des lignes de défense successives à créer, pour maintenir la liaison entre les armées d’opération, dans le cas de fléchissement de ces armées, et étudier le nouveau rôle qu’il convient d’attribuer aux ouvrages permanents de Verdun dans cette nouvelle conception. Proposer tous déclassements, renforcements et remaniements utiles. Les lignes successives devront utiliser, autant que possible, les organisations actuelles et les ouvrages du camp retranché.
- - Produire le plus tôt possible les demandes au point de vue du matériel à enlever de la place, pour l’armement de sûreté des nouvelles lignes créées, et permettre au général en chef de disposer librement d’une grande partie des ressources actuellement enfermées dans la place.
- - Prévoir l’évacuation de ces ressources supplémentaires, sur un ordre du commandant en chef. Cette opération devra se faire avec beaucoup de méthode, pour ne pas être ébruitée.
b) Réduction du matériel. A partir du mois d’août 1915, Verdun, qui disposait à la mobilisation d’un millier de pièces lourdes, approvisionnées à quelques 600.000 coups, vit donc peu à peu diminuer un armement dont le maintien ne répondait plus aux buts du commandement.
De sorte qu’aux derniers jours de janvier 1916, il ne restait plus, comme artillerie lourde, dans la R. F. V. que deux groupes de 155 long et un groupe de 155 court du 102e régiment d’artillerie lourde ; 1 groupe de 155 court du 114e ; trois pièces de 155 mm long sur affût-truc et deux pièces de 200 ne pouvant être déplacées que sur voie ferrée normale et inutilisables par conséquent sur la plus grande partie du front de la R. F. V. huit pièces de 120 long et quatre de 155 court, utilisables sur voie de 0,60 ;
Dans la réserve de la place, 12 mortiers de 220 que, le 30 janvier, le général Herr allait encore recevoir l’ordre d’envoyer à Épinal.
c) Réduction des effectifs. Aux termes du décret du 5 août, les unités affectées au secteur de la R.F.V., n’étaient plus considérées comme des unités de forteresse, mais pouvaient comme toutes les unités de campagne, être appelées à participer à des opérations actives. Des prélèvements y furent donc faits, en vue des offensives de Champagne, et en revanche, d’autres unités, fatiguées et réduites par la bataille, vinrent y séjourner, parce que ce secteur, toujours considéré comme défensif, était demeuré un secteur calme.
Au total, fin décembre, le général Herr, commandant la R.F.V., disposait, pour organiser, entretenir et défendre son front de combat de 112 km, de 53 bataillons actifs et de 34 bataillons territoriaux. C’était moins de 80.000 hommes, soit environ 2 hommes pour 3 m courants.
d) Importance des travaux à effectuer. Ces effectifs étaient évidemment faibles pour assurer, de jour et de nuit, la garde d’un front aussi étendu, même en secteur calme. Ils étaient tout à fait insuffisants pour remplir la mission qui leur incombait par surcroît, de transformer la région fortifiée en un chaînon de la ligne générale du front des armées. Cette transformation comportait, en effet, la création des quatre positions de défense prévues partout, tranchées renforcées, avec défenses accessoires, fils de fer ou abatis, boyaux de communications et abris ; l’enlèvement des pièces d’artillerie des ouvrages et leur répartition entre des batteries à construire, répondant aux nouvelles nécessités tactiques.
Faut-il ajouter que le matériel indispensable pour l’exécution de ces travaux, outils de parc, rondins, madriers ou réseaux de fil de fer, ne pouvaient être accordés à la région fortifiée que très parcimonieusement, les envois à Salonique absorbant, à cette époque, le plus clair de la production de nos usines et de nos ateliers.
A noter enfin que le mauvais temps persistant rendait la tâche des travailleurs particulièrement pénible, détruisant en une nuit l’oeuvre laborieuse de plusieurs journées.
Donc, si en janvier, la première position de défense était à peu près en état pour le tracé des tranchées et l’aménagement des ouvrages, elle ne l’était encore ni pour la mise en place des défenses accessoires, ni pour la construction des abris de bombardement. Les boyaux de communication qui devaient relier la première et la deuxième position n’existaient presque nulle part.
Quant aux deuxième, troisième et quatrième positions, les mêmes que le général Coutanceau, gouverneur de Verdun, avait fait tracer et commencer en 1914, elles n’avaient même pas pu être entretenues et leur valeur était nulle.
Avec cela, une anecdote donnera une idée de la densité des effectifs sur ce vaste front. Le 23 octobre 1915, le général Dubail, venu pour visiter le secteur de la 72e division, fut conduit à la Grand’Garde de la Croix des Volettes. Il y trouva un officier et trois hommes. Il s’enquit de la fraction disponible en cas d’alerte, et le général Bapst, commandant la division, de lui répondre : « Mon général, vous êtes au milieu de la Grand’Garde. Le noyau, après avoir fourni le service de première ligne des avant-postes et les quelques corvées journalières indispensables, se trouve réduit à une faible escouade. L’officier qui est là est le commandant de cette grand’ garde ».
L’alerte.
a) Les indices. On savait, d’une manière certaine, la fin de décembre, que l’ennemi avait l’intention de déclencher une offensive de grand style sur le front occidental. Mais c’est seulement le 10 janvier qu’il fut possible de penser que Verdun, avec quelques autres parties du front, d’ailleurs, notamment la Champagne et Belfort, était plus particulièrement visé.
Le 12 janvier, on signala, au nord de Verdun, des exercices de tir de pièces de calibres inusités. L’ennemi détruisait, dans cette région, les clochers qui, jusque-là, avaient servi de repères pour le réglage de l’artillerie française.
On savait que des mesures étaient prises, entre Montmédy et la frontière, en vue d’une importante concentration de forces. On signala le débarquement de pièces de marine à la gare de Pierrepont ; l’installation de nouveaux cantonnements à l’arrière du front ; la construction de nouveaux abris à l’épreuve pour des effectifs considérables, près des premières lignes ; la multiplication des barrages aériens, pour empêcher nos avions d’observer les lignes allemandes. Enfin, les déserteurs se firent fort nombreux et parlèrent. Mais des indices analogues étaient relevés en Champagne, en Artois et vers Laon.
Le général Herr n’en adressa pas moins au commandant du Groupe des Armées de l’Est, le 16 janvier, une lettre faisant ressortir la possibilité d’une attaque sur Verdun, et la faiblesse des moyens dont la R.F.V. disposait pour y parer. Cette lettre, ferme, courageuse et fortement documentée, émut le Grand Quartier Général. Elle provoqua des décisions.
b) Mesures prises à partir du 22 janvier. Le 22 janvier, un ordre du G.Q.G. enlève le commandement de la R.F.V. au Groupe des Armées de l’Est, pour le donner au général de Langle de Cary, commandant le Groupe des Armées du Centre. Les régions menacées de la Champagne et de Verdun obéiront ainsi aux mêmes directives.
Le 23 janvier, le général de Castelnau, adjoint au Commandant en chef des armées françaises, vient inspecter la R.F.V. pour se rendre un compte exact de sa situation et de ses besoins.
Il constate, dans son rapport, que le possible a été fait, et que particulièrement dans le secteur nord celui sur lequel va déferler l’attaque, « l’organisation de la première position (ligne de surveillance, ligne de résistance, réduits) répond entièrement aux directives données par le général Commandant en Chef dans ses instructions ».
Il donne des conseils pour renforcer les flanquements et prescrit de construire une ligne intermédiaire, à contre-pente, entre les première et deuxième positions.
Se rendant compte du manque de bras pour le travail et de fusils pour le combat, il promet des renforts.
En effet, avant la fin de janvier, sont acheminés sur Verdun :
- Comme troupes, d’abord les 51e et 67e divisions, puis les 14e et 37e, ces deux dernières formant le 7e corps. Le 20 février, arriveront les 16e et 48e divisions.
- Comme artillerie, outre les artilleries divisionnaires de ces grandes unités, vont arriver successivement, du 11 au 20 février huit groupes de 155 mm long et de 155 mm court T. R. des 102e et 114e régiments d’artillerie lourde ; un groupe de mortiers de 220 mm et un groupe de 270 mm ; un groupe de 100 T.R. ; un groupe de 155 court T.R. ; un groupe de 155 court ; un groupe de 24 et un groupe de 19 d’artillerie lourde sur voie ferrée (A.L.V.F.).
c) La période du 13 au 20 février. Période de fièvre. Les déserteurs allemands aflluaient. Depuis le 12 février, on s’attendait à une ruée et on hâtait les derniers préparatifs pour y faire face. L’infanterie était alertée, le doigt sur la détente, dans les tranchées de première ligne.
Les batteries nouvelles venaient s’installer à côté des anciennes, construisant à la hâte leurs épaulements et leurs abris ; se renseignant sur les objectifs, sur les éléments du tir, exécutant quelques tirs d’essai. Tout cela par un temps affreux, sous des bourrasques de neige et de pluie glacée qui détruisaient les terrassements, transformaient les tranchées en des cloaques de boue où l’on s’enlisait, paralysaient les travailleurs, les obligeant à s’abriter pour ne pas mourir de froid.
Le commandement s’organise ainsi :
Le 7e corps d’armée (général de Bazelaire) comprenant les 29e et 67e divisions, a la garde de la rive gauche de la Meuse, depuis Avocourt jusqu’au fleuve.
Sur la rive droite, le 30e corps (général Chrétien) tient depuis la Meuse jusqu’à la voie ferrée d’Étain, avec, de la gauche à la droite, les 72e, 51e et 14e divisions.
Le 2e corps (général Duchêne) déploie les 132e, 3e et 4e divisions depuis la voie ferrée d’Étain jusqu’à la redoute des Paroches.
La 16e division tient la redoute des Paroches par sa 32e brigade. Sa 31e brigade est réservée, à la disposition du général commandant la R.F.V.
Les 37e et 48e divisions sont en réserve, à la disposition du général Herr, la première dans la région de Souilly, l’autre dans celle de Chaumont-sur-Aire.
Au total, quand l’attaque allemande va se produire, le général Herr disposera dans l’ensemble de la R.F.V. de 138 bataillons actifs ou de réserve, dont 80 en ligne et 58 en réserve. Au total, environ 130.000 hommes, renforcés par une trentaine de bataillons territoriaux, pour défendre un front de 112 km. Ces troupes seront appuyées par 388 pièces d’artillerie de campagne et 244 pièces d’artillerie lourde.
Rappelons qu’en face, l’ennemi va lancer à l’assaut 208 bataillons, soit 250.000 hommes, appuyés par 882 canons de campagne ; surtout que la majeure partie de ces effectifs est concentrée devant le front nord de Verdun, entre la Meuse et l’Ornes, dont près de 700 canons lourds et très lourds, vont pulvériser les organisations.
L’action qui va s’engager, nous n’avons l’intention d’en étudier le développement pendant les quatre premiers jours que sur le front de la 72e division, depuis la Meuse jusqu’à la route de Ville à Vacherauville, où vont opérer, du côté allemand, le VIIe corps de réserve, renforcé par la 77e brigade et le XVIIIe corps actif.