A Long Island, dans l’état de New-York (côte est des Etas-Unis), un superbe château est en vente. La mise à prix était de 6,995 millions $ en 2006, de 5,995 millions $ en 2007, elle n’est « plus » que de 4,995 millions $ fin 2008. Avis aux amateurs de vieilles pierres !!!
Mais pourquoi s’intéresser à un château en vente aux Etats-Unis ? Tout simplement, parce que ce château, à des milliers de kilomètres des Vosges, est originaire … des Vosges.
Petit village vosgien situé à quelques kilomètres de Châtillon-sur-Saône, Les Thons est formé de 2 hameaux sur la rive droite de la Saône naissante : Petit-Thon et Grand-Thon et c’est précisément à Petit-Thon, qu’était édifié cette splendide bâtisse.
Après une histoire mouvementée, c’est pendant la première guerre mondiale, et surtout au lendemain de la guerre, que les Etats-Unis entrent dans la nouvelle vie du château de Petit-Thon. En 1917, alors que Claudon servait de cantonnement à nos alliés Indiens, les Canadiens se répandaient dans les villages voisins, et les Thons et Châtillon-sur-Saône se voyaient occupés par les Américains.
En 1918, le château des Thons servait de logis et de « popote » aux officiers américains. L’anecdote raconte qu’un de ceux-ci, originaire de New-York, fut un peu entreprenant avec une dame du village, qui se retrouva enceinte. Le mari, lui-même mobilisé, s’aperçut de son infortune à un retour de permission, et décida de se venger : avec son frère, il tendit un guet-apens à l’Américain rentrant au château, et il l’abattit d’un coup de fusil. Il fallut annoncer la nouvelle aux parents de l’Américain, des bourgeois fortunés de Long-Island, et leur faire croire que leur fils avait été tué à l’ennemi, formalité courante pendant la guerre de 14-18, quelles que fussent les circonstances de la mort.
Au lendemain de la guerre, comme le château, extrait de ces terres, avait été revendu à des marchands de bien de Langres, les malheureux parents décidèrent de racheter « le lieu où leur fils avait été tué« .
Entre 1924 et 1926, l’oeuvre de Jacques Gentillâtre fut démontée pierre par pierre. Des convois de charrettes faisaient la navette vers des gares et des ports fluviaux, alors que de l’autre côté de l’Atlantique, l’architecte français Charpentier rebâtissait un « manoir à la française » dans une forêt de Long-Island appartenant aux nouveaux acquéreurs. Il n’eut besoin que de l’aile droite et de la partie droite du corps central, mais tout le mobilier, les sculptures et ornements intérieurs furent embarqués dans les mêmes bateaux emportant les pierres.
Sur place, l’aile gauche fut laissée dérisoirement, carcasse mutilée des années trente, seul vestige, avec le pigeonnier et la basse-cour, de l’élégante vitrine du « goût français ».
Histoire mouvementée du château de Petit-Thon
Reconstruit au début du XVIIe siècle, par l’architecte Jacques Gentillâtre, pour Jean du Châtelet, ce grand château à corps central et à deux ailes en retour, était un modèle de l’architecture Henri IV, mêlant la pierre et la brique, les sculptures et les éléments défensifs, l’agrément (parterres allant jusqu’à la Saône, grandes galeries à arcades) et l’austérité (fossés, canonnières). Telle fut le demeure des bords de Saône.
Dans les deux premiers tiers du XVIIIe siècle, le domaine fut délaissé par ses propriétaires, la famille du Châtelet, étant plus intéressée à vivre de leur charge de gouverneur de Vincennes, qu’à entretenir une terre et une maison lointaine.En 1763, le château fut vendu à Jean Baptiste Toustain de Viray, un jeune officier noble, originaire du centre de la Lorraine, ayant épousé l’année précédente Marie-Nicole d’Hoffelize, fille du puissant châtelain de Valfroicourt, près de Vittel. De leur union, sont nés deux fils, François-Etienne et Louis-Gabriel et une fille Rose. Un court bonheur interrompu brutalement par la mort en 1769 du nouveau châtelain. Sa veuve dut continuer l’oeuvre entreprise six ans auparavant : restaurer les droits seigneuriaux face à une paysannerie de plus en plus échauffée, sauver un château du délabrement en faisant des travaux dénaturant l’oeuvre de Gentillâtre.
La vie des deux fils, devenus officiers comme leur père, fut perturbée par la révolution. Ils partirent en émigration : François-Etienne servit dans l’armée de Condé mais Louis-Gabriel ne put faire de même. Atteint d’aliénation mentale, ce jeune chevalier de Malte fut enfermé le 7 mai 1790 dans un asile d’Hambourg, où il mourut onze ans plus tard. Le départ de ses deux fils causa bien du tort à la « citoyenne Toustain » et à sa fille : le domaine des Thons fut mis sous séquestre, les deux femmes furent inquiétées, harcelées et finalement enfermées aux Cordeliers de Nancy, craignant à chaque instant pour leur vie et leurs derniers biens. Libérée en 1794, Marie-Nicole se démena pour retrouver ses biens et restaurer ses droits.
Quand elle mourut en 1812, elle était redevenue entière propriétaire du domaine des Thons, mais ne pouvait hélas en faire hériter sa lignée directe, ses trois enfants étant décédés avant elle.C’est donc le propre neveu de Marie-Nicole, Joseph-Gaspard d’Hoffelize, qui hérita du domaine. Le personnage était plus qu’un noble, il était le « plus parfait des notables » : maréchal de camp, nommé pair de France, il fut élu conseiller général de Moselle sous la Monarchie de Juillet, puis président du même conseil, car son domicile principal était Longuyon, alors en Moselle, où il était maître de forges. Ce « baron du fer » avait épousé Barbe-Aglaé Le Duchat de Rurange, et se trouvait , par héritage ou mariage, à la tête d’un nombre impressionnant de châteaux et d’usines, les Thons et Hayes près de Metz, en étaient les plus beaux fleurons.
Quand il mourut en 1849, laissant généreusement « mille francs pour les pauvres des Thons », il n’avait qu’un seul héritier direct, son fils François-Joseph Ernest. Ce dernier ne montra pas, pour ses biens patrimoniaux lorrains, la même passion que son père. Il vivait à Parme et y mourut en 1856, sans postérité. Un an plus tard, la terre des Thons était vendue à la barre du tribunal civil de Nancy. Commençait alors une nouvelle phase de décrépitude pour le château.
Le domaine fut acquis en parts, par des familles de Lunéville, Nancy et Metz, les Lévylier, puis les Gadel et le fameux « père Hugo » de Parey-sous-montfort, ce dernier résidant dans les murs d’un manoir de plus en plus délabré. Toutes ces mutations explicables par la valeur que l’on attribuait aux terres qualifiées de très bonnes, ne firent aucun bien aux bâtiments et à leur environnement traditionnel ; les boulingrins, parterres, bassins et escaliers furent convertis en paquis pour l’embouche, et l’un des plus beaux parcs des bords de la Saône lorraine fut transformé en terre d’élevage.
Passé par achat aux familles Morel et Barras, le château viellissait mal et s’endormait ; la première guerre mondiale le fit sortir de sa léthargie.
Article extrait de la Revue Lorraine Populaire : n°140 de février 1998.
Depuis la publication de cet article, le château a trouvé acquéreur au prix de 3,2 millions $ en mai 2011 !