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  • 20 novembre 2009 - Par Au fil des mots et de l'histoire

     

    Les fêtes de la victoire le 14 juillet 1919 dans GUERRE 1914 - 1918 victoire-150x150dfilde-150x150 dans PAGES D'HISTOIREdefiledesmutiles-150x150decorationdrapeaux-150x150cenotaphearctriomphe-150x150

    Le retour des soldats

     

    D’après la monographie d’Eugène Marsan
    « Chronique de la paix ou La vie quotidienne des Français après la guerre ». 1923.

     

     

    Pas de fenêtre, pas de jumelles. Il fallait voir les visages. Il fallait voir les yeux. Etre une âme et un cri dans la foule.

    Dimanche, dix heures du soir, aux Champs-Elysées : je prends la dernière place libre contre la blanche barrière, à l’angle de la rue de La Boétie. Nous sommes là gens de patience. Ce qui passe et repasse sur la chaussée, une jeunesse enivrée et qui chante, nous jette des regards de pitié, parfois la poignée de sel d’une plaisanterie. Nous restons fermes dans la nuit, de plus en plus belle et froide et pure, éclairée par une forte lune.

    A droite, l’Arc-de-Triomphe, où le frêle monument élevé aux morts brille d’un feu doux. À la pierre immortelle, l’atmosphère d’un astre, dont les rayons ont capté la poussière de l’espace.
    Sur la gauche, on suit à perte de vue les grands mâts écussonnés, deux à deux, et les deux interminables guirlandes d’étoiles qui fuient, selon la définition des parallèles, sans se rencontrer jamais, sinon à l’infini. Quelque part au-dessus des Tuileries.

    Le jour se lève… A vrai dire, une Aurore citadine est demoiselle qui n’admet personne à son lever : on la voit paraître, elle est déjà apprêtée et brillante. Mais nous n’attendons pas que son charme nous occupe, il nous suffit qu’elle ne soit pas pleurarde ; nous l’examinons à la manière du Vieux Major, non à celle d’Homère. Pourtant, quelle grâce à se répandre ! Non teinte de rose ni de nacre, mais pâle, d’un bleu d’ardoise, versant de loin cette clarté dont la source reste cachée et qui grandit de toutes parts.

    Le jour a surpris tout le monde… Si vous avez eu le courage d’entrer dans votre lit ce soir-là et la lâcheté d’y dormir, interrogez quiconque a passé la nuit à attendre, dévoré d’une ardeur intérieure. Nul ne l’a trouvée longue. Ni le gamin perché sur la pliante branche d’un arbre ou la croix d’un réverbère, ni l’élégante Parisienne qui gisait contre le sol, ni l’homme de précaution campé sur un pliant, ni le rêveur debout, pareil à l’échassier. Tous imaginaient à l’envi un bonheur incomparable.

    Les vainqueurs revenaient. Comme, dans la cité, les pères, les maris et les frères d’autrefois, lorsqu’ils repassaient en armes, ayant détruit l’assiégeant, les portes de l’enceinte… Mais une ville ne tiendrait plus ces armées. Le cortège des victorieux n’est plus, abrégé, que le symbole des anciens triomphes. Les drapeaux y représentent les nations du monde, et le nôtre tous nos foyers délivrés. Allégresse des canons, dans la foule émue par les réminiscences.

    C’est quand le ciel est mesuré par les colonnes et les voûtes qu’il paraît le plus grand, et comme il est bleu, léger, immense, entre les parois de l’Arc ! Cette porte, la plus belle, ouverte pour laisser passer une Gloire prodigieuse, vêtue de crêpe.

     

    Les blessés d’abord, portés au premier rang par l’universelle piété qui les regarde comme des intercesseurs entre la terre contente et le gouffre de la mort. Ils passent devant les chapeaux et les mouchoirs. Le peuple qui criait déjà s’est tu soudain, pour une salutation muette où l’on dirait que tremblent les mains levées.

    Les deux Maréchaux de France mènent les armées de la planète. Foch, grave et immobile, statue de la méditation. L’ordre des pensées qui ont sollicité, séduit et fixé la chance, habite encore la belle tête régulière. Il fait penser à Turenne, lui ressemble, et l’on imagine dans les airs le remous d’une grande aile. Joffre a le dolman noir, le pantalon rouge, les couleurs de la première Marne. Sous la moustache blanche, dans le bon gros visage, le sourire de la bonne grâce. Et la foule crie sans fin les deux noms, a jeté les deux noms, qui roulent comme un orage d’été.

    Le bâton de velours à la main, sur leurs chevaux à la robe sombre, les maréchaux précédaient immédiatement les Américains attentifs : les soldats, sous le casque de fer pareil à l’armet de Mandrin, les marins tout minces, sous le chapeau de toile repliée et la ceinture aux hanches. Ils veulent marcher alignés, corrects, impassibles, en bonne troupe bien exercée qui ne craint personne. Chacune des « rayonnantes bannières étoilées » est doublée d’une autre. Est-ce le signe des états qui n’ont pas aliéné en se fédérant cet attribut du souverain ?

     

    Les Anglais remplissent les airs d’une tempête de cuivres. Quels uniformes, quels cuirs, quelles chaînes étincelantes ! Une grosse caisse détachée en pointe mène un bruit du diable : un coup à droite et l’homme regarde à gauche, un coup à gauche et l’homme regarde à droite, superbe chaque fois et si cambré sous la peau de panthère qui le décore du torse au genou, qu’il semble proclamer : « Voici les Seigneurs du monde ! ». Orgueil anglais, vous éclatez dans le luxe des habits et dans l’assurance du regard. Les fantassins beiges sont légers et calmes comme des lévriers. Chez les marins, il y en a de gros qui procèdent avec pompe, comme s’ils étaient conscients de la majesté de l’empire. Peuple singulier, où le paysan sous les armes paraît aussi noble qu’un lord, élégant comme lui, cossu, et la même âme imperturbable. La vieille Angleterre lève fièrement ses deux cents drapeaux historiques : étendards bigarrés de cette ancienne Europe où chaque régiment avait un blason. Tipperary sonne dans les trompettes. Ah ! fait la foule, et elle entonne Tipperary, guillerette comme pour danser.

    Les Belges ressemblent aux Anglais pour la couleur du costume, aux Français pour le casque, aux armées d’il y a trois quarts de siècle pour la coupe du manteau et le bonnet de police à gland d’or. Ils passent au son de Sambre-et-Meuse : les deux douleurs pareilles et la même Victoire, évoquées par la même strophe.
    Ô Belgique exemplaire, le mot de Dante est pour toi ! « E corto il parlare… ».

    Les Grecs de Venizelos suivent un drapeau militaire pareil à d’anciens drapeaux de la France : la croix blanche, sur un fond bleu clair, fait pour remémorer, sous les autres cieux, « la merveille du monde ! ». A ce même signe de la croix, dans le champ des fleurs de lys, l’univers a longtemps reconnu nos bannières de toutes couleurs, où déjà dominaient les trois d’aujourd’hui.

    Le tricolore de Savoie repose sur l’épaule gauche des officiers porte-drapeaux, en diagonale, comme une bannière d’estampe. Les hommes portent le fusil horizontal et balancé dans la main droite. Bouderaient-ils ? Ah ! C’est aujourd’hui la fête unique des soldats, la vôtre, fantassins gris, alpins, bersagliers méconnaissables, qui, tous, portez au collet l’étoile de l’Unité. L’envie prend de vous crier le vieil hymne que les rues de Rome ont chanté à l’appel de d’Annunzio : « Fratelli d’Italia… ».

    Nous les avions déjà vues, les nations, en 1916, quand les Russes chantaient, en files, sur nos boulevards (mais la sinistre révolution a démonté les grands cavaliers étranges à la taille fine). A la porte Saint-Denis, le fantôme de Louis XIV a déjà vu les turbans, les chéchias, et sur l’épaule des Hindous, contre la joue bronzée, la lueur de fer des sabres vieux comme le monde. Noirs, jaunes, blancs, tous les rois mages sont revenus : les géants d’Afrique, les Arabes sur leurs chevaux ductiles, l’Inde coiffée de mousseline.

    Les Roumains font songer aux plaines que désolait le typhus, les Serbes aux montagnes qui nourrissaient de neige une armée exilée. Et nos regards mélangent les siècles. Les Écossais des hautes terres portent en vrais dandies la jupette des vieux clans et le béret de tricot, coiffure de montagne et de plein vent. Ils pressent indolemment le ventre des cornemuses immémoriales. Cependant que les hommes du plus nouveau des continents ont leur chef ombragé du chapeau, en souvenir de la guerre menée par eux sous le soleil afin d’accroître sur terre la part de l’homme, les cavaliers d’Amérique ont l’étrier de bois. Et les Polonais ont repris la vieille shapska quadrangulaire. Fils des chevaliers qui mouraient sous les murs de Vienne, protégeant la chrétienté, ils dressent vers le ciel leur pavillon de pourpre à l’aigle ressuscité, et ne peuvent croire leurs yeux.

    Les hommes blonds que voilà, sous le béret bleu-de-roi, qui, traversant la Russie, ont fait dans la plaine sibérienne une nouvelle retraite des Dix-Mille, ils ont par miracle retrouvé leur langue étouffée par le conquérant : Tchécoslovaques, enfants, sous un autre nom, du vieux royaume de Bohême.

    Et les grands gars sont nos neveux d’Amérique qui avaient si fière mine sous l’aile relevée du feutre canadien. C’est ainsi que naquit, si vous l’ignorez, le tricorne français : on plia un bord, puis l’autre, puis un troisième, pour dégager les épaules et la nuque du tireur ou du cavalier gêné par le col de son manteau. Ils ont gardé notre parler. Vous pouvez leur chanter Il était une bergère, ou la chanson du brave capitaine qui, partant pour la guerre, cherchait ses amours, ou bien celle de Fragson, que l’infanterie française, sortant des tranchées, chanta le jour d’Hébuterne : Je connais une blonde – Il n’y en a qu’une au monde…

    Rassemblement de tous les peuples dans Paris, tant de visages et tant de coeurs pareils et différents, ambitieuse fanfare du Portugal, lointaine gravité japonaise, milliers de regards de l’homme industrieux, sang et murmure des races, les deux mondes, les cinq continents…

    Mais quand les clairons des nôtres se prirent à sonner…

    On ne les voyait pas encore. L’on ne voyait que la forêt des baïonnettes, longues aiguilles étincelantes dont le balancement communiquait aux ondes aériennes une vibration, une électricité, une poignante musique.

    L’armée couleur du temps s’avance, parée, joyeuse, encore triste. Nulle autre n’a saigné comme elle, nulle autre n’est morte autant, et c’était sa propre terre qu’elle gardait, enfoncée dans la tranchée comme en un sillon plus large.

    A toutes les vertus que l’histoire reconnaissait aux Français, au courage, à l’héroïsme, ils ont ajouté la patience. Ils sauvaient les femmes et les maisons, les berceaux et les tombes, la moisson, la parole, l’esprit. Encore seuls, et moins nombreux que l’ennemi, ils étaient déjà vainqueurs. Ils n’auraient eu besoin de personne si le dernier jour de la première victoire les canons n’avaient pas manqué d’aliment.

    Ils ont fait ce qui n’était pas concevable. Quatre hivers, et la Grande Armée n’en eut qu’un. Cent assauts. Trois cent soixante cinq batailles par an pendant quatre ans. Et la pluie, et la neige, et le vent, et les mitrailleuses en rafale, et l’ouragan des obus, la flamme vomie à distance, et de mortelles vapeurs qui soudain tuaient sinueusement.

    Du plus profond de la tranchée
    Nous élevons les mains vers vous
    Seigneur ! Ayez pitié de nous
    Et de notre âme desséchée.

    Car plus encore que notre chair,
    Notre âme est lasse et sans courage.
    Sur nous s’est abattu l’orage,
    Des eaux, de la flamme et du fer.

    Vous nous voyez couverts de boue,
    Déchirés, hâves et rendus…
    Mais nos coeurs, les avez-vous vus ?
    Et faut-il, mon Dieu, qu’on l’avoue ?

    Nous sommes si privés d’espoir,
    La paix est toujours si lointaine
    Que parfois nous savons à peine
    Où se trouve notre devoir.

    Éclairez-nous dans ce marasme,
    Réconfortez-nous et chassez
    L’angoisse des coeurs harassés
    Ah ! Rendez-nous l’enthousiasme.

    Mais aux morts qui tous ont été
    Couchés dans la glaise et le sable,
    Donnez le repos ineffable.
    Seigneur ! Ils l’ont bien mérité.

     

    Que le poème de Jean Marc Bernard redise aux siècles cette passion de leur coeur souffrant, vivace, amer, fidèle, et trop souvent offensé.

    « Palmes ! » Sur le pas des survivants, on voudrait que le sol fût jonché de palmes.

    En tête, le sauveur de Verdun, Pétain, troisième maréchal de France. La foule sur-le-champ en fait un quatrième, Castelnau, défenseur de Nancy. Elle enferme dans le réseau de ses cris, comme en un palais de cristal, Gouraud, dont le salut à main haute, son unique main, est d’une gravité mystique, Mangin, farouche capitaine, et Maistre, et Dégoutte, Fayolle, Debeney…

    Les hommes qu’ils mènent ont été choisis dans les vingt et un corps parmi les meilleurs : dans le régiment ayant « la plus haute fourragère », une compagnie formée par les hommes le plus cités. Sur plus d’une capote unie, brille un ruban rouge et partout la fierté du regard, mais aussi la simplicité, ce sourire qui surprend l’étranger. Leur race est fidèle à la poétique de La Fontaine : rien de trop. On rentre chacun chez soi, quelle veine !

    Sous le numéro de chaque corps, porté par un officier à cheval, le nom d’une ville. La chair de la patrie a été blessée là et là. Aujourd’hui, elle y rayonne. Voici Amiens, Saint-Quentin, Péronne, voici Lille : silence, communion.

    Ils ont ce pas que Watteau a peint, que Michelet a décrit, sous lequel le sol paraît élastique, mais c’est par don, nul ne s’efforce : vivent les amis ! La bouche rit sous la bourguignotte, les regards répondent. Et nous qui étions si éloquents, tout à l’heure, nous ne savons plus à présent que dire, nous n’osons pas essayer de dire l’indicible, les cris ordinaires semblent balourds, on en voudrait inventer, et la pudeur l’empêche.

    Quelqu’un près de moi répète à voix basse, les mains devant lui : « Vous ! Vous ! ». Et une jeune fille aux beaux yeux, dont la voix s’est cassée, retrouve un souffle pour invoquer les drapeaux. « Vive la France ! » dit-elle. Mais elle détache chaque syllabe, ce n’est plus un vivat jailli tout fait, c’est une prière dont elle repense chaque fois les termes et qu’elle murmure doucement, la face baignée de pleurs : « Que vive à jamais la France, comme vous l’avez voulu, vous, les vivants et les morts ! ».

     

  • One Response à “Les fêtes de la victoire le 14 juillet 1919”

    • Jerry Killay on 22 juin 2016

      Good post, thanks for the read!

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