Poésie écrite par Marcel Toussaint, né à Nancy en 1882
et publiée dans le recueil intitulé « Le sculpteur de sable ».
Poésie couronnée du prix Sully Prud’homme en 1909
Un paysan parle à son fils :
Ce champ nous appartient, ce verger est à nous,
Conquis par la sueur et le sang des ancêtres.
Du chemin rocailleux à la ligne des hêtres,
Il a fallu dompter l’herbe folle et les loups.
C’est un modeste enclos, mais c’est notre domaine.
Il nous donne l’asile et le pain des vieux jours,
Il a caché nos jeux, nos douleurs, nos amours,
Il nous a fait le corps robuste et l’âme saine.
Contemple à l’horizon ces collines, ces prés,
Ce ruisseau clair, des bœufs ruminent sur ses rives,
Ces vignes, où le soir monte le chant des grives
Lorsque l’ombre s’abat sur les monts empourprés.
Tout cela, c’est à nous. Voici le banc de pierre
Où ton aïeul venait voir le retour des champs.
Voilà, sous les jasmins et les saules penchants,
Le sentier où tu fis tes premiers pas, mon Pierre.
Voilà les arbres criblés de tes coups de canif,
Les sillons que plus tard le soc de ta charrue
Creusa pour féconder la bonne moisson drue.
Plus loin, vois les rameaux du cyprès et de l’if.
Ils débordent, là-bas, les murs du cimetière.
Là, dorment nos parents. Béni soit leur repos !
Nous les aimions. Le sol qui conserve leurs os
Nous appartient : c’est là qu’on mettra notre bière.
Notre terre produit le raisin, le maïs,
Les soins qu’elle demande, elle les récompense.
Elle est à nous de droit. Plus d’un étranger pense,
Pierre, tout comme nous, que c’est un beau pays.
Eh bien, notre Drapeau, c’est la mère patrie.
C’est ton champ, ton verger, ta maison, ton hameau
Tes labeurs de l’hiver, tes danses sous l’ormeau,
Et tu dois le chérir avec idolâtrie.
Tu dois le maintenir puissant et respecté.
Tu dois, si nous voyons notre France envahie,
Pour protéger les tiens, sacrifier ta vie :
C’est la voix de l’honneur, du sang, de la fierté.
Sois bienfaisant, je sais que les hommes sont frères.
Sois généreux, secours la veuve et l’orphelin.
Lorsque que tu charrieras ton froment au moulin,
Songe qu’il est parfois de bien rudes misères.
Mais faut-il dire à l’étranger : « Prends mes écus
Va ! Pille le logis du grenier à la cave,
J’embrasse tes genoux, et je suis ton esclave ? »
Ce serait honteux même pour des vaincus !
Plus tard, dans les esprits se fera la lumière :
On comprendra que nous devons nous soutenir.
En attendant ces paradis de l’avenir,
Il faut clore la porte et garder la frontière.
L’homme peut-être un jour sera sage et meilleur ;
Aujourd’hui, nous devons veiller à la défense.
Il nous faut être armé pour repousser l’offense ;
Qui dira le contraire est mauvais conseilleur.
Pierre, autrefois j’ai vu les villages en flammes
Le sang rougir la neige, et j’ai fait mon devoir.
On n’avait pas toujours à manger du pain noir
Et ça nous déchirait lorsque pleuraient les femmes.
Mais nous avons marché. Des compagnons sont morts,
Et d’autres sont restés perclus de leurs blessures.
Si le sort nous contraint à des guerres futures,
Tu seras un vaillant de la race des forts.
Je dis la vérité si mon langage est fruste ;
Tu dois défendre ta famille et ton troupeau.
Si jamais l’étranger insultait le Drapeau
Sois prêt à tout, même à mourir, et tire juste !
Marcel Toussaint
Les poésies de Marcel Toussaint ont été couronnées dans de nombreux concours : Lauréat du prix Follope, de l’académie des Trouvères, des jeux floraux de Nice, Bordeaux, Narbonne, Toulouse, du Luth français, puis de l’académie française.