On se souviendra longtemps dans les Vosges des orages désastreux de 1822 ; celui du 13 septembre, terrible en apparence, mais nullement malfaisant dans ses effets, sera un des plus intéressants aux yeux des physiciens.
Dès quatre heures du matin, cet orage s’éleva sur l’horizon du département du côté de l’ouest-sud-ouest. L’air était calme, sec et éminemment électrique : les nuages étaient hauts, leurs formes menaçantes, leur direction variable ; ils n’étaient point réunis en grandes masses, mais groupés ça et là de la manière la plus pittoresque ; ils obstruaient tout le midi et le couchant ; l’orient seul restait serein, mais bientôt son azur s’obscurcit ; jamais l’aspect du ciel n’avait été plus sinistre.
Les éclairs étaient d’une fréquence et d’une vivacité peu communes ; plusieurs offraient les corruscations les plus brillantes, et telles que chacun les remarqua comme un fait extraordinaire : un grand nombre se dirigeait vers la terre par des lignes brisées plus ou moins obliques. Le bruit du tonnerre était singulier ; entendues de loin, les détonations étaient brusques, peu prolongées et se répétaient à des intervalles très courts. On eût dit le bruit lointain du canon. Entendus de près, les coups les plus forts se bornaient à un sifflement analogue à celui des fusées d’artifice, entrecoupé de déchirements et de craquements , et terminé par une succession de pétards, comme un feu de peloton mal exécuté.
A sept heures du matin, cet orage était parvenu sur la commune de La Baffe, canton d’Epinal à deux lieues à l’est de la ville. Les faits généraux que nous venons de décrire y furent remarqués comme partout ailleurs ; mais en voici d’autres particuliers à cette localité et beaucoup plus dignes de l’attention des savants.
Les habitants restés dans leurs foyers, et bien mieux encore ceux répandus en grand nombre dans la campagne, entendirent tout-à- coup dans le ciel, et non sans un grand étonnement, un bruit analogue à celui d’une voiture neuve ou mal graissée qui descendrait avec vitesse le long d’un chemin raboteux et couvert de cailloux. Sa direction était du sud-ouest au nord-est, comme celle de l’orage, et dans un plan incliné à l’horizon ; sa durée fut de sept minutes au moins ; sa force augmentait à mesure que le météore s’approchait, et parvint enfin à une intensité effrayante. Il a été entendu, non seulement des habitants de La Baffe, mais aussi dans les communes environnantes ; il était très distinct du bruit du tonnerre, qui pendant le même temps grondait en différents points du ciel.
Le nommé Nicolas Etienne, ancien militaire et aujourd’hui cultivateur à La Baffe, revenait alors de Docelles avec sa voiture vide, attelée de bœufs ; parvenu à un quart de lieue du village et entendant, malgré le bruit de sa voiture, ces roulements étrangers se diriger sur lui, il crut prudent de s’arrêter. Il dit avoir entendu alors un cliquetis analogue à celui d’un grand nombre de bouteilles que l’on briserait, mêlé au bruit principal qu’il compare à celui d’un obus , puis une explosion sourde et profonde au moment où le météore frappa la terre : il assure avoir aussi vu ce météore s’éclater à l’instant du choc, et plusieurs débris se diriger exclusivement du côté opposé à celui d’où venait l’orage. Mais l’aérolithe lui-même, encore en l’air, s’échappa à sa vue, sans doute en raison de sa grande vitesse. Il assure aussi que l’explosion ne fut ni accompagnée, ni immédiatement précédée d’éclairs ni d’aucune autre apparence lumineuse.
Remis de sa frayeur, Etienne descendit de sa voiture et alla visiter le lieu de l’explosion, situé sur le chemin rnême et à douze pas au plus en avant de la tête de ses bœufs. Il y trouva un trou rond pratiqué dans le pavé. Les parois en étaient enfummées. Le fond contenait les débris d’une masse de pierre noircie à sa surface postérieure, grise en dedans, grenue, friable, parsemée de points brillants et de filets ferrugineux à l’état métallique, déprimée à sa surface inférieure, irrégulièrement arrondie dans les autres points, autant du moins que l’on peut en juger par la juxtaposition des morceaux qui restaient, car un grand nombre avait jailli dans les champs voisins. Il pense que le volume total de cet aérolithe pouvait être comparé à celui d’un boulet de six ; il n’osait y toucher, dans la crainte de se brûler ; mais l’ayant mouillé, il n’éprouva qu’une chaleur très supportable.
Le moment de l’apparition de ce phénomène fut celui où le fort de l’orage arriva an r.énith, tout resplendissant de feux électriques. Le tonnerre avait grondé avant, et il gronda avec la plus grande force, quoique souvent d’une manière insolite ; la pluie qui commençait à tomber devint plus violente ; Etienne ramassa ces pierres de foudre (c’est ainsi qu’il les appelle), remonta sur sa voiture, et se hâta de regagner sa maison.
Vingt cultivateurs qui travaillaient dans le voisinage à la récolte des regains ont vu Etienne s’arrêter et exécuter tous les mouvements ci-dessus relatés. Comme lui, ils ont entendu les roulemens raboteux et retentissants dont ils suivaient fort bien la direction. Ils ont tremblé à l’explosion finale, qui leur a paru envelopper un de leurs concitoyens des plus estimables ; En raison de l’intérêt qu’ils lui portaient, et suite à la violence de l’ouragan, tous, grands et petits, se sont empressés d’aller le féliciter d’avoir échappé au péril, et examiner les objets qui lui étaient venus des régions éthérées. La plupart en ont pris des échantillons, en sorte qu’il ne lui en restait plus qu’un, qu’il s’est empressé d’offrir à M. le Préfet.
Nous nous sommes fait conduire sur le point précis où le météore est tombé ; c’est au milieu d’une plaine assez vaste, ouverte du côté du midi, entièrement cultivée, sans aucun arbre ni même de buissons. Nous avons reconnu que la nature du sol était sablonneuse, comme dans tous les environs, et qu’il n’y avait que des grès et des cailloux roulés, sans aucunes autres pierres. 11 est constant aussi que l’air est resté calme pendant toute la durée de l’orage ; ainsi la pierre en question n’a pu être transportée là par une trombe.
Le temps nous a manqué pour faire des recherches bien exactes dans le voisinage du lieu de l’explosion principale ; mais ces bons habitants, tout joyeux de trouver l’occasion de faire quelque chose qui soit agréable à M. le Préfet, ont promis de fouiller non seulement dans cet endroit, mais encore dans un pré attenant au village, et où on dit qu’il est aussi tombé quelque chose.
Le présent rapport est certifié véritable, quant aux faits et aux circonstances physiques qui y sont relatés, par le sieur Demeuge, maire de la Baffe, et Nicolas Etienne, cultivateur au même lieu, lesquels l’ont signé avec le professeur-rédacteur, ainsi que le sieur Gehin, ancien sous-préfet, qui a accompagné ce dernier dans toutes tes opérations. Fait à Epinal le 19 septembre 1822. Signé Parisot et Gehin.
D’après les Annales de physique et de chimie – Publication 1822
Examen fait, d’après l’invitation de l’Académie des sciences, d’un aérolithe tombé aux environs d’Epinal, le 13 septembre 1822, à l’entrée de la forêt de Taunière, à trois quarts de lieue de La Baffe (Vosges), par M. Vauquelin.
Cette pierre offre à l’extérieur, comme la plupart des aérolithes, une enveloppe noire fondue, qui l’entoure de toutes parts ; elle est grise à l’intérieur, avec un grand nombre de points métalliques. Broyée dans un mortier d’agate, elle se sépare en deux parties distinctes : l’une est une poudre grise, fine, qui se laisse réduire sans peine en poussière impalpable ; l’autre, plus dure, offre au pilon une résistance invincible ; elle s’étend et finit par se diviser en points métalliques plus ou moins considérables : c’est du fer attirable à l’aimant ; on peut ainsi s’en procurer d’assez gros morceaux. Indépendamment de ce fer, le barreau aimanté, promené dans la poussière, en sépare encore des particules métalliques : ces particules, soufflées à la flamme du chalumeau, ne répandent aucune odeur de soufre : ainsi il existe dans cet aérolilhe beaucoup de fer à l’état métallique. La pierre dont il s’agit, fait gelée avec l’acide muriatique, qui en dégage, en même temps, tout le soufre à l’état d’hydrogène sulfuré.
D’après les Annales des Mines – Publication 1823