D’après une légende parue dans la revue « Le Pays Lorrain » en 1905.
Quand par les premières brumes d’octobre, un peu avant l’hiver, le pauvre prolétaire s’en vient chercher dans la forêt sa chétive provision de bois mort, un petit oiseau s’approche de lui, attiré par le bruit de la cognée. Il s’ingénie à lui faire fête en lui chantant tout bas ses plus douces chansonnettes.
C’est le rouge-gorge, qu’une fée charitable a député vers le travailleur solitaire pour lui dire qu il y a encore quelqu’un dans la nature qui s’intéresse à lui.
Quand le bûcheron a rapproché l’un de l’autre les tisons de la veille engourdis dans la cendre, quand le copeau et la branche sèche pétillent dans la flamme, le rouge-gorge accourt en chantant pour prendre sa part du feu et des joies du bûcheron.
Quand la nature s’endort enveloppée dans son manteau de neige et n’a plus d’autre voix que celle de la bise qui mugit et s’engouffre au chaume des cabanes, un petit chant flûté, modulé à voix basse, vient protester encore, au nom du travail créateur, contre l’atonie universelle, le deuil et le chômage.
C’est toujours le chant du rouge-gorge disant qu’il n’est pas de saison morte pour l’ouvrier laborieux et que le travail attrayant se rit de la rigueur des frimas. Et l’oiseau frappe de son bec aux vitraux de la pauvre masure, pour lui demander asile, comme la fée des contes, et rappeler à l’homme les devoirs de l’hospitalité.
Toussenel, qui a écrit ces lignes charmantes, connaissait bien l’aimable petit oiseau, auquel elles s’adressent. Il a assez dit et redit que celui que la légende a illustré, était le consolateur du pauvre, l’oiseau du bon Dieu et la plus noble des créatures ailées. Il ajoute que la nature du rouge-gorge l’entraîne vers ceux qui souffrent.
Le récit que le lecteur va lire lui prouvera certainement que, sur ce dernier point notamment, l’auteur de l’ornithologie passionnelle ne s’était pas trompé.
L’origine des armes de la capitale de la Lorraine parait attribuée à la grande victoire que le duc René II remporta, le 5 janvier 1477, sur Charles le Téméraire.
Les armes de Nancy sont : « Coupé : Le chef aux pleines armes de Lorraine, la pointe d’argent à un chardon de sinople ».
En voici la signification en langage « vulgaire » : une ligne horizontale divise l’écusson en deux parties égales. En haut, sur fond d’or, apparait une bande transversale rouge (de gueule) sur laquelle sont étendus trois oiseaux héraldiques aux ailes éployées (alérion). En bas, sur champ d’argent, figure un chardon aux feuilles piquantes et à la fleur purpurine » (Qui s’v frotte s’y pique !). Le tout avec cette fière devise « Non inultus premor ! ».
Il est nécessaire d’ajouter qu’au moment où l’on créa cet écusson, la bande écarlate était absolument unie et ne portait par conséquent pas les trois oisillons qu’on remarque aujourd’hui.
Voici dans quelles circonstances cette lacune fut comblée.
Stanislas le Bienfaisant venait de faire appel au talent d’un des meilleurs artistes de sa capitale pour peindre l’écusson nancéien au-dessous de l’horloge de la cathédrale. Il assistait lui-même à ce travail et guidait l’ouvrier dans sa tâche.Le chef d’œuvre était sur le point d’être terminé, quand un rouge-gorge, que la curiosité avait attiré en cet endroit, se mit à voltiger autour du peintre en poussant ce petit cri métallique que les forestiers appellent « pétillement » et qui dénote l’étonnement chez l’oiseau.
On était au cœur de l’hiver. Le blanc manteau couvrait les campagnes et la ville de Nancy.
Pendant que l’artiste lorrain profitait de quelques rayons de soleil pour mener à bien la tâche qui lui avait été confiée, trois chardonnerets, mourant de faim et exténués, avaient franchi la distance qui sépare les Fonds de Toul des terrains vagues où s’étend aujourd’hui la Pépinière.
Ils avaient bien cherché, par ci par là, quelques chardons ou quelques brins de plantain oubliés, mais en vain.Les infortunés venaient de tomber sur une brindille qui surgissait de l’épaisse couche de neige. On aurait dit de superbes fleurs animées au milieu de cette désolation. Leurs ailes d’or abattues et leurs jolies têtes tournées vers le ciel d’un bleu intense, ils n’attendaient plus que les rigueurs de la nuit glaciale qui allait probablement mettre un terme à leurs souffrances. Aussi poussaient-ils de petits cris plaintifs et argentins.
Soudain, un pétillement semblable au bruit que fait le sarment dans la flamme, se fit entendre. C’était un mignon petit oiseau tout ébouriffé, la poitrine marquée d’un coeur orangé, qui les regardaient avec ses grands yeux sympathiques.
Jean Rouge-Gorge, car c’était lui, s’approcha en faisant sa petite révérence et adressa aux trois pauvrets le dialogue ci-après : « Amis pourquoi désespérez-vous ? Croyez-vous donc que la saison cruelle ne finira jamais ? Ne songez-vous pas que bientôt viendra le moment où le prunier et le cerisier en fleurs abriteront vos petites familles ? C’est alors que vous ne penserez plus aux mauvais jours. Réagissez plutôt et faites comme moi, qui suis toujours en mouvement et qui me réconforte par l’espérance ! Serrez-vous la nuit les uns contre les autres et vous lutterez bien mieux contre le froid qui donne la mort. Allez, écoutez-moi et vous verrez encore les splendeurs du renouveau ! ».
« Mais interrompirent les chardonnerets, nous mourons de faim. Nous arrivons de la forêt de Haye et nous n’avons pas trouvé un seul chardon à éplucher ».
« Eh bien ! Je vais vous donner un conseil, mes pauvres amis, répliqua Jean Rouge-Gorge. Allez donc visiter tous les jardins des faubourgs de Nancy et des villages environnants. Vous y découvrirez bien quelque graine de pavot, de salade ou d’autres végétaux. Et qui vous empêche, comme vos cousins les verdiers et les pinsons, des malins ceux-là, de demander un peu de leur pâtée aux volailles de la fermière et aux chiens du propriétaire ? C’est une charité qui ne vous sera certes pas refusée mais il faut vous secouer ! Et puis cette neige finira bien par disparaître et vous retrouverez de quoi vivoter en attendant le bon temps. Au fait, je vais vous rendre immédiatement un petit service d’ami. En me promenant tout à l’heure du côté de la cathédrale, j’ai aperçu un magnifique chardon qui a poussé par hasard au-dessus du portail ! Courez-y et vous trouverez là, le souper tout préparé pour ce soir ».
Cela dit, maître Rouge-Gorge disparut en faisant entendre : Sisri ! Sisri ! Sisri !
Les trois jolies bestioles, réunissant ce qui leur restait de forces, prirent aussitôt leur envol et réussirent à gagner la basilique, au moment où l’artiste venait de donner une dernière couche de peinture à la bande située au dessus du symbolique chardon.
A la vue de la plante de prédilection, nos trois héros, entraînés par leur élan, qu’ils avaient mal calculé, vinrent précisément se heurter contre ladite bande. Qu’arriva-t-il ? La peinture formant glu, adhéra tellement à leur plumage qu’ils n’eurent pas la force de se dégager. Ils restèrent fixés à l’écusson.
Au comble de l’étonnement, l’artiste en référa séance tenante au Duc. Ce dernier, émerveillé du plumage de nos amis, voulut dès lors, qu’ils fussent représentés, les ailes étendues, sur son écusson.
C’est ainsi que le chardonneret devint l’oiseau national de la Lorraine.
Stanislas prit les étourdis et les mit dans une cage dorée qu’on peut voir encore aujourd’hui, dit-on, au musée lorrain. Ses pensionnaires devinrent familiers en très peu de temps et, oubliant la liberté, ne regrettèrent pas d’avoir suivi l’humain mais malencontreux conseil qui leur avait été donné.
Jean Rouge-Gorge dut être bien étonné, le lendemain matin, quand il vit le portrait de ses obligés fixé, grâce à lui, à la place d’honneur de la capitale de la Lorraine. Il en fut heureux et fier, mais non jaloux. Et pourquoi en aurait-il été jaloux, étant donné la gloire qui rejaillit un jour sur lui et qui sera son éternel titre de noblesse ?