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  • 23 janvier 2011 - Par Au fil des mots et de l'histoire

     

    Les taxis de la Marne (6, 7 et 8 septembre 1914) dans GUERRE 1914 - 1918 taxismarne-150x150carteitinrairetaxisdelamarne-150x150 dans GUERRE 1914 - 1918

    D’après un article rédigé par le commandant Henri Carré
    et publié dans la « Revue militaire française » en 1921

     

    Le 6 septembre 1914, par une belle soirée d’automne, les riverains de l’esplanade des Invalides, où la circulation était très réduite les jours précédents, virent avec étonnement de nombreux taxis-autos déboucher de tous les coins de l’horizon et se rassembler dans un angle de l’immense place. Là, quelques officiers de l’état-major du gouverneur de Paris, aidés d’une escouade d’agents, groupaient rapidement les voitures en convoi, et bientôt celles-ci formant une longue file sombre traversaient la Seine et disparaissaient dans la nuit.

    Le lendemain 7 septembre, dans la matinée, un spectacle plus curieux encore s’offrait aux Parisiens clairsemés qui restaient dans la capitale. Des agents de service et des gardes républicains arrêtaient d’un geste impérieux les taxis circulant dans les rues, en faisaient descendre les occupants, hommes ou femmes, et, après avoir pris le numéro de la voiture, enjoignaient aux chauffeurs de rejoindre immédiatement leurs garages pour y recevoir de nouvelles instructions.

    « Ordre du gouverneur militaire de Paris », concluaient sans autre explication les représentants de l’autorité.

    Quelques heures plus tard, les passants intrigués, les gens aux fenêtres, ébahis, et les concierges étonnés sur le pas de leur porte virent défiler une longue colonne de taxis, encadrés par des officiers en voiture de tourisme, un colonel en tête. Roulant à vide le long des voies presque désertes, le convoi suivait la rue Lafayette, remontait l’avenue Jean-Jaurès, franchissait la porte de Pantin à la stupéfaction des employés d’octroi, et s’engageait sur la grand’route de Meaux vers une destination mystérieuse.

    Pour les imaginations surexcitées, avides d’anticiper sur les événements, mais sevrées de toute nouvelle de guerre et assoiffées d’informations sensationnelles, le rassemblement et le défilé des taxis parisiens les 6 et 7 septembre ne pouvaient manquer de sembler un fait considérable. Aussitôt les témoins oculaires de le colporter avidement et chacun de le commenter avec passion.

    A peine les glorieuses journées de la Marne s’achevaient-elles en « victoire incontestable », suivant l’expression de Joffre, que la légende des taxis qui s’était créée le 7 septembre se propageait avec un grossissement de boule de neige. On racontait que des milliers d’autos, transportant en quelques heures sur la ligne de feu une armée tout entière, avaient ainsi décidé de la bataille de l’Ourcq.

    Pourtant, la vérité était de beaucoup différente, car il s’agissait là simplement de certaines dispositions qui avaient été prises en vue de transporter sur le front de bataille de l’Ourcq cinq bataillons (trois du 104e et deux du 103e régiment d’infanterie) appartenant à la 14e brigade de la 7e division du 4e corps d’armée.

    Il convient donc de rappeler tout d’abord les circonstances qui décidèrent le commandement à utiliser ce procédé habituellement réservé aux déplacements individuels.

    Les raisons qui motivèrent l’emploi des taxis

    Le 1er septembre 1914, alors que la 6e armée (général Maunoury) se concentrait aux abords de la capitale, le général Joffre avait décidé de faire venir dans la région de Paris le 4e corps d’armée (général Boëlle) qui était encore engagé ce jour-là sur la Meuse. Embarquée la première, la 8e division d’infanterie se trouvait entièrement débarquée à Pantin dans la nuit du 3 au 4 septembre. Quant à la 7e division, qui suivit immédiatement la 8e, elle n’achèvera son débarquement à Pantin que le 7 septembre.  Néanmoins, dès le 6 dans l’après-midi, le 104e régiment d’infanterie cantonnait à Villemonble, le 103e à Gagny.

    Or, pendant que s’opérait ce transport du 4e corps d’armée, la bataille de l’Ourcq, engagée dès le 5 septembre, avait évolué de telle manière que le 6, vers 17 heures, la 6e armée se trouvait déployée sur la ligne générale Penchard, Chambry, Barcy, Champ-Fleury. Dans la soirée du même jour, la 8e division (général de Lartigue) se mettait en marche par Gournay, Lagny, Chessy, pour aller soutenir l’aile gauche de l’armée anglaise.

    D’autre part, le haut commandement ne devait pas tarder à vouloir également engager la 7e division et l’artillerie de corps du 4e corps d’armée dans la bataille de l’Ourcq. Dans la matinée du 7 septembre, en effet, le général Maunoury exprimait verbalement au général Boëlle son vif désir de voir la 7e division entrer en ligne le plus vite possible à l’aile gauche de la 6e armée.

    De plus, dans l’après-midi, le commandant du 4e corps d’armée recevait le message suivant du général Maunoury : « Indispensable que vous soyez cette nuit, de bonne heure, dans la région Mesnil- Amelot, de façon à pouvoir être utilisé dès demain, sept heures ».

    Enfin, un ordre du général Maunoury, daté du 7 septembre, à 17 h 30, contenait le paragraphe suivant : « La 7e division, avec toute l’artillerie du 4e corps, se portera demain matin, à quatre heures, de Nanteuil sur Betz où elle recevra de nouveaux ordres pour compléter l’enveloppement de l’aile droite allemande ».

    Pour l’infanterie de la 7e D. I. qui n’avait pas quitté ses cantonnements de débarquement du 6 septembre, malgré le désir exprimé par le général Maunoury dès le 7 au matin, il s’agissait de couvrir une distance de 45 kilomètres environ avant de s’engager dans la bataille.

    Il existe bien sur ce parcours une voie ferrée, celle de Soissons à Crépy-en-Valois, mais la commission de réseau du Nord avait des doutes sérieux sur la possibilité d’utiliser efficacement cette ligne pour des transports militaires. L’ennemi ayant occupé le 3 septembre Nanteuil-le-Haudouin et le Plessis-Belleville, on craignait qu’il eût fait des destructions. En conséquence, l’ingénieur en chef de la Compagnie du Nord redoutait des accidents. Néanmoins, devant l’insistance du commandement, il décidait de faire marcher quelques trains jusqu’à l’extrême limite des possibilités.

    Aussi, le général Boëlle lançait-il l’ordre suivant (n° 39) dans la soirée du 7 septembre : « La 13e brigade – 101e et 102e régiments (colonel Farret) – s’embarquera en chemin de fer. La 14e brigade – 103e et 104e régiments (général Félinean) – sera transportée en taxis-autos ».

    Toutefois, le transport de tant de bataillons à l’aide de taxis-autos n’eût pas été réalisable immédiatement, si l’utilisation de ces véhicules n’avait pas été au préalable étudiée et organisée par le gouvernement militaire de Paris. En réalité, le 3e bataillon du 103e sera transporté par voie ferrée. Seuls les 1er et 2e bataillon du 103e, ainsi que les trois bataillons du 104e, useront des taxis-autos. L’effectif moyen de ces bataillons étant de 800 hommes, l’effectif réellement transporté s’élèvera donc à 4 000 hommes.

    Il convient donc d’ajouter que, dès le 1er septembre au soir, le général Galliéni, envisageant alors les mesures à prendre en vue de procéder à des évacuations de matériel si l’ennemi accentuait sa menace sur Paris, avait prescrit de requérir à titre temporaire tous les véhicules de la capitale, y compris les taxis-autos. En ce qui concerne ces derniers, on avait constitué une réserve permanente à l’effectif de 150 voitures. En quelques heures, cette réserve pouvait être triplée.

    Ceci explique que les premiers taxis-autos destinés au transport de la 14e brigade d’infanterie arrivaient si rapidement sur l’esplanade des Invalides, d’où ils se mettaient en route, par fractions successives pour Tremblay-les-Gonnesse, puis pour Dammartin, de telle manière que le 7 septembre, à sept heures du matin, une file de 600 voitures se trouvait arrêtée sur la grand’route, la tête près Dammartin, où elle n’avait que faire.  L’ordre donné à la colonne des taxis de se rendre à Dammartin dans la nuit du 6 au 7 septembre, reste inexpliqué, sinon inexplicable.

    Toutefois, vers 16h30, ordre était donné à cette colonne de voitures de se rendre au village de La Barrière, où devait avoir lieu l’embarquement du 104e régiment d’infanterie, comme on verra ci-dessous.

     

    L’embarquement du 104e régiment à La Barrière

    Le 104e régiment d’infanterie cantonne en entier à Villemonble le 6 septembre au soir.

    Le 7 au matin, on distribue aux officiers les cartes d’état-major de la région de Paris nord-ouest et, dans l’après-midi, vers 14 heures, l’ordre parvient aux bataillons de se tenir prêts à embarquer en taxis-autos réquisitionnés. Le point initial fixé est le village de la Barrière, entre Livry et le Raincy, sur la route de Meaux.

    A la nuit tombante, car l’opération doit demeurer aussi secrète que possible, les bataillons du 104e régiment viennent se ranger le long des voitures. On a formé les hommes en colonne par cinq, chaque rang à la hauteur d’un taxi. Au signal donné, les fantassins s’embarquent avec ordre, quatre à l’intérieur et un sur le siège, à côté du chauffeur. Quant aux voitures automobiles multiplaces tapissières ou cars alpins, elles enlèvent selon leur contenance des groupes de 10 à 24 « voyageurs » avec armes et bagages.

    Tous les soldats manifestent une joie de collégiens à l’idée de « couper » à l’étape sur la grand’route et à la perspective d’une « balade en auto » sur les coussins d’un taxi découvert, par une belle soirée d’automne succédant aux nuits étouffantes dans l’entassement des wagons aménagés.

    Aussitôt chargé, le long convoi démarre, en s’articulant par petits groupes de 15 à 20 voitures, dont un officier ou un sous-officier prend le commandement, et qui se suivent avec un échelonnement peu profond, car on a éteint toutes les lanternes et il s’agit de ne pas se perdre. La nuit est d’une clarté moyenne, mais la lune n’a pas encore fait son apparition dans le ciel.

    Malgré les précautions prises par le chef de convoi, l’allure ne peut, dans l’ensemble de la colonne, se maintenir uniforme. En effet, si les taxis, pourvus d’un type unique de moteur, règlent aisément leur vitesse les uns sur les autres, il n’en est pas de même des grosses voitures de puissances inégales, d’où une série d’à-coups dans la marche.

    Pourtant les « clients militaires n’en ont cure. Sans souci des secousses et des cahots, des arrêts brusques suivis de démarrages violents, ils ne tardent pas à s’endormir profondément et, dans les villages traversés, les bonnes gens, qu’attire sur le pas de leur porte le bruit multiplié des moteurs, en voyant passer cet étrange chargement d’hommes affalés, muets, sans mouvement et prostrés de sommeil, croient assister dans la nuit à un défilé de fantômes.

    Avant d’atteindre la route nationale qui conduit à Nanteuil-le-Haudouin, destination connue seulement des chefs de bataillon et du commandant du convoi, on suit des chemins départementaux par Livry-Sevran, Villepinte, puis l’on s’engage sur la grand’route, en laissant à main droite le Mesnil-Amelot et l’on continue vers Dammartin.

    Au moment d’entrer dans cette bourgade, la voiture du lieutenant Lefas qui roule en tête, revient en arrière pour surveiller la marche. Bien lui en prend, car il s’aperçoit que seuls quelques taxis ont suivi, une rupture de convoi s’est produite dans l’obscurité, et le gros se trouve sans doute loin en arrière, puisque le bruit des moteurs ne s’entend plus. Force est donc à l’officier, de retourner à plus de six kilomètres pour retrouver l’échelon suivant qui a perdu le contact et hésite sur l’itinéraire. Enfin remise dans la bonne voie, la colonne rejoint le petit lot de tête, qui a stoppé à l’entrée du village.

    Mais à Dammartin, un arrêt prolongé immobilise tout le convoi. La voiture du chef ayant à son tour subi la fâcheuse panne, il faut faire appel à l’une des dépanneuses.

    Tandis qu’opèrent les mécaniciens, le lieutenant Lefas vient se poster au carrefour, où la grand’route croise le chemin venant de Gagny par Claye. Un ronflement de moteurs se fait entendre tout à coup de ce côté et un long cortège d’autos défile par petits groupes. En tête, un général de brigade s’enquiert de la direction de Nanteuil, derrière suivent des taxis chargés de soldats endormis. Ils passent à grande allure et tournent à droite pour s’engager sur la route de Nanteuil. A chaque fraction, il faut indiquer la direction.

    Il s’agit, comme nous le verrons, du convoi qui a chargé les bataillons du 103e à Gagny et a pris un itinéraire différent. Mais, à partir de Dammartin, les deux colonnes ne disposeront plus que d’une voie unique. Aussi, pour éviter un enchevêtrement, le lieutenant Lefas laisse passer le convoi voisin tout entier.

    D’ailleurs, la réparation de la voiture se prolonge. Les mécaniciens sont fatigués, leurs ateliers n’ayant cessé de fonctionner, tant pour les taxis que pour les grosses voitures.

    Tout à coup, des soldats surgissent de l’ombre, sans sacs, quelques-uns sans armes, efflanqués dans leurs capotes, avec des allures exténuées et farouches. On les interpelle : « D’où venez-vous ? ».

    « Nous venons de la ligne de feu, nous cherchons nos camarades », l’excuse classique de tous les traînards, puis ce sont des récits apeurés. « Les Prussiens avancent, ils ont tiré sur nous à la gare du Plessis ».

    Or, le Plessis n’est qu’à 7 kilomètres de là. L’hypothèse paraît peu vraisemblable, puisque la veille, nos troupes sont remontées plus loin, marchant vers le Nord-Est. La présence de l’ennemi si proche demande donc une confirmation.

    Quelques instants après, celle-ci vient d’elle-même. Un petit groupe de chasseurs forestiers arrive, le chef de convoi les interroge. Les braves gens expliquent qu’on les a chargés de reconnaître l’état de la ligne de chemin de fer. Ils l’ont suivie depuis Nanteuil jusqu’au Plessis et l’ont trouvée intacte. Mais là, ils se sont heurtés à un poste de territoriaux barrant la route, qui, dans l’obscurité, a jugé suspect ces uniformes sombres et a tiré sur eux quelques coups de feu. Les forestiers ont eu grand mal à se faire reconnaître. Leur mission terminée, ils s’en retournent vers Paris. Complètement exténués, ils demandent à profiter des taxis. Ces hommes l’ont vraiment bien mérité. Aussi le chef de convoi leur promet de les recueillir au retour, dès que les voitures auront déposé leur chargement de fantassins.

    Enfin, un peu après minuit, le signal de départ est donné et le convoi regroupé se met en marche. Sans incident, cette fois, il dépasse le Plessis-Belleville et continue en direction de Nanteuil. C’est au sud de cette localité que les bataillons du 104e débarqueront au cours de la nuit.

     

    La réquisition des taxis dans la journée du 7 septembre

    Le 7 septembre cependant, la direction des transports du camp retranché de Paris, conformément aux ordres transmis la veille au soir, et qui n’avaient pu recevoir que partiellement leur exécution, continuait à équiper de nombreux taxis.

    Une centaine de voitures se trouve ainsi rassemblée de bonne heure à la porte de Boulogne et n’attend plus qu’un signal pour se mettre en marche. Le 1er bureau de l’état-major du gouverneur a d’ailleurs envoyé à la direction des transports un ordre écrit lui prescrivant de réquisitionner de suite 500 taxis. « Ces voitures, munies de leur plein d’essence et de vivres pour un jour, seront dirigées sur Gagny, ainsi que les 100 voitures rassemblées à la porte de Boulogne ».

    C’est ce jour-là dans la matinée, que les agents de service et les gardes républicains se livrent en grand à la chasse aux taxis qui circulent sur la voie publique. Les chauffeurs sont arrêtés et avisés d’avoir à joindre sans délai soit leur dépôt, s’ils appartiennent à une Compagnie, soit le garage de la Compagnie française, à Levallois, s’ils sont propriétaires de leur voiture.

    Tous obéissent docilement et sans manifester trop d’étonnement, car la plupart s’attendaient d’un jour à l’autre à une réquisition de ce genre. Quant aux clients interrompus au beau milieu de leur course et contraints de descendre de voiture, ils sont plus stupéfaits que mécontents. Le mot magique « Ordre du gouverneur militaire » coupe court d’ailleurs à toute récrimination.

    Les chauffeurs rentrent donc en masse à leurs dépôts. Là, les chefs de garage les préviennent d’avoir à se procurer un ou deux jours de vivres. Mais seuls les plus prévoyants se conforment à cet avis, beaucoup d’ailleurs ne prennent pas le temps d’aller quérir des provisions. Il s’agit avant tout, pour eux, de faire le plein d’essence et d’équiper les voitures en vue d’une longue course. Bien qu’en effet, aucune communication ne soit faite sur la mission ni sur la destination, on se doute qu’il s’agit cette fois d’une absence assez longue pour un transport en grand, et quelque part peut-être du côté de la bataille.

    Les préparatifs de mise des voitures en ordre de marche se font rapidement, mais sans précipitation ni désordre. Car nous devons insister sur ce point : si toute cette expédition comporta une part d’improvisation, si tout se passa avec la plus grande célérité en raison des circonstances pressantes, s’il ne se produisit ni surprise, ni affolement chez le personnel, ce fut parce que les mesures préparatoires prises depuis plusieurs jours l’avaient tenu en éveil et en quelque sorte alerté.

    De leurs dépôts respectifs, les taxis, par section de 25 à 50, sont dirigés sur le boulevard et l’esplanade des Invalides, où des officiers du 1er bureau forment rapidement les voitures en colonne. Le lieutenant-colonel Simon, sous-chef d’état-major du gouvernement de Paris, prend la tête du premier groupement, qui démarre en bon ordre.

    D’autres suivront d’aussi près que possible, à mesure que les voitures achèveront de se rassembler, car de nombreux chauffeurs rejoignent encore isolément. On franchit la Seine au pont Alexandre, puis l’itinéraire prend les Champs-Elysées, la rue Royale, la rue Lafayette et l’avenue Jean-Jaurès. On s’embranche sur la route de Meaux et on roule sans arrêt vers Gagny.

    C’est ce défilé en plein jour de taxis vides par les grandes artères de la capitale qui frappa si fort l’imagination des Parisiens et, dont le récit immédiatement colporté et grossi, donna naissance à la fameuse légende.

    La stupéfaction des habitants de Gagny ne fut pas moindre, lorsqu’ils virent arriver par centaines ces voitures qui ne tardèrent pas à embouteiller toutes les voies d’accès venant de Paris.

     

    L’embarquement du 103e régiment à Gagny

    Déjà la veille, le dimanche 6 septembre, le 103e régiment d’infanterie, débarqué dans la matinée à Pantin et venant cantonner à Gagny, avait mis toute la petite ville en rumeur.

    Ce jour-là, la nouvelle d’un débarquement de troupes, arrivant des champs de bataille de la frontière et originaires de Paris, s’était répandue dans la capitale comme une traînée de poudre. Aussitôt les trains à quai, à peine les soldats descendus de wagons, au terme d’un voyage de quatre jours, le régiment se voyait entouré, pressuré, assiégé par un véritable bataillon féminin, quelques centaines d’épouses, mères, sœurs, cousines ou amies, toutes anxieuses de retrouver ces hommes, dont elles étaient sans nouvelles depuis de longues semaines.

    Dès que les bataillons s’étaient mis en marche, tout ce cortège en jupons avait emboîté le pas, et suivi la colonne sur la route de l’étape, malgré la chaleur très forte. Le plus grand nombre avait renoncé à mi-chemin, mais quelques intrépides poussèrent jusqu’à Gagny même.

    Aussi lorsque, le lendemain dans l’après-midi, les fantassins du 103e, déambulant dans le cantonnement, virent apparaître un long cortège de taxis parisiens, beaucoup s’imaginèrent un instant, que ces voitures leur amenaient des visiteuses amies, et grande fut leur déception en constatant que les véhicules étaient vides.

    Heureusement, le bruit circule bientôt que le régiment va s’embarquer en taxis. L’ordre en effet parvient aux 1er et 2e bataillons de se préparer à partir. A la nuit, les voitures chargeront les hommes avec armes et bagages.

    Aussitôt, les braves troupiers de manifester une joie bruyante. On devine les propos qui s’échangent entre soldats racontant leurs premières journées de campagne et citadins accourus sur le pas de leur porte. Le moral des hommes est d’ailleurs excellent, les bruits les plus rassurants et même les plus extraordinaires se colportent, venus on ne sait d’où, sur les ailes dorées de la fantaisie.

    On dit que nous avons remporté une grande victoire, que l’ennemi a perdu cent mille prisonniers – les nouvellistes ne regardent pas à un zéro près – c’est pour aller garder cet immense troupeau que l’on emmène le régiment en voitures. Cela veut dire que la guerre est bientôt finie, etc…

    Et voilà nos imaginations françaises, aussi promptes à l’emballement que les ancestrales cervelles gauloises, prenant le galop dans les domaines fantastiques de la chimère.

    La présence de Galliéni lui-même, arrivant en automobile à Gagny pour se rendre compte des mesures prises, ne fait que redoubler ces merveilleux espoirs, et la population salue d’acclamations l’apparition de cette silhouette si fine, si calme et d’une fierté si noble que déjà l’image a popularisée et rendue familière aux yeux de tous. S’approchant d’un des chauffeurs, le gouverneur lui demande s’il n’aura pas peur des obus : « Mon général, réplique l’homme, on fera comme les camarades, on ira partout où il faudra ». Et la réponse paraît satisfaire le grand chef, qui déclare à son entourage que cette réquisition des taxis n’est pas chose banale.

    Cependant, les ordres pour l’embarquement ont prescrit d’attendre la nuit, car le mouvement doit demeurer caché aux observateurs aériens ennemis. Les chauffeurs qui n’ont pas assuré leur ravitaillement avant le départ, mettent à profit ce répit pour se procurer à dîner sur place.

    Les boulangeries sont promptement dévalisées et bientôt, très recherchés pour l’omelette, les œufs font prime. Aussi, comme les amateurs se les disputent, l’inéluctable jeu de l’offre et de la demande fait monter immédiatement les prix. Sans doute, cette vérification d’une loi implacable eût réjoui les économistes, mais elle ne fait pas l’affaire des braves chauffeurs. Quelques-uns même s’en plaignent au gouverneur de Paris, lorsque celui-ci passe auprès d’eux. « Mes enfants, leur répond Galliéni, il ne fallait pas vous laisser faire ». Puis le grand chef s’en retourne vers son poste, salué encore une fois par les habitants et les soldats.

    Dès que l’obscurité vient à tomber, l’embarquement des bataillons commence. Toutefois, l’opération ne va pas sans quelque flottement. Les voitures viennent se ranger sur la place de la mairie, et les soldats y grimpent avec entrain en principe, le chargement doit comprendre quatre hommes à l’intérieur et un sur le siège.

    Mais il arrive que des malins réussissent à s’installer seulement trois ou même deux sur les coussins où ils se prélassent largement. Les autres s’empilent consciencieusement au complet, et ces cinq « voyageurs avec armes et bagages constituent un poids fort respectable pour les châssis. Les mitrailleurs embarquent avec leur machine et leurs caisses de munitions. Toutefois, à cause de l’exiguïté de la place, l’embarquement des unités ne peut s’effectuer que successivement.

    En outre, la dispersion des cantonnements, où les hommes sont logés par un ou deux, rend très laborieux le rassemblement des unités. Aussi l’opération dure-t-elle assez longtemps. A mesure qu’il a reçu son chargement, chaque groupe de voitures démarre, et le convoi ainsi articulé roule tous feux éteints, à l’exception de quelques lanternes arrière. Sauf l’officier qui guide la colonne, tout le monde ignore la destination. C’est vainement que les habitants de Gagny interrogent : « Où allez-vous? Où allez-vous ? ». Ils n’obtiennent pas de réponse.

    D’ailleurs, sitôt sortis de la ville, les « voyageurs » s’endorment et ne s’éveilleront plus qu’au débarquement.Les chauffeurs n’ont reçu qu’une consigne : suivez ! Aussi chacun s’efforce de ne pas perdre de vue la voiture qui précède, et comme la nuit est venue, les taxis marchent presque à se toucher.

    Bien que les deux bataillons ne comptent guère chacun que 800 hommes soit 1600 à transporter, le convoi, en raison de l’irrégularité du chargement, ne peut enlever tout cet effectif au complet. Aussi, les dernières fractions du régiment attendront-elles patiemment dans la nuit, qu’un deuxième voyage des taxis revienne les prendre.

    L’itinéraire a été fixé par Livry, la route de Meaux jusqu’à Claye-Souilly, le chemin de Claye à Dammartin, puis la route de Nanteuil. Jusqu’à l’embranchement de Claye, on traverse des localités qu’occupent des services de l’arrière de la 6e armée.

    Partout le défilé des taxis-autos excite sur son passage la curiosité générale, tant des soldats que des habitants. Là encore, les chauffeurs sont assaillis de questions, ils ne peuvent répondre. Quant aux hommes, indifférents à tout, ils dorment de si bon cœur, qu’il faudra en secouer un grand nombre pour les réveiller au débarquement. On va voir quels incidents de route survinrent au cours de ces transports.

     

    Les incidents du voyage - Le débarquement

    A ces convois improvisés, manquaient toutes les dispositions qui assurent la régularité et la sécurité d’un transport automobile à grande envergure : sectionnement et articulation, encadrement, discipline de marche et police de route, jalonnement, etc.

    Le fractionnement avait été laissé quelque peu au hasard : certains éléments comprenaient 25 taxis, d’autres 50 ou même davantage. Au départ, on avait réduit l’échelonnement autant que possible. Une distance très courte séparait les divers groupes. Il en résultait pour l’ensemble de la colonne une articulation de fortune et un certain manque de souplesse. L’encadrement ne comportait qu’un nombre infime de gradés techniciens, au courant de la conduite des voitures automobiles en fait : chaque échelon de taxis avait pour chef, un officier ou un sous-officier d’infanterie des régiments transportés.

    Quant à la discipline de marche, elle ne pouvait exister avec un personnel de conducteurs non militaires, habitués à leur indépendance dans les rues parisiennes et auxquels on imposait sans préparation un premier essai de transport ordonné.

    Pas plus que la police de route aux points de passage délicats, le jalonnement aux carrefours n’avait pu être assuré. En outre, dans les localités dépourvues d’habitants à partir d’une certaine zone, on ne trouvait personne pour indiquer aux échelons successifs, le chemin suivi par les éléments de tête, comme cela s’était fait dans les rues de Gagny au départ, puis au passage dans les villages les plus rapprochés de Paris.

    A toutes ces lacunes créées par les circonstances, s’ajoutaient les difficultés résultant d’une marche de nuit, d’un chargement anormal des voitures et du fait que les chauffeurs ignoraient la destination du voyage.Que dans ces conditions, malgré toute la bonne volonté du personnel, la vitesse des convois fût irrégulière, l’allure désordonnée, le transport très décousu et marqué par des péripéties multiples, il ne pouvait en être autrement.

    On vit donc se produire des incidents divers : pannes d’essence et de moteur, arrêts prolongés, à-coups dans la marche, ruptures de convoi, embouteillages, voire quelques accidents réduits heureusement à des dégâts matériels : collisions, capots défoncés, roues brisées, voitures versées dans les fossés de la route, etc…

    La cause venait d’une part de l’obscurité et de la crainte de perdre le contact, qui obligeaient chaque conducteur à suivre au plus près, d’où, en cas d’arrêt brutal de la tête, danger de télescopage et risque de tamponnement.

    Pourtant, il fallait accuser aussi l’impatience des uns qui, trouvant l’allure trop lente à leur gré, s’obstinaient à pousser de l’arrière à l’avant, et l’imprudence des autres qui cherchaient à profiter des arrêts pour doubler la file, ou des virages pour se glisser à la corde et gagner quelques rangs en coupant la ligne de leurs camarades.

    Les inconvénients de ces infractions à la discipline de marche s’accentuèrent surtout au moment où les premières voitures arrivées à destination firent, aussitôt vides, demi-tour sur la grand’route et formèrent une file descendante qui vint croiser la colonne montante des taxis chargés. Cette voie unique se trouva parfois obstruée par trois ou quatre voitures roulant de front et même embouteillée jusqu’au Plessis-Belleville par un enchevêtrement terrible de taxis qui se débrouilla on ne sut comment.

    Sitôt leur chargement déposé, les convois recevaient l’ordre de retourner à leur point de départ pour enlever le reste des troupes. Les voitures qui avaient conduit le 104e, repassaient ainsi à Tremblay-Ies-Gonesse, où se trouvait constitué un dépôt d’essence par les soins de la direction des transports, y refaisaient leur plein et regagnaient Sevran. Mais là, plus de troupes à transporter. Un bataillon s’était embarqué à minuit par chemin de fer.

    Vers 10 heures du matin, le 8 septembre, le chef de convoi qui avait demandé des instructions par téléphone, recevait l’ordre de rentrer à Paris et les hommes, qui venaient de passer deux nuits blanches, ne se faisaient pas prier.

    Quant aux taxis qui avaient emmené le 103e, une partie resta garée près du Plessis, où les chauffeurs passèrent le reste de la nuit dans leur voiture. L’autre revint jusqu’à Gagny, par petits groupes. Ces derniers, laissés à leur propre initiative, il eût été loisible aux conducteurs, n’ayant plus aucun gradé avec eux, de se défiler dans l’obscurité. Cependant, la plupart revinrent docilement à leur point de départ. Mais, à Gagny, il ne restait plus à enlever qu’un faible effectif. Ce fut pour quelques voitures l’objet d’un deuxième voyage. Encore plusieurs taxis s’égarèrent dans l’obscurité et ces retardataires ne purent rallier Nanteuil-le-Haudouin qu’à la pointe du jour, le 8 septembre.

    Les trois bataillons du 104e avaient débarqué vers deux heures du matin à l’angle de la route nationale avec le chemin de Silly-le-Long. Le régiment bivouaquait en colonne double près d’un boqueteau, où il passait le reste de la nuit. Quant au 103e, deux de ses bataillons étaient déposés par les taxis à 1500 mètres au sud de Nanteuil, où le convoi se heurtait à des vedettes de notre corps de cavalerie.Cependant, les 101e et 102e régiments enlevés en chemin de fer dans la même nuit débarquaient le 8 au petit jour en gare de Nanteuil. Quant au dernier bataillon du 103e, utilisant la même ligne, il n’arrivait que le 8 au soir.En définitive, cinq bataillons d’infanterie à 800 hommes, soit 4000 au total, avaient été transportés par autos et taxis, en quelques heures, jusqu’à cinquante kilomètres environ au nord-est de Paris.Si ce chiffre paraît bien loin de celui des gros effectifs qu’avait colporté la légende, il n’en reste pas moins que personnel et matériel répondirent à l’effort qu’on leur demandait. Chauffeurs et taxis auraient d’ailleurs pu faire bien davantage, si les circonstances l’avaient exigé.

    La matinée du 8 septembre

    Le plus gros du transport des troupes en autos se terminait pendant la nuit du 7 au 8. Cependant, un certain nombre de taxis étaient demeurés à la traîne, soit par suite d’une panne de longue durée, soit plus ou moinsperdus dans l’obscurité au cours de leur deuxième voyage, où quelques-uns s’égarèrent jusque sur la route de Meaux. Surpris par les premières lueurs de l’aube, tous ces retardataires se hâtent de rouler vers Nanteuil, soulevant des nuages de poussière sur la grand’route.

    Bientôt, dans leur impatience d’arriver, certains se livrent à une course folle, se coupant brusquement les uns les autres, cherchant à se dépasser, occupant toute la chaussée et l’obstruant tout entière par deux, trois ou quatre voitures de front. L’allure s’accélère aux approches de Nanteuil, chacun voulant y entrer le premier et déposer son chargement de fantassins endormis. Comme les abords du village sont déjà encombrés par les trains du corps de cavalerie, la colonne des autos venant se coincer à la sortie sud met le comble au désarroi. Les derniers soldats transportés débarquent pêle-mêle des voitures et se mettent à errer à la recherche de leurs unités.

    Aussi, lorsqu’un peu après 6 heures, le général Boëlle arrive à Nanteuil, accompagné du colonel Degoutte, son chef d’état-major, sa voiture ayant doublé non sans peine la file des taxis indociles, il constate un véritable embouteillage : voitures, chevaux, fantassins, cavaliers piétinent ou tourbillonnent en une immense cohue.

    Justement un avion à croix noire, heureusement dépourvu de bombes, vient survoler cette agglomération. Des coups de fusil partent aussitôt de toutes les directions sur l’observateur indiscret, qui s’éloigne en emportant l’impression, supérieure peut-être à la réalité, d’un rassemblement de forces françaises considérables. Toutefois, cette apparition n’a pas contribué à rétablir le calme dans ce tohu-bohu.

    Comme d’autre part, les régiments de la 13e brigade (101e et 102e) ont pu arriver jusqu’en gare de Nanteuil par la voie ferrée, il s’agit de procéder sans retard à leur débarquement. Tout en assurant cette opération, l’état-major du 4e corps doit remettre en ordre les éléments d’infanterie débarqués des taxis très épars, et reformer les unités disloquées, ce qui nécessite des mesures énergiques et prend un certain temps.

    Quoiqu’il en soit des difficultés avec lesquelles on eut à compter au point de vue du regroupement des unités, l’infanterie de la 7e division se trouvait ainsi disposée le 8 septembre, à huit heures du matin :
    - La 13e brigade (101e et 102e régiments), transportée par voie ferrée, est rassemblée aux abords de Nanteuil-le- Haudouin.
    - Le 104e régiment bivouaque en colonne double près d’un boqueteau situé près de l’angle de la route Paris-Dammartin avec le chemin de Silly.
    - Les 1er et 2e bataillons du 103e régiment sont groupés à 1500 mètres environ au sud de Nanteuil-le-Haudouin, aux abords de la grand’route. Le 3e bataillon du 103e régiment, transporté par voie ferrée, ne doit arriver que dans la soirée du 8 septembre à la gare de Nanteuil-le-Haudouin.

    Le général commandant le 4e corps d’armée, qui a établi son quartier général à Nanteuil-le-Haudouin, y reçoit, à 7h45, l’ordre suivant du commandant de la 6e armée : « La 61e division est placée provisoirement sous les ordres du général commandant le 4e corps. Le 4e corps se portera en avant immédiatement. Sa mission consiste à attaquer par une offensive vigoureuse dans la direction Montrolle, plateau de Boullare, Rouvres et ultérieurement de franchir l’Ourcq dans la direction de Neufchalles-Montigny. Le corps de cavalerie devra se porter immédiatement et rapidement en avant sur le plateau de Cuvergnon, gagner l’Ourcq à Mareuil et en amont chercher par tous les moyens possibles à venir canonner les derrières de l’armée allemande. Il s’agit aujourd’hui, concluait l’ordre du général Maunoury, de gagner définitivement la bataille qui était hier soir en très bonne voie et pour cela de consentir à tous les sacrifices ».

    En exécution de cet ordre, la 7e division se met en mouvement à 9h30, en deux colonnes à droite, les 103e et 104e régiments par Chèvreville sur Bouillancy. A gauche, les 101e et 102e par la cote 124 sur Villers-Saint-Genest.

    La marche en formation de combat s’exécute dans le plus grand ordre et sans être inquiétée par l’artillerie ennemie.Toutefois, vers 11 heures, au moment où les têtes de colonne ont atteint la route de Villers-Saint-Genest à la ferme de Gueux, la gauche du 7e corps fait savoir qu’elle ne dispose plus d’aucune réserve et qu’elle se trouve en l’air. La 7e division s’infléchit alors au sud-est et prend pour axe de marche la ferme de Gueux et Etavigny. A 15h30, ses éléments de tête occupent la corne sud-ouest du bois de Montrolles, les fermes de Gueux et de Château, et la liaison s’établit vers Bouillancy avec la 14e division.

    En définitive, à l’aile gauche de la 6e armée, l’intervention du 4e corps a amené les résultats suivants en fin de journée du 8 septembre : La liaison est assurée entre le 7e corps, le 4e corps et la 61e division de réserve. Celle-ci, bien que très éprouvée, se sent étayée vigoureusement et son moral s’en réconforte. D’autre part, le mouvement offensif de la 7e division, a arrêté la progression ennemie au nord d’Acy-en-Multien. L’adversaire semble déconcerté par l’entrée en ligne de ces nouvelles forces, laquelle, grâce aux précautions prises, a été pour lui une surprise.

     

  • One Response à “Les taxis de la Marne (6, 7 et 8 septembre 1914)”

    • jean paul galland on 6 octobre 2019

      Existe-t-il une liste des chauffeurs ou propriétaires ayant conduit ces fameux taxis de la Marne ?

      Mon grand père maternel Pierre RAQUIN aurait conduit l’in d’eux.

      Merci pour vos informations éventuelles

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