Le « Petit Poilu de Faouët »
Jean Corentin Carré est né le 9 janvier 1900 à Le Faouët (56) et décédé le 22 mars 1918 à l’hôpital de Souilly (55) des suites de ses blessures.
Lorsque la guerre éclate, son père, mobilisé, part pour le front. Il veut le suivre, mais il n’est âgé que de 14 ans et sa candidature à l’engagement est refusée.
En avril 1915, il annonce son intention de quitter la France, mais s’il quitte effectivement son village natal, c’est pour aller dans le sud-ouest de la France, à Pau exactement, où il rend au bureau de recrutement. Il déclare s’appeler Auguste Duthoy, né le 10 avril 1897 à Rumigny, dans les Ardennes. Le choix de ce lieu de naissance est judicieux. Rumigny étant située dans la zone envahie, il est impossible aux autorités militaires françaises de demander confirmation de l’état-civil. Il est donc incorporé au 410e Régiment d’Infanterie et part pour le front le 20 octobre 1915.
Il découvre la guerre en Champagne et particulièrement les tranchées le 15 novembre 1915. Il est nommé caporal en janvier 1916, puis sergent en juin 1916.
C’est au nord de Reims, qu’il reçoit sa première citation et la Croix de Guerre, pour un prisonnier capturé le 15 novembre 1916. Le sergent « Duthoy » se fait remarquer pour son courage et son entrain. Toujours volontaire pour les missions périlleuses (selon l’expression qui sera employée dans sa deuxième citation), il est également très apprécié de ses hommes. C’est à eux qu’il distribue l’intégralité du pécule accompagnant sa citation.
Le 29 décembre 1916, il rédige une lettre à l’attention de son colonel, dans laquelle il confesse toute la supercherie, et révéle son âge et sa véritable identité. Il risque une lourde sanction, mais le chef de corps préfère le proposer pour le grade d’adjudant à compter du 1er janvier 1917.
Cependant, l’administration militaire ne l’entend pas de cette oreille. Elle exige que, pour respecter les textes officiels, l’adjudant Carré, que l’on commence à surnommer « le petit poilu de Faouët », abandonne son grade et souscrive un nouvel engagement comme simple soldat. Le 7 février 1917, au bureau de recrutement de Châlons-sur-Marne, Jean Corentin Carré redevient donc homme de troupe, mais dans la plus parfaite légalité cette fois-ci.
Sur l’insistance du colonel commandant le 410e R.I., son ancien grade lui est rendu et, trois mois après la régularisation de sa situation, il a retrouvé la pleine jouissance de ses titres antérieurs. Le 16 juin 1917, il reçoit une autre citation, à l’ordre de la division cette fois-ci, qui mentionne notamment son « sang froid et son courage remarquables« . C’est son dernier fait d’armes dans l’infanterie.
A la fin du mois de juin 1917, il est muté sur sa demande dans l’aviation. En juillet 1917, il reçoit l’insigne d’élève-pilote. Le 3 octobre 1917, le brevet de pilote (n° 6642) lui est décerné, à l’issue d’un stage au camp d’Avord et il est affecté à l’escadrille 229, au sein de laquelle il combat dans le ciel de Meuse.
Le 18 mars 1918, il trouve la mort dans un combat aérien au dessus de Souilly. Cette action lui vaut sa dernière citation, à l’ordre de l’armée cette fois-ci : « Adjudant Carré Jean Corentin, du 410e Régiment d’Infanterie, pilote à l’escadrille S.O. 229. Attaqué par trois avions ennemis, le 18 mars, s’est défendu énergiquement jusqu’à ce que son appareil soit abattu, l’entraînant dans une mort glorieuse« .
Article paru en 1919 dans la revue » Mercure de France «
M. André Fontaine, dans Revue France (26 décembre) narre sobrement la belle histoire vraie de Jean-Corentin Carré, « un héros de 15 ans ».
Le biographe de ce Breton sublime suggère aux maîtres et aux écoliers de l’enseignement primaire d’organiser un vaste pétitionnement, afin de réclamer la sépulture du Panthéon aux restes de cet admirable enfant du Faouët. En lui, sous le vocable de son souvenir, la République honorerait tous les jeunes morts de la France. Et il serait beau que l’on couchât, auprès de ce soldat volontaire, dans le temple civil que la gratitude nationale voue au mérite bienfaisant, un des corps anonymes ensevelis sur le terrain de la longue et effroyable bataille de cinquante et un mois, l’une des victimes de la guerre qui n’avaient pas choisi de combattre et n’envièrent, ne connurent aucune gloire.
Jean-Corentin Carré, au bout de deux ans passés en ligne, a écrit la lettre ci-après :
Les Tranchées, le 29 décembre 1916.
Mon Colonel,
Je vous prie de m’excuser de ne pas employer la voie hiérarchique pour vous écrire ; c’est à titre personnel que je m’adresse à vous. Mon identité à votre régiment est Sergent Duthoy (Auguste), né à Rumigny (Ardennes), le 10 avril 1897, engagé pour la durée de la guerre à Pau (Basses-Pyrénées), le 27 avril 1915, et cité à l’ordre du Corps d’armée le 24 novembre dernier.
Cette identité est fausse : mon nom est Carré (Jean). Je suis né à Le Faouët (Morbihan), le 9 janvier 1900. Je suis donc de la classe 20 et non de la classe 17. Le 27 avril 1915, jour où je me suis engagé, j’avais quinze ans. Il fallait avoir dix-sept ans au moins pour être accepté par le recrutement. Je savais que les refugiés des pays envahis pouvaient s’engager sans papiers, beaucoup d’entre eux n’en ayant pas ; j’ai alors inventé de toutes pièces l’identité que je porte depuis deux ans et ainsi réussi, après quelques mois d’instruction, à venir au front faire mon devoir avec tous les soldats français.
Mon père et ma mère, paysans bretons, ayant maintenant trois fils sous les drapeaux, se sont rendus à mes raisons et m’ont laissé libre. J’aurai dix-sept ans le 9 janvier prochain. C’est pourquoi je vous écris pour vous demander s’il ne serait pas possible, ayant l’âge réglementaire, de reprendre mon véritable nom. J’ose m’adresser à vous parce que, s’il ne m’était pas possible de changer d’identité sans quitter te front, je préférerais rester Ardennais jusqu’à la fin de la guerre, et sans que mes chefs directs sachent la vérité.
Je ne suis pas plus patriote qu’un autre ; mais je considère qu’un Français, lorsqu’il est assez fort pour faire un soldat, est un lâche s’il reste à l’arrière.
Encore une fois, je vous prie de m’excuser de ne pas employer la voie hiérarchique, et vous demande d’être assez aimable pour me répondre personnellement.
Mon colonel, je suis, sous vos ordres, le serviteur de la France.
Duthoy, sergent
410e régiment d’infanterie, 9e Cie.
A son instituteur, cet enfant réfléchi, au courage conscient, écrivait cette phrase entre autres, qui est digne des plus hautes maximes :
« La vie en elle-même n’est rien, si elle n’est bien remplie ».
Pour s’engager régulièrement au régiment où il avait déjà si bien servi, Carré dut rendre ses galons. Il les regagna vite. Il a mérité deux citations. Il est promu adjudant.
Voici ce qu’il note sur son carnet et qui est beau, d’une absolue beauté morale, dans ces temps exécrables de l’homme : « Ainsi se termine la vie des tranchées. Je laisse l’infanterie, non pas pour les peines et les misères qu’on endure dans cette arme, mais parce que je trouvais la responsabilité de 5o vies humaines que je commandais, un peu lourde pour mes jeunes épaules. Au revoir, mes braves poilus ! Dans l’aviation, je tâcherai de montrer ce que vaut un Breton du 410e ».
Ah ! Ce scrupule, que n’a-t-il été partout ! Le pays ne pleurerait pas 1.5oo.ooo morts aujourd’hui.
C’est le 20 juin 1917 que Jean-Corentin est désigné pour l’aviation. En novembre, il chasse sur le front. Le 18 mars 1918, attaqué par trois avions, il tombe avec son appareil et meurt à l’hôpital de Souilly où il est inhumé.
Oui, cet adolescent porté au Panthéon, ce serait bien. Si l’on y couchait auprès de Jean-Corentin Carré une anonyme dépouille de soldat ne léguant au respect des foules d’autre histoire que le fait de sa mort, ce serait mieux encore.
L’adjudant pilote Jean Corentin Carré repose à la Nécropole Nationale de Rembercourt-aux-Pots (Meuse), tombe numéro 1510.
Un monument a été inauguré à Le Faouët à la mémoire de ce jeune combattant juste avant la seconde guerre mondiale. Le collège de Le Faouët porte le nom de collège Jean Corentin Carré.